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bric à bracs d'ailleurs et d'ici

Éthique et politique (1) par Paul Mathis

Éthique et politique


« C’est l’histoire vraie de tous les crimes de la famille,
à commencer par celui de Grand-Père Abraham...
tous les crimes, y compris les nôtres, tu saisis ? »
Eugène O’Neil, (x)

Avant d’attirer votre attention sur des propos relativement abstraits, je voudrais vous dire quelques mots dans l’ordre du souvenir, sur Marie-Claude Grün récemment disparue.
C’est évoquer, la concernant une figure d’autodidacte soucieuse de précision, d’interférences et de dialogue.
Elle avait convoqué notre écoute il y a quelques mois à La Seyne, à partir de Marguerite Duras, d’Angoulème et de Marguerite de Navarre vers ce que l’advenir féminin pouvait faire entendre  : l’homme.
C’est sur cette conjonction que j’introduirai mon discours de ce soir.

Sommes-nous tout à fait distants des mythes antiques ?
Notre héritage est fait de multiples dissensions, en particulier familiales. Les copulations les plus diverses nous entourent, conduisant aux naissances les plus polymorphes, mi animales, mi humaines. Les craintes parentales sont alliées au pouvoir. Cronos chez les grecs, Saturne chez les latins, dévorent leurs enfants pour ne pas être détrônés par eux. Ainsi font les dictateurs modernes dont les jeux politiques perpétuent les connivences avec la mort à partir du plaisir du pouvoir dont la racine et la finalité sont les manipulations, les sévices, par l’interdit de la vie du sujet.
Ce qui se trame de façon constante, soutenue, derrière les symptômes dont on nous assaille, c’est une tension agressive, permanente, sous des formes diverses, plus ou moins tenaces, labiles, mais difficilement résolutives.
La pulsion de mort hante ces conflits et crée notre malaise et notre crainte.
Les Erinyes ont accepté avec beaucoup de réticence, sur l’insistance d’Athéna, d’envisager un état de bienveillance, d’attention et de créativité pour remplacer la fureur, la violence, et la vengeance dont elles étaient empreintes.
De cette première décision juridique de l’histoire apparaît à la fois le désir d’un sujet distant du plaisir des Dieux et les accords possibles des éléments du collectif. Conjugaison désirée, mais  difficile, car si des lueurs apparaissent de temps en temps tout au long des siècles, ce collectif maintient des références de dépendance et de violence, qui assurent sa permanence.
Oreste est l’héritier à la troisième génération d’une cascade de meurtres, qui sont essentiellement des meurtres d’enfants.
Sur ordre de leur mère Hippodamie, Atrée et Thyeste, frères jumeaux, avaient tué leur demi-frère Chrysippos, que Pélops leur père avait eu avec la nymphe Axioché.
Puis de complices, les deux frères sont devenus féroces. Le sommet de l’horrible est atteint par le meurtre commis par Atrée des enfants de Thyeste, dont les morceaux sont présentés au père à table pour un repas. Les têtes et les bras, exhibés dans un deuxième temps identifient les fragments.
Cette horreur a été telle, a-t-on dit, que le soleil lui-même recula dans sa course.
Pour se venger Thyeste utilise un autre fils, Egisthe né d’un inceste avec sa fille Pelopia. Celle-ci apprenant le secret de la naissance d’Egisthe, se tue, et avec l’épée Egisthe tue Atrée. Egisthe, devenu l’amant de Clytemnestre, tue Agamemnon et Cassandre.
Oreste se voit obligé de venger son père, en tuant Clytemnestre et Egisthe.
Devenu meurtrier dans le sang de sa famille, Oreste encourt l’assault des Erinyes.
Quel héritage, reçoit-il ?
Celui de trois infanticides.
Le meurtre primordial est-il celui de l’enfant ? Quelle est la raison de ce meurtre ? Meurtre fondamental conditionnant des répétitions de mort indéfinies ? D’où le discours terrible de l’ombre de Tantale (1).
Qu’est-ce qui a conduit Atrée et Thyeste à tuer leur demi-frère ? Est-ce la soumission à la jalousie de leur mère, n’ayant pas supporté l’infidélité de Pélops ?
Qu’est-ce qui conduit Atrée à tuer les enfants de Thyeste ? Que Thyeste ait été l’amant de son épouse Aéropé ? Que Thyeste lui ait pris son trône et la toison d’or ?
Jalousie d’un homme à propos d’une femme qui échappe ? Reprise du meurtre de son demi-frère commis avec Thyeste, commandité par la mère ? Le fratricide ferait suite à l’infanticide en devenant sa forme dérivée et impérative.
Qu’est-ce qui a conduit les grecs à la guerre de Troie, dont le prétexte donné est celui du rapt d’Hélène ? Quelle était l’acuité de cette frustration ? Personnelle ? Politique ? Pour Ménélas, pour Agamemnon, mais peut-être pas pour Ulysse ? Réticent celui-ci part cependant pour Troie. Qu’est-ce qui conduit Agamemnon à tuer Iphigénie ?
Qu’est-ce qui a conduit Abraham à envisager de sacrifier Isaac pour obéir à Dieu ?
Qu’est-ce qui a conduit Laïos à se débarrasser d’Oedipe enfant ? Qu’est-ce qui a conduit le Christ à accepter la mort pour obéir à la volonté du père ?
Toutes situations où le sujet fragile, violenté par l’histoire est absent de sa place dans le triangle de sa naissance, exclu de tout acte décisif le concernant. Le désir parental est soumis au diktat du politique, exécuteur d’actes qui le dépassent.
Corrélativement à ces meurtres, repris d’une façon massive et sauvage dans les guerres de ce siècle et les commanditant, se situe une pseudo-éthique faite d’interdits. Ce ne sont point des lois approximatives, vite anachroniques, qui induiront des mutations civilisatrices.
Et ce qu’on appelle maladies, symptômes, et même névroses de guerre, sont là comme îlots, traduisant la tentative désespérée du sujet résiduel face à la dictature du Grand Autre, méconnaissant la vie réelle de tout sujet possible. Celui-ci maintenu dans la jouissance du désastre.
Il y a un siècle, lorsque Freud interrogeait l’inconscient et la loi mosaïque, dotée de ses 613 règles, André Gide écrivait  :
« Commandements de Dieu, vous avez endolori mon âme.
Commandements de Dieu, serez-vous dix ou vingt ?
Jusqu’où rétrécirez-vous vos limites ?
Enseignerez-vous qu’il y a toujours plus de choses défendues ?
De nouveaux châtiments promis à la soif de tout ce que j’aurai trouvé beau sur la terre ?
Commandements de Dieu, vous avez rendu malade mon âme ». (2)
Si l’on peut penser que rien n’est changé depuis 2500 ans, malgré le geste d’Athéna, s’il y a toujours autant de violence, si la tribu familiale demeure hantée de germes de mort, est-ce par insuffisance de la métamorphose des Erinyes ? C’est-à-dire des pulsions de mort ? Devenues Euménides, elles n’ont pas accepté dans le tréfonds d’elles-mêmes de dissoudre leur ressentiment et leur vengeance. Ces perversions demeurent cachées sous les apparences civiles et humanitaires, des œuvres de charité et des codes de la loi. Ce qui faisait dire à William Blake, que les prisons étaient bâties avec les pierres de la loi, et les bordels avec les briques de la religion. (3)
Oreste, absous, demeure confronté à la vindicte des Erinyes qui reprennent le discours de Clytemnestre dont elles se portent les garantes.
Entre ces deux registres se situe un débat entre deux sentiments contradictoires, l’un à l’égard du père, l’autre à l’égard de la mère. Oreste n’est pas hésitant vis-à-vis du père, il doit le venger, mais il est partagé vis-à-vis de la mère, car il doit par un acte de son corps inscrire la mort sur le corps qui lui a donné naissance. Il est au niveau le plus subjectif, le plus aigu de son incertitude et de sa détermination. On touche là ce qui échappe aux Dieux, ce qui échappe aux Erinyes, ce qui structure le point modal de la dimension du sujet, son indépendance.
Ces histoires anciennes se veulent présentes dans le théâtre moderne.
C’est à Moscou, le 29 Janvier 1994, au théâtre académique de l’armée de Russie que ce drame grec est repris par des acteurs russes animés par un metteur en scène allemand. On voudrait croire à une heureuse rencontre de ces deux langues susceptibles de faire des différences ethniques, idéologiques, religieuses, des structures d’accords et de paix.
Si le chœur énonce que c’est par une femme qu’Agamemnon, « perd la vie ! » (4) c’est par une femme, qu’Oreste retrouve sa vie. Les jurés ont-ils voté à parts égales, pour laisser à Athéna la décision radicale ? Jugement décisif que seule une femme, et non une mère, pouvait émettre à l’égard d’un homme ?
La responsabilité de la guerre de Troie a été jetée sur Hélène et sur Agamemnon.
« Ah ! Hélène, folle Hélène, énonce le Coryphée, qui, seule as détruit sous Troie, des centaines, des milliers de vies...! » (5) Et Clytemnestre de proclamer  : « Au beau fruit que j’avais de lui, mon Iphigénie tant pleurée, le sort qu’il a fait subir méritait bien le sort qu’il a subi lui-même. Qu’il ne montre donc pas trop de superbe dans l’Hadès  ; sa mort sous le fer tranchant n’a que payé les crimes qu’il commit le premier. » (6)
Il y a cependant dans le discours de Clytemnestre, en déca de sa vengeance, un souci d’amour, de réconciliation, de regret de ce qui aurait pu être autrement. Elle évoque après la disparition
d’Agamemnon, la rencontre de celui-ci avec Iphigénie dans le royaume des morts. « Seule, Iphigénie, pleine de tendresse, Iphigénie, sa fille, ira comme il sied, au-devant de son père, sur la rive du fleuve impétueux des douleurs, et jetant ses bras autour de son cou, l’accueillera de son baiser. »  (7)
Pourquoi Agamemnon a-t-il cédé au pouvoir des dieux en tuant son enfant ? S’agit-il d’une reprise du meurtre d’Atrée et de Thyeste à l’égard du demi-frère sur ordre de la mère ? Les Dieux Grecs ont-ils été plus cruels que le Dieu judaïque ?
Egisthe, fils de Thyeste, obéissant à son père, tue Atrée puis assassine Agamemnon et Cassandre. Il semblerait que le meurtre, soit essentiellement celui des hommes entre eux. Rivalité des hommes par rapport à la femme, par rapport à la mère, dans la jouissance de leur propre castration.
D’où le meurtre de l’enfant, qui est déni de l’acte sexuel. Ce qui est effacé dans la mort d’un corps particulier, c’est l’acte sexuel dont il est né dans la génération précédente.

Le drame monté par Peter Stein nous donne sur le plan scénique, tout au long des huit heures de la représentation, un reflet de ce temps nécessaire aux Grecs dans l’ampleur des théâtres qu’ils avaient construits. Ici le théâtre du niveau éthique d’où il parle, interroge le politique.
Chaque acteur a le temps de son discours, profondément élaboré, afin de le soutenir et ceci dans un style où le corps propose dans une gestique sobre, la façon dont il témoigne de l’inscription de la parole sur le corps qui se veut péremptoire. Aucune gesticulation. Mouvements lents ou rapides, mesurés, selon la nécessité du moment, témoignant de la noblesse proposée à l’attention du spectateur qui est aussi convié à entrer dans le jeu d’une proximité parfois accentuée. Les vieillards d’Argos montent dans les allées de l’amphithéâtre, Oreste franchit les rangs du public.
Les discours de chacun traduisent le drame dont ils sont issus et l’horizon vers lequel ils sont engagés, dans le style nécessaire à ce glissement du fond des âges vers notre époque, rendant actuelle la Trilogie.
Préambule discret, mais impératif, la lampe flamboyante, porteuse
de temps et d’histoire, rouge, parfois un peu jaunâtre, couleur de sang et de feu, tout en haut de la scène, à côté du veilleur dont la voix psalmodiant annonce la victoire et le retour d’Agamemnon. 
Et celui-ci apparaît, droit, grand, majestueux, blanc, hiératique, affichant son destin de maîtrise, même s’il est entaché d’une erreur.
En face, Clytemnestre, excessive, emphatique, dans un accueil trompeur dont Agamemnon n’est pas dupe.
Entre eux deux, les tapis, pourpres, chauds, pleins de reflets, qui se veulent de réception triomphale, affichent le mensonge.
Le grand discours de Cassandre, calme et nostalgique, puis véhément et disparate fait suite aux apostrophes précédentes. Elle signe dans un corps qu’elle défait elle-même le tragique de son histoire et celle de son compagnon avant de disparaître avec lui vers la mort.
Scène finale de ce premier drame, les cadavres du Roi et de la fille de Priam, pointés vers le public, disent l’immobilité dernière dans le verdict de la mort, qui se répand dans un rouge de peinture un peu excessif rappelant la corrida.
Puis apparaît le drame des Choéphores. Au centre le tombeau d’Agamemnon, massif, de pierre rectangulaire, orchestrant toutes les interventions. Electre, esclave, désemparée. Les libations et l’arrivée d’Oreste qu’Electre hésite à reconnaître. La promesse entre eux de venger leur père.
Au sein d’une démarche qui se voudrait plus décisive, Oreste maintient longtemps une souffrance, une hésitation, une certitude, liées à une culpabilisation inhibante.
Le moment le plus émouvant apparaît lorsque face à la violence et à la douceur mêlées de sa mère, Oreste se force à frapper.
Scène terminale, comme celle du premier drame, deux cadavres, ceux de Clytemnestre et d’Egisthe, montrés eux aussi, l’un à côté de l’autre, ostensiblement, face au public, dans leur sang qui semble prendre plaisir à s’écouler.
Meurtre de deux couples, peut-être illicites.
Double mort des amants, préludant peut-être à celle de Tristan et d’Iseut ?
Dernier drame, la panique d’Oreste livré à la fureur des Erinyes.
Désarroi du matricide, mais appui d’Apollon.
Comment peut-il sortir de son système projectif et de ce qui peut dépendre d’une instance extérieure non fantasmatique ? Les Dieux au départ conditionnent une action puis le tribunal d’Athènes, dans une démarche imprévue, inaugure un autre ordre des lois, afin de rendre possible une démarche singulière propre à tout sujet, vers une nouvelle intelligence des subjectivités.
Le discours du sujet c’est ce que la démarche analytique s’efforce de faire apparaître, de ce qui se cache dans les catégories pré-établies, qui jouent le rôle d’écran, de maintien des pouvoirs et d’entretien des symptômes.

Le tribunal d’Athènes a contesté le pouvoir absolu des Dieux. Oreste a été gracié. Mais ce verdict, dont l’énonciation se fait en un temps court, ce temps de l’énonciation, ne suffit pas dans l’instant à modifier les pensées souterraines d’Oreste. Celui-ci est désormais placé devant une porte ouverte dont il a à franchir le seuil vers une nouvelle histoire, mais pour laquelle il lui reste à tracer ses paramètres, probablement autres que ceux de la défense du territoire paternel et au-delà du poids des Erinyes.
Qui peut maintenir un tel goût de la souffrance et de la vengeance ?
Qui peut rendre si tenaces les Erinyes pour demander la mort ?
N’y-a-t-il pas chez elles un reflet du désastre auquel les grecs ont eux-mêmes consenti ? Ainsi le héraut qui annonce la victoire nous donne le spectacle d’un chaos terminal.
« Nous avons vu, en effet, deux ennemis jusqu’ici irréconciliables, la mer et le feu, se conjurer et montrer leur alliance en détruisant la pauvre armée des Argiens. C’est dans la nuit qu’en vagues cruelles le malheur se levait pour nous. » (8)
Cependant le plaidoyer d’Athéna, peu à peu parvient à faire apparaître les Euménides. Derrière l’ironie, les Erinyes consentent à un autre discours qui laisse pressentir une paix possible.
« Ne consens pas plus à vivre dans l’anarchie que sous le despotisme. Partout triomphe la mesure : c’est le privilège que lui ont octroyé les dieux, le seul qui restreigne leur pouvoir capricieux. Et n’est-il pas à propos de le répéter ici ? S’il est avéré que la démesure est fille de l’impiété, la saine raison au contraire a pour fils le bonheur aimé qu’appellent tous les vœux humains. » (9)
Cependant la pulsion de mort est puissante. Au XXème siècle, Eugène O’Neil reprenant à sa façon la trilogie d’Eschyle, a des vues plus sombres que le dramaturge grec. (10) Dans le texte américain, Oreste se suicide, et Electre se retire dans la maison parentale, pour jouir de la souffrance loin de la vie qu’elle pourrait construire. Effacement d’un frère et d’une sœur. Reprise brutale du meurtre initial des Atrides.
Mais ce destin ne répond peut-être ni au désir d’Oreste ni à celui d’Electre. Si celle-ci se pose en recluse pour souffrir d’une mort lente, c’est en fonction de la condamnation par la tribu des Mannon à laquelle elle se soumet. Et cette issue est aussi celle imposée à Electre dans l’Agamemnon de Sénèque. Egisthe, le valet de Clytemnestre tient à Electre un discours politique qui rejoint celui de Créon à l’égard d’Antigone  :
« Qu’elle soit enfermée dans un obscur cachot de pierre pour y passer toute sa vie, et peut-être, torturée, par toutes sortes de supplices  ; ...dénuée de ressources, manquant de tout, captive, couverte de haillons, veuve avant d’être mariée, exilée, haïe de tous, privée de lumière du ciel, elle succombera lentement à ses maux. » (11)
Ces deux femmes, Antigone et Electre, sur le bord de leur féminité, font les frais des pulsions politiques et tribales nouant dans leurs corps la mort et la sexualité. Tout ceci fait suite à l’ancêtre Tantale, aux sacrifices des enfants cananéens des deuxième et troisième millénaires avant notre ère pour aboutir aux infanticides modernes, exhibés, légalisés ou dissimulés.
Le meurtre fondamental est-il celui de l’enfant, en tant que résultant de l’acte sexuel interdit ?
D’où la circoncision et le baptême pour inscrire sur le nouveau-né, sur son corps, le pouvoir de l’adulte, projeté sur le pouvoir des dieux. Condamné implicitement, puis gracié quel sera le destin d’Oreste ? Si le premier tribunal de l’histoire octroie à Oreste sa liberté celui-ci n’en est pas pour autant sur le chemin de son désir. Il doit inventer son nouveau parcours, né du droit et de l’effacement du pouvoir des Dieux.
Car le pardon ne suffit pas. Un autre trajet est nécessaire, le sien en tant que celui d’un sujet sexué, désirant, vivant, dans le monde qui l’entoure, dans les innovations qu’il est capable d’accomplir.
« Tu  as triomphé  lui  dit  le  Coryphée  ;  ne  mets  pas  tes  lèvres au service d’un langage
 amer  ; ne te maudis pas toi-même. » (12)
Et Apollon lui confirme le maintien nécessaire  : « Ne l’oublie pas, la peur ne doit pas abattre ton âme. » (13)
Ceci rejoint les paroles de Dante à Virgile  : « Ne te laisse point gagner
par la peur, » (14)
Confirmant le fondement de la fonction du père, sans laquelle il n’y a pas d’humanité, Apollon se fait entendre explicitement face à l’opiniâtreté des Erinyes. « Ce n’est pas la mère qui enfante celui qu’on nomme son enfant  : elle n’est que la nourrice du germe en elle semé. Celui qui enfante, c’est l’homme qui la féconde  ; elle, comme une étrangère, sauvegarde la jeune pousse quand du moins les dieux n’y portent point atteinte. Et de cela je te donnerai pour preuve qu’on peut être père sans l’aide d’une mère. » (15)
Ce qui est pointé là, c’est la fonction phallique dans son rapport à la fonction utéro-vaginale, au-delà des pulsions partielles, dans la parole de tout sujet. Eschyle soulignant ainsi la fonction du père, pouvait justifier de ce fait la vengeance d’Oreste, mais aussi corrélativement l’impossible de toute mise à mort.
Le discours d’Athéna n’est-il pas un discours politique faible ? Il se veut convainquant, prometteur et même un peu perfide.
Si les Erinyes consentent à devenir les Euménides, si elles consentent à abandonner leur fureur pour une œuvre de civilité et d’honneurs dans la cité, si elles laissent espérer les formulations de Nietzsche pour un effacement de la vengeance, il semble que cette adresse au collectif ne représente qu’un vœu pieux.

2 avril 1997, Paul Mathis


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