Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
bric à bracs d'ailleurs et d'ici

L'art c'est la vie - débat

13 Décembre 2017 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #agora

L'art c'est la vie - débat
Je réactualise cet article d'avril 2013, en lien avec la préparation de l'opération Bateau-Lavoir 2018 qui aura pour thème Le passage du temps, autour d'une exposition de photos de personnes ayant été photographiées tous les ans, même posture, même costume, pendant 31 ans par Marc Israël-Le Pelletier.
JCG
 
BOR031.jpg
Origines de Michel Bories
dans Disparition  aux Cahiers de l'Égaré

L'art c'est la vie
Éditorial d'un vieux numéro de la revue
(Art absolument)

Polémique : l’État et l’art contemporain_(l’état de l’art contemporain en France)
«… aussi intéressante soit-elle toute esthétique qui devient hégémonique produit ses suiveurs, ses “académiciens” et, de novatrice, devient non seulement normative mais répétitive – ennuyeuse…»
«… l’État n’a pas à faire prévaloir tel ou tel “réseau” d’influence, mais l’excellence là où elle se trouve. Surtout, il ne doit exclure aucun médium…»

Lorsque nous avons reçu la pétition L’art c’est la vie, qui circule parmi les artistes plasticiens, bien que nous soyons aux antipodes du vocabulaire employé, nous avons été frappés par l’exaspération non feinte dont elle témoigne, mais surtout par le fait qu’elle soit signée par plusieurs artistes que nous estimons et auxquels nous avons consacré un dossier important sur leur œuvre dans l’un de nos numéros.

Cette pétition qui, en substance, remet en question « la dérive de la politique de l’État français en matière d’art contemporain », nous a donné le désir d’interroger, par le biais d’un questionnaire plus global, quelques-uns des artistes signataires ainsi que des personnalités du monde de l’art (collectionneurs, galeristes, intellectuels, institutionnels) dont nous n’ignorons pas qu’elles sont suffisamment indépendantes d’esprit pour avoir leur propre point de vue.

Car, bien entendu, c’est par la pluralité des points de vue que nous parviendrons à faire un constat “objectif” de ce qui est à mettre au crédit de l’État en matière d’art contemporain, mais aussi ses dysfonctionnements, voire ses effets pervers.

Comme les lecteurs le savent, depuis le début de la création de notre revue en mai 2002, nous défendons les liens entre l’art du passé et celui du présent ; les artistes en France ; la diversité des médiums (peinture, sculpture, photographie, vidéo, installation), mais également des générations, des origines, des esthétiques… tous thèmes que les rédacteurs et les signataires de L’art c’est la vie abordent. D’où, pour nous, la nécessité de préciser notre position.

Nous sommes contre tout art “officiel” (déclaré ou implicite). Par éthique : l’art officiel fonctionne toujours par exclusion ; et par goût : aussi intéressante soit-elle, toute esthétique qui devient hégémonique produit ses suiveurs, ses “académiciens” et, de novatrice, devient non seulement normative mais répétitive – ennuyeuse. Y a-t-il un art “officiel” en France ? Vu du reste de l’Europe et des États-Unis, force est de constater que, à chaque fois que vous interrogez un conservateur ou un artiste de ces différents pays, il vous répond que non seulement les galeries françaises ne promeuvent pas suffisamment leurs artistes (où sont vos peintres ? Vos sculpteurs ? Vos photographes ?) mais que l’État français soutient presque exclusivement un art “critique et politique”, influencé par les conceptuels radicaux des écoles de New York et de Los Angeles des années soixante-dix (voix communautaires, féminisme, critique de la société de consommation, etc.), et que ce n’est évidemment pas avec ce courant – déjà inscrit dans l’histoire de l’art du XXe siècle – que nous parviendrons à émerger sur le marché international (notons, pour ceux que cela intéresse, que ce dernier privilégie depuis toujours la peinture, la sculpture, et depuis peu le dessin et la photographie dite “plasticienne”).

Que l’on ne se méprenne pas : notre revue est très impliquée dans la confrontation de l’art à l’histoire – aux tragédies de l’histoire. C’est bouleversant de voir comment les artistes qui les ont subies ou y sont sensibles répondent avec leurs faibles moyens – humainement, symboliquement – à la toute puissance de la barbarie. Mais de toute évidence, si Guernica est un chef-d’œuvre, c’est parce qu’il est autant une réponse au scandale du bombardement en 1937 de la petite ville basque espagnole qu’un renouvellement des formes produites par Picasso lui-même… Pour le dire autrement : à se satisfaire d’une simple dénonciation (encore que, en France, vous remarquerez que l’on ne dénonce pas grand-chose : il s’agit plutôt d’une “attitude”), l’art “critique et politique” n’est plus un art, mais un message : de l’information. Et si, aujourd’hui, nous pouvons voir l’œuvre d’un Malevitch, d’un Tatline, d’un Rodchenko, d’un Dziga Vertov ou d’un Eisenstein, c’est évidemment moins pour leur message qui, pour nombre d’entre eux, se voulaient propagandistes d’un avenir radieux inhérent à l’enthousiasme lyrique de la révolution d’Octobre, que par le formidable jaillissement de nouvelles formes nécessaires à l’efficacité de ce message : mais – autre leçon de l’Histoire – toujours dans l’exemple soviétique (on pourrait citer n’importe quel autre État totalitaire) – les “bureaucrates” ont tué soit physiquement soit psychiquement les “artistes”; et, cette lamentable mise au pas de leur propre avant-garde artistique par les tenants du Réalisme stalinien devrait en faire méditer plus d’un.

Cela dit, soyons clair : l’art n’est pas unidimensionnel. Si l’art “critique” a sa nécessité, il n’est pas le seul. L’art est, par définition, multiplicité, diversité, ouverture. C’est même ce qui différencie les grandes œuvres des autres. Si – aujourd’hui – vous pouvez relire Dostoïevski ou revoir Rembrandt, c’est parce qu’il y a plusieurs niveaux de lecture, plusieurs “régimes” du regard que vous percevez au fur et à mesure de votre propre expérience ; c’est parce que, bien qu’issues d’un contexte, surgies de lui, ces œuvres s’en affranchissent pour devenir nos contemporaines. D’aucuns diront : tout cela est dépassé (autre variante : du passé faisons table rase !). Nous ne leur rétorquons pas. Nous citerons Robert Storr, chef du département des peintures et sculptures du MOMA de New York et actuel directeur de la biennale de Venise : « Des confrontations sérieuses entre le travail des jeunes générations et celui toujours actif des précédentes, voilà où est l’avenir de l’art comme il l’a toujours été. » Et aussi : « Lancer des tendances, suivre la vague, voire flairer ou anticiper le goût ne m’intéressent pas beaucoup. Aujourd’hui, ce que font les artistes est tellement varié et si largement dispersé qu’il est réellement futile de se préoccuper comme jadis de “tendance artistique majeure”, ou même, pour être plus polémique, de vérité majeure. »

Il faut que l’État se méfie de sa propre tendance à l’instrumentalisation. Pour nous, outre son rôle prépondérant en matière d’infrastructures culturelles pouvant permettre de voir les artistes vivant en France (si nous ne défendons pas “nos” artistes, qui le fera ?) et en matière d’éducation artistique (nous y reviendrons dans un prochain numéro), il ne doit en aucun cas privilégier une esthétique au détriment d’une autre. Surtout, il ne doit exclure aucun médium : quels sont ceux qui – en France – ont décrété que la peinture et la sculpture étaient périmées alors qu’elles sont toujours d’actualité dans le reste du monde ? Au nom de quoi ? Au bénéfice de qui ? L’État n’a pas à faire prévaloir tel ou tel “réseau” d’influence, mais l’excellence là où elle se trouve. Il doit soutenir tous ceux qui promeuvent la diversité de l’art en France : d’une part, parce qu’à notre connaissance, il n’y a pas “d’art français”, et d’autre part, parce que comme ce fut le cas dans le foisonnement de l’entre-deux-guerres, une multitude d’artistes d’ici et d’ailleurs créent dans notre pays. Ce n’est pas seulement une réalité, c’est également une spécificité qui, si elle est mise en avant, peut – sans doute – emporter l’adhésion internationale (à ce sujet, une proposition : en complémentarité à ce qui est principalement montré depuis deux décennies dans les institutions muséales françaises, il nous semble qu’il serait judicieux d’organiser une grande exposition donnant à voir la peinture et la sculpture créée en France depuis les années soixante-dix jusqu’à nos jours…).

Encore un mot : nous ne prétendons aucunement détenir la “vérité”. Nous essayons simplement de répondre – avec nos propres moyens – au désarroi exprimé par les artistes eux-mêmes. C’est pour cela que, pour avoir une idée plus juste de la réalité de “l’état de l’art contemporain en France”, nous avons besoin de points de vue personnels (et indépendants). De ceux qui s’expriment ici et que nous remercions chaleureusement. Du vôtre – si vous le désirez – en rejoignant la rubrique Débats de notre site www.artabsolument.com. Notre souhait est que, par-delà les positions esthétiques de chacun, par-delà les inévitables (et souhaitables) divergences d’analyse, le débat ait lieu…

 
Pascal Amel et Teddy Tibi
 
BOR093.jpg
Mères courage de Michel Bories
dans Disparition  aux Cahiers de l'Égaré

L’État et l’art contemporain en France

Pour ouvrir le débat, nous avons décidé d’interroger une quinzaine d’artistes et de professionnels de l’art (galeristes, collectionneurs, sociologues, institutionnels) dont nous sommes loin d’ignorer que, par-delà les effets de mode, ils ont su garder leur indépendance d’esprit.

De la différence entre un artiste et un créatif
1 | Qu’est-ce qu’un artiste pour vous aujourd’hui ? Doit-on faire un distinguo entre un créatif (dans le sens où un couturier de grand talent, par exemple, lorsqu’il présente sa nouvelle collection, la crée) et un artiste qui, certes, peut vendre ce qu’il produit, mais dont l’œuvre – l’enjeu symbolique – n’est pas directement liée à cela ? Autrement dit, doit-on faire une différence entre les “artistes” qui sont liés à une nécessité intérieure et les “créatifs” qui répondent le plus souvent à une commande extérieure ? Ou, au contraire, pensez-vous que, de nos jours, tout le monde est artiste et que de faire une distinction entre les arts majeurs et mineurs, les médiums de l’art (la peinture, la sculpture, la photographie, la vidéo, etc.), et la publicité, la mode ou le design, n’est pas pertinent ?

L’art et le public
2 | On sait que, de nos jours, aller au musée, voir de grandes expositions, s’intéresser à l’art, est devenu l’un des pôles symboliques de notre société. Nous ne pouvons certes que nous en réjouir. Cela dit, sans les clefs pour mieux percevoir l’œuvre, que se passe-t-il au juste ? Ne doit-on pas se défier de la tendance à “l’art spectacle”, au “divertissement”, au “zapping” que certaines manifestations dites grand public induisent ? Si oui, comment y remédier ? Par l’éducation artistique à l’école ? Par une plus grande place de l’art et de la culture dans les grands médias nationaux ?

L’art contemporain et l’État
3 | Quel rôle l’État doit-il jouer ? Quelle(s) réforme(s) l’État devrait-il entreprendre pour que la diversité des artistes vivant en France soit mieux représentée – à Paris, mais aussi en région, et ce, évidemment, quels que soient leur médium, leur génération ou leur origine ?

Y a-t-il un art officiel en France ?
4 | Y a-t-il le choix préférentiel d’une “esthétique” au détriment de toutes les autres par les principales institutions françaises (musées nationaux, centres d’art contemporain, FRAC, CulturesFrance, etc.) – une “esthétique” qui, au fil des ans, est devenue quasi officielle ? Si oui, laquelle ? Et pour quelles raisons ?

La place de la France ?
5 | Aujourd’hui, comme ce fut le cas dans l’entre-deux-guerres, des artistes de toutes origines résident en France. Comme on le sait, la diversité (Picasso, Brancusi, Chagall, Man Ray, etc.) a fait partie intégrante de la prépondérance de la France par rapport aux autres nations du marché de l’art. Or, aujourd’hui, les artistes de la “scène française” sont peu ou prou marginalisés. Quelles sont pour vous les priorités nécessaires pour leur reconnaissance ? Comment concevez-vous le rôle des galeries ? Des fondations ? Des collectionneurs privés ? Du mécénat ? Des foires d’art contemporain ?

Histoire de l’art
6 | Sans les cinéphiles, tout le monde ignorerait le cinéma d’auteur. Sans les lecteurs passionnés de littérature, les bons écrivains qui finissent par émerger de l’édition courante. Dans les arts plastiques, les tenants de “l’avant-garde” – en déniant toute validité au regard d’autrui (des autres artistes, des critiques, des conservateurs de musée, des collectionneurs, du premier cercle des amateurs d’art, du public éclairé, etc.) – semblent cautionner une amnésie générale de l’histoire des formes permettant la promotion de “nouveautés” déjà fort éculées. Autrement dit : l’histoire de l’art (c’est-à-dire la chronique des mouvements et des œuvres qui créent un avant et un après) continue-t-elle à se constituer malgré l’uniformisation esthétique produite par les inévitables effets de modes, ou est-elle vouée à disparaître ?

 
Ernest Pignon-Ernest
Né en 1942

Son œuvre, qui fut l’une des premières à s’exposer dans la rue, mêle le dessin, l’affiche, la photographie et l’installation. Témoignant de combats sociaux, humanitaires et/ou poétique, elle allie l’élégance plastique à l’inscription ponctuelle dans un lieu. Incontournable. Signataire de la pétition.
« Flatter le sentiment de caste, d’être une élite d’avant-garde éclairée… Après “l’art qui interroge l’art”, ça se resserre : l’art qui ne parle qu’au milieu de l’art.  »

1 | Vous avez raison de commencer par ça. Cette espèce de flou, de “tout égal”, “tout se vaut” qui s’est développé au début des années Lang est sûrement une des causes des dérives que nous connaissons aujourd’hui. C’est durant cette période – et ça n’a fait que s’aggraver – que l’on a assisté à la nomination de fonctionnaires culturels émergents qui ont instillé dans le domaine de l’art des comportements tendance venus de la communication et de la mode. Il y a quelques jours, un ami collectionneur qui venait d’acquérir un Rebeyrolle m’a raconté qu’un de ces inspecteurs de l’art lui avait dit : « Vous avez vingt ans de retard… » Ce n’est pas ce qui se porte cette année.

2 | Je doute que l’on puisse vraiment “y remédier”. Cet art que vous qualifiez “spectacle” ou “zapping” est naturellement sécrété et modelé par la marchandisation généralisée de la société. Face à ce constat – excusez-moi, j’anticipe sur la question suivante –, le rôle de l’État pourrait être d’œuvrer à rééquilibrer les choix dictés “hégémoniquement” par le marché et ses ramifications. Je pense par exemple à ce qui s’est passé pour les arts dramatiques. Si, face au théâtre privé et à sa nécessaire rentabilité, il n’y avait eu les maisons de la culture puis les centres dramatiques et les scènes nationales, des œuvres comme celles de Koltès ou de Vinaver auraient-elles pu atteindre une vraie audience ? Les propositions de Vitez, Françon, Lavaudant, Py ou Sivadier, trouver leur public ? Dans le domaine des arts plastiques, les représentants du secteur public ont servilement choisi de s’aligner sur les choix du marché international et des modes imposées qui l’accompagnent. Une anecdote récente et révélatrice pour étayer ce constat : la commission chargée de choisir les œuvres liées à l’installation du tramway à Nice a abouti à la décision d’implanter une œuvre de Jeff Koons sur la place principale de la ville. Peut-on faire un choix plus convenu, plus servilement subordonné ? Qui n’a pas son caniche ? Finalement, aux dernières nouvelles, l’œuvre était trop chère, la ville y aurait renoncé ! Pour revenir à la question, bien sûr il faut souhaiter un vrai projet de sensibilisation artistique à l’école. On y rencontre des expériences remarquables qui reposent beaucoup sur la générosité, l’enthousiasme, la culture des professeurs. Souvent, ça frise l’apostolat. Il faudrait une volonté politique, c’est-à-dire aussi des moyens. Mais la question reste le rôle, la fonction de l’art au sein de la société.

3 | À voir le bilan de quelques décennies de politique “arts plastiques”, la question n’est-elle pas plutôt : l’État (et son ministère de la Culture) doit-il jouer un rôle ? Récemment, Mme Tasca a déclaré que les arts plastiques étaient entre les mains d’une nomenklatura. Dommage qu’elle n’ait pas fait ce constat lorsqu’elle était rue de Valois ! Il s’est en effet constitué – et tous les ministres de la Culture depuis trente-cinq ans y ont contribué – un véritable quadrillage du territoire, un “normatage” à la fois bureaucratique et mondain de la création. En 1984 déjà, j’ai assisté à cette scène : un conseiller artistique disait au directeur d’une galerie municipale « Si tu ne fais pas les conceptuels Allemands, t’as plus un sou. » On peut, depuis, collecter une multitude de diktats de cet ordre.
Sans que rien dans leur parcours, leur expérience ne le justifient, des fonctionnaires décident de ce qu’est, de ce que doit être l’art d’aujourd’hui. Fonctionnaires parés de tout le confort et les sécurités que cela assure… Il leur faut paraître audacieux et subversifs ! Ce désir, conjugué à la naïve et narcissique obsession de n’avoir rien loupé, en fait des gogos prêts à avaler les plus indigentes transgressions et (en se promouvant), les promouvoir. On mesurera combien, conformisme en creux, ce fonctionnement est symétrique et, dans le fond, héritier de la bourgeoisie du XIXe siècle, refusant toute innovation. On a les Bouguereau que l’on mérite. Combien de ces expositions aux provocations convenues, qui n’avaient pour objectif implicite que les commissaires apparaissent eux-mêmes pour les créateurs. Le beurre, l’argent du beurre et…
Parce qu’il aboutit à des diktats, des radiations, des censures, qu’il porte atteinte à des principes démocratiques de base, qu’il participe de fait au rejet de l’art d’aujourd’hui et en fausse gravement l’appréhension, il est évident qu’il faut remettre en cause le pouvoir dirigiste et opaque octroyé au clergé autoproclamé de l’art contemporain. Je sais, bien sûr, que certains dans ces services ont une autre conception de leur rôle et qu’ils tentent de lutter contre ces dérives… mais la peau du pachyderme est épaisse. En même temps, on pourrait se demander si ce type de comportement, notamment cette propension à s’aligner sur les goûts (des) dominants, n’est pas comme la nature de cette fonction. Un responsable de la DAP m’a assuré récemment : « Tu sais, j’ai engagé des types qui n’étaient pas dans la ligne… Six mois après, ils faisaient les mêmes choix que les autres. » Pour limiter ces formatages que génèrent les dogmatismes bureaucratiques successifs, il serait nécessaire que les institutions œuvrent essentiellement à diversifier, à multiplier les sources de commandes, de propositions, de projets d’expositions et les sources de stimulation et de financement à tous les niveaux et dans tous les secteurs de la société (régions, communes, associations, entreprises, syndicats, comités d’entreprise). Qu’elles visent à favoriser l’éclosion du plus large éventail d’œuvres dans la plus grande diversité de formes, de technologies, de médiums. C’est-à-dire le contraire du “normatage” en cours.

4 | Une esthétique officielle exigerait des choix étayés, une pensée, des critères… C’est dire qu’on ne peut pas parler d’esthétique officielle, il s’agit plutôt de clans officiels, d’artistes officiels promus en fonction des modes et des stratégies personnelles, des plans de carrière de fonctionnaires au goût et à l’échine assez souples pour aimer ce qu’il faut aimer, quand il faut l’aimer… On pourrait répertorier un jour les passions successives de certains et leurs retournements de veste… se souvenir de ces spécialistes de l’art contemporain qui professaient que la peinture était une vieillerie dont il n’y avait plus rien à attendre et qui ont trouvé subitement génial tel peintre (méprisé la veille) dès lors qu’un collectionneur éminent – c’est-à-dire riche et influent – en avait acquis quelques œuvres. Le néo-académisme en cours (qu’est-ce que l’académisme, sinon l’art fait directement pour le musée ?) est adaptable. Il peut aller du presque rien à prétention conceptuelle au bric-à-brac étalagiste kitsch. L’objet trivial, le kitsch, la dérision sont tendance… pendants plastiques de l’idéologie “fin de l’histoire”. Ce ne sont pas des choix innocents… Il est bon aussi que les œuvres n’aient aucune résonance, aucun sens en dehors des systèmes de référence convenus, en cours dans le milieu. Flatter le sentiment de caste, d’être une élite d’avant-garde éclairée… Après “l’art qui interroge l’art”, ça se resserre : l’art qui ne parle qu’au milieu de l’art.

5 | Sachant que nos institutions sont notablement mieux dotées que celles des pays comparables, cette marginalisation dit assez l’échec de la politique menée. J’espère que d’autres répondant à cette question sauront donner le pourcentage d’artistes travaillant en France exposés au centre Pompidou…

6 | Comme pour le cinéma ou la littérature, il existe des passionnés d’art plastique, j’en ai la preuve chaque jour. L’uniformisation esthétique dont vous parlez ne concerne qu’une partie ciblée de la création, celle qui pour l’essentiel propose des œuvres fabriquées à dessein pour plaire et répondre à la demande du moment. Mais l’histoire a montré que les œuvres véritablement novatrices, exigeantes et chargées, qui ne parlent pas que d’elles-mêmes, mais de l’art, de notre temps, des hommes, de leur vie, de leur mort, sont rarement celles promues par les instances officielles de légitimation.

BOR082.jpg
Le temps fait son oeuvre de Michel Bories
dans Disparition aux Cahiers de l'Égaré
 

D'autres réponses sur le site de la revue
 
Lire la suite