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bric à bracs d'ailleurs et d'ici

Welcome to New York, une bonne critique

8 Juin 2014 , Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G.

Welcome to New York

Abel Ferrara

J'ai vu ce film il y a déjà quelques jours. Pourquoi ai-je voulu le voir ? Pour me faire mon idée sur cet objet. La polémique entre les producteurs-créateurs-acteurs de la fiction et les protagonistes de la réalité, les critiques très négatives sur le film, cela m'incitait à le regarder. Je n'aime pas trop qu'on me dicte mon jugement.

Mais aussi ce n'est qu'un film et j'aurais pu me dispenser de le regarder. Après tout, j'ai des urgences de pensée plus centrées sur mes désirs du moment, par exemple sur les évidences du temps. Si donc je l'ai regardé, c'est qu'il excitait ma curiosité. Elle n'a pas été déçue. Je pense, contrairement à la réception dominante qu'on a affaire à un film qui restera, (voir une critique sur agoravox, en bas de page) pas du tout un navet, un objet obscène, injurieux. La construction est faussement chronologique, il y a des flash-backs, un monologue intérieur comme un examen lucide sur soi à un moment, un retour en arrière quoi.

Les dialogues, considérés comme indigents, m'ont accroché par leur sècheresse, leur tranchant, leur crudité. On ne tourne pas autour du pot, on est dans le ressenti, pas dans la pensée. On s'affronte à vif, à cru, c'est dur, diffamatoire a-t-on dit.

Les scènes de sexe m'ont paru rabelaisiennes, pas toutes bien sûr, celles du début, joyeuses et pas tristes comme on a dit (la chair est triste, hélas, Mallarmé). Cette manière de prendre de la distance tout en ahanant comme une bête sur une croupe, dans un vagin, en tapotant fesses et seins m'a fait rire. L'acteur dit ne pas aimer l'homme qui prend du plaisir en 6 minutes. En action, l'acteur se moque de son personnage Devereaux. Il baise et rit au fond de lui de ce qu'il nous donne à voir. C'est de la baise caricaturée. Pas évident comme exercice. Mais pour moi, ça a fonctionné. Je ne risque pas de devenir un adepte de ces lècheries de chantilly sur corps de femmes-objets. Les deux flash-backs concernent deux épisodes de séduction car Devereaux-Depardieu est formidablement séducteur. La première séduction se déroule jusqu'à conclusion ; c'est une réussite, une belle histoire d'un moment. La seconde vire à l'agression ratée sur une journaliste. Scène violente. Un même homme, une addiction, des comportements qui changent en fonction de ce qui se présente, en fonction partiellement du consentement ou de la résistance de l'autre. Et il y a la scène de la chambre d'hôtel. Scène violente, assez peu explicite. Que fait Devereaux ? Oblige-t-il l'employée à une fellation ? Il dira qu'il s'est masturbé à hauteur de sa bouche. Il expose sa philosophie de la sexualité au restaurant, à sa fille et à celui qui prétend à elle. La bouillabaisse est une partouze de poissons. Ce n'est pas un crime d'aimer la multiplicité des rencontres et des rapports, peu regardant sur les moyens, étant donné son pouvoir, à la fois de séducteur et d'homme puissant. Comme c'est la dénonciation de l'employée qui conduit à la chute du puissant, les scènes d'explication entre l'épouse, Simone et le coupable sont importantes. Simone est une femme éprise, elle a le sens de la dignité. Elle veut savoir, n'obtient pas ce qu'elle veut, la vérité, met tout de même en œuvre sa fortune pour sortir son mari des griffes de la police et de la justice américaines. Dans ces scènes aux répliques improvisées semble-t-il, ce qui est significatif, on est sensible à leur maladresse, ça va plus loin que ce qu'on veut dire, on blesse, on se blesse, on veut se rapprocher, on se refuse, on fait le point sur les ambitions respectives, la première dame, le futur président. Une évidence, l'homme puissant ne veut pas devenir président, l'homme puissant ne veut pas être sauvé de son addiction. Tant devant le psychiatre qu'avec les journalistes, il est clair, il ne regrette rien, il ne veut pas changer, il veut seulement sortir des griffes américaines et réclame l'aide de Simone, même s'il déteste d'où vient son argent.

La partie concernant l'arrestation, les conditions de détention, le procès, l'abandon des poursuites est traitée rapidement sauf les séquences de la fouille au corps et de la cellule. J'ai trouvé la fouille au corps forte, on est du côté du détenu, l'empathie est forte à ce moment-là et assez souvent dans le film. Le puissant déchu n'est pas malmené par le cinéaste qui ne s'acharne pas sur lui. La preuve en est donnée à la fin avec un personnage ne disant rien après son monologue et nous regardant dans les yeux. Si vous voulez me juger, je vous mets au défi d'essayer. Cette fin est ouverte. Cela me renvoie à l'interview du début où c'est l'acteur Depardieu qui est interviewé, qui ne nomme pas le personnage réel référent. Il nous dit haïr les hommes politiques, ne pas vouloir jouer, il ressent et en même temps rit intérieurement de ce qu'il fait alors même qu'il nous émeut, nous fait rire ou pleurer.

Cette interview met en abyme le film, complexifie sa réception. Ce n'est pas comme le dit le bandeau introductif, à la fois un film s'appuyant sur des choses vues par tout le monde suite à l'énorme médiatisation de l'affaire et une fiction sur en particulier les scènes dans le loft à 60000 dollars par mois. C'est un film sur des corps d'acteurs se saisissant à leur façon de leurs personnages (un Gérard Depardieu, géant, une Jacqueline Bisset, dérangeante), dans une situation de grande crise sous le regard du monde entier, c'est le film d'un réalisateur qui semble comme son acteur renoncer à la maîtrise, qui ne peaufine pas ses scènes, ses dialogues, son montage, ses cuts, un réalisateur qui se moque de sa filmographie, de ses films-culte, un réalisateur de sa chute accompagnant la chute d'un puissant et celle d'un acteur à un moment critique de sa carrière immense.

En clair, ce film restera et deviendra un film-culte par ce qui semble être ses défauts, insuffisances, maladresses, provocations (allez tous vous faire enculer, droit dans nos yeux), énormités, outrances.

Jean-Claude Grosse

remarque en date du 31 décembre 2023 : ce film, jamais sorti en salle, visible seulement en VOD, ne deviendra jamais un film culte, l'affaire Depardieu, déclenchée le 7 décembre 2023 par Complément d'enquête provoquant la chute de l'ogre

je ne corrige en rien ma note du 8 juin 2014 : elle me permet d'évaluer le chemin que j'ai fait, celui qu'il me reste à faire. Je sais ce que je n'ai jamais voulu dans mes histoires d'amour (avec désir préalable). Je sais aussi que je suis peut-être trop facilement empathique avec le pire. Parce que je sais que potentiellement, nous sommes tout, d'innocent à monstre selon deux titres de livres de Depardieu.

Welcome to New York, une bonne critique
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