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note de lecture

Lettres familières de Pétrarque à son frère

Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #J.C.G., #note de lecture, #pour toujours

en lien avec le projet de Ernest Pignon-Ernest sur Pétrarque
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Les lettres familières de Pétrarque
à son frère Gherardo,
moine
à La Chartreuse de Montrieux

La Chartreuse de Montrieux, ce 25 mai 2006, à midi,
où a été présenté le texte ci-dessous,
donné ensuite aux moines chartreux.

La Chartreuse, le 8 octobre 2005

Pétrarque a écrit 6 lettres familières et une lettre de la vieillesse à son frère Gherardo.
Les 6 lettres sont disponibles en version bilingue : latin-français depuis 2005 aux Belles Lettres.
La lettre de la vieillesse ne sera disponible qu’en 2006 ou 2007, aux Belles Lettres.
La 1° lettre est du 25 septembre 1349, plus de 6 ans après la prise de l’habit par Gherardo.
La 2° est du 2 décembre 1349.
La 3° est du 11 juin 1352.
La 4° non datée a été écrite probablement entre janvier et février 1353.
La 5° est du 7 novembre 1353.
La 6° est du 25 avril 1354.
Dans ces 6 lettres, nous ne trouvons pas d’indications sur la région sauf une référence à la grotte de la Sainte Baume, non nommée comme telle mais comme grotte où se retira Marie-Madeleine, grotte visitée par Gherardo et aussi par Pétrarque.
La 4° est celle qui nous en dit le plus. Gherardo a survécu seul à la peste de 1348. Il a perdu ses 34 compagnons de prière. Il a défendu seul la Chartreuse contre les brigands en leur parlant. Il a obtenu du prieur de la Grande Chartreuse, Jean Birelle, de choisir un nouveau prieur et des moines pour restaurer Montrieux.
Les autres lettres sont des méditations provoquées par la réception d’un coffret de buis et d’une lettre de Gherardo, par l’envoi d’un exemplaire des Confessions d’Augustin à Gherardo. Pétrarque semble fier de la fermeté de la foi de son frère, se met à son niveau par les références aux Pères de l’Église et à des philosophes ou sages de l’Antiqité. Il s’interroge sur lui-même, est partagé entre une attitude de pénitence, de repentance et une attitude d’humaniste, ne pouvant renoncer aux biens de ce monde, variables avec l’âge (on ne désire pas les mêmes choses, jeune, puis vieux). Malgré l’admiration qu’il éprouve pour son frère, on sent que Pétrarque est soucieux d’autre chose que de vivre dans la gloire de Dieu et pour Dieu, même si celui-ci est évoqué de nombreuses fois. La piété de Pétrarque, réelle, n’est pas suffisante pour l’amener à renoncer par exemple à son amour idéalisé pour Laure qui va l’occuper toute sa vie, avec les 10 rédactions successives du Canzoniere, son chef d’œuvre en italien quand il était persuadé qu’il passerait à la postérité par ses écrits en latin.
Pétrarque François est né le 20 juillet 1304 à Arezzo en Italie qui n’est pas encore l’Italie.
Gherardo est né en 1307.
En 1311, la famille quitte Pise pour le Vaucluse où se trouve la Papauté, en Avignon. Elle s’installe à Carpentras.
Vers 1316, Pétrarque découvre le site de la Fontaine du Vaucluse.
Entre 1320 et 1326, les deux frères étudient le droit à Bologne.
Dante meurt en 1321. Avec lui, meurt une certaine conception du monde, un certain usage de la vie caractérisée par un ascétisme que l’on commence à trouver excessif parce qu’une nouvelle classe émerge, la bourgeoisie, et qu’avec elle va émerger une nouvelle vision de la vie qui ne mérite pas tant de malédictions et dans laquelle il y a place pour la douceur du monde, les plaisirs, la beauté, les beautés. Certes, on continue à croire que le perfectionnement compte plus que la joie mais on voit bien qu’avec Pétrarque, Laure n’a pas le même statut que la Béatrice de Dante. La chair sourit, le soleil brille, l’homme a des désirs et des rêves, la volonté fléchit, la mélancolie et l’angoisse surgissent, l’élégie redevient possible. Avec Laure, on peut dire que Béatrice, symbole de la divinité, conduisant l’homme vers la perfection par des raisonnements élevés, conscience vigilante de l’homme, devient la beauté qui inspire des sentiments sublimes. Laure a levé les yeux, a souri à l’homme qui l’aime et voilà que Laure se promène dans les prairies, au bord des ruisseaux, contemple son image dans les sources, cueille des fleurs. Le poète ose la regarder, non comme une idée, un idéal mais comme la Femme prête à se laisser contempler par son amant.
Pétrarque vit ce changement de vision avec culpabilité et c’est cette tension entre hier et aujourd’hui, entre la nécessité de la perfection et son impossibilité pour lui, qui va faire la matière de son œuvre, partagée entre les œuvres latines édifiantes et l’œuvre en langue vulgaire où il cède à l’avidité du regard contemplatif, osant regarder les yeux, les mains, le visage, les cheveux, le sourire de la Femme aimée, ce que Dante n’avait pas osé faire.
Pétrarque renverse donc la perspective dantesque. Quand Dante projette la terre vers le ciel, Pétrarque trouve le ciel sur terre, sentiment religieux à rebours, nourri de la nostalgie des formes aimées et disparues, de l’angoisse impuissante de voir s’évanouir dans le néant ce corps adoré.
Revenons à la biographie.
Le 6 avril 1327, il rencontre Laure en l’église Sainte-Claire d’Avignon, vision décisive et définitive qu’il chantera toute sa vie.
En 1333, il reçoit d’un moine un minuscule exemplaire des Confessions d’Augustin qui l’accompagnera toute sa vie et qu’il donnera en 1374, peu avant sa mort, à un jeune moine augustinien. Il fait cadeau en 1354 d’un exemplaire des Confessions, copie transcrite par un jeune familier de Pétrarque, à son frère, cadeau évoqué dans la 6° lettre.
Le 26 avril 1336, il entreprend l’ascension du Ventoux avec son frère, véritable exploit pour l’époque. Au sommet, il ouvre au hasard son exemplaire des Confessions et tombe sur ce passage : « Et les hommes s’en vont admirer les hauts sommets, les immenses houles marines, les fleuves au large cours, l’Océan qui tout embrasse, les révolutions des astres ; et ils se laissent eux-mêmes à l’abandon. » Gherardo est saisi par ce passage, veut en entendre davantage mais François n’en lira pas plus. Il s’est perdu dans la montée quand son frère est arrivé sans encombres, il est fatigué, la montée a duré 7 ou 8 heures, il faut redescendre à Malaucène, il y en a pour 6 heures encore.
Gherardo doit sans doute sa vocation, sa conversion, à cette ascension et aux Confessions mais elle ne se révèlera qu’après la mort de celle qu’il aime en 1340. Laure, elle, sera emportée, comme le cardinal Colonna, protecteur de Pétrarque, par la peste de 1348. François apprendra la nouvelle le 19 mai 1348.
Gherardo décide de se retirer du monde à Montrieux et prend l’habit de moine en avril 1343.
Pétrarque passera un jour et une nuit à Montrieux, début 1347, visite à la suite de laquelle il écrira en latin le De otio religioso dédié aux moines chartreux.
Le 6 avril 1341, Pétrarque avait été spectaculairement couronné Prince des Poètes au Capitole à Rome. Il avait tout mis en œuvre pour obtenir cette consécration.
Pétrarque passera le 20 avril 1353 à Montrieux avant de quitter définitivement la Provence pour l’Italie, fin mai ou début juin 1353. Il s’installe d’abord à Milan au grand dam de son ami Boccace puis à Venise à la demande des doges où il reçoit un palais en échange de ses manuscrits car Pétrarque, fantastique érudit, avait réussi à dénicher des manuscrits rares.
En 1368, il s’installe à Padoue-Arquà. Il meurt le 19 juillet 1374 à sa table de travail et est enseveli dans l’église d’Arquà.
Le Canzoniere, commencé en 1342 (Laure a été vue le 6 avril 1327), prendra toute sa vie : en 1374, il travaille à la 10° rédaction de ce texte qu’il récusait pourtant.
Revenons au contenu des lettres.
La 1° lettre évoque les années de dissipation (1326 et après) dont seul Gherardo réussit à se libérer par la conversion. Comme toujours chez Pétrarque, érudit, l’imitation des Anciens est une source d’inspiration. Pour cette lettre, le fond doit aux Confessions d’Augustin et la forme aux Psaumes de David.
Avec la 2° lettre, Pétrarque envoie Parthenias, première églogue écrite en 1347 de son Bucolicum carmen, dans laquelle Pétrarque affirme que les Psaumes de David ne sont pas seulement un témoignage de foi mais aussi une œuvre poétique, développant ainsi cette thèse que la poésie a une origine religieuse et que la théologie est une poésie ayant Dieu pour objet.
Le 10 juin, veille du jour où Pétrarque rédige sa 3° lettre, il reçoit de Gherardo, un coffret de buis réalisé par son frère lui-même et une lettre de conseils, composée en grande partie de citations des Pères de l’Église, lettre perdue. La lettre de Pétrarque développe les raisons de la diversité observée entre les êtres humains et en un même être. Je n’ai pu m’empêcher d’entendre Montaigne, deux siècles et demi plus tard. Pétrarque emprunte à Aristote sa tripartition entre vie voluptueuse, vie politique et vie contemplative.
La 4° lettre est consacrée au courage de Gherardo pendant la peste de 1348.
La 5° est en relation avec un livre écrit par Gherardo sur la philosophie chrétienne et sur les principes à suivre pour une vie qui lui soit conforme, livre dont une copie a été remise à François. Ce livre est également perdu. Pétrarque s’interroge sur quelle est la vraie philosophie, quelle est la vraie loi et quel est leur meilleur maître à toutes les deux.
La 6° lettre en lien avec le cadeau d’une copie des Confessions à Gherardo aborde le sujet des livres et de leurs copies et pourquoi les copies des savants comportent plus d’erreurs que celles des copistes.
Comme on le voit, les circonstances d’écriture conditionnent en partie le sujet des lettres mais l’érudition de Pétrarque, sa culture donnent à ses lettres une dimension qui dépasse les circonstances, lui permettant de s’adresser à tout un chacun.
Pour conclure, on mesure cependant, en lisant ces lettres aujourd’hui, notre inculture de fond, l’absence de fréquentation des textes anciens, y compris religieux, expliquant cette distance entre nous et Pétrarque.
Je ne suis pas sûr que nous ayons perdu quelque chose d’essentiel en perdant ce qui sollicitait Pétrarque ou Dante. Nous avons trouvé d’autres interrogations, d’autres visions du monde, d’autres façons de vivre. En essayant de me situer à peu près au même niveau, à la même hauteur d'exigence que Gherardo ou François Pétrarque, il me semble que la sagesse tragique d’un Marcel Conche répond mieux à mes attentes, à mes envies fortes de vivre vraiment ma vie, que la vocation de Gherardo pour la voie de la perfection, ou que le clivage de Pétrarque entre son aspiration à la vraie vie spirituelle et sa complaisance pour la vie mondaine que par ailleurs il critique. La perfection recherchée par Gherardo, l’écartèlement de Pétrarque, cela ne me parle pas, ne me mobilise pas, ne correspond pas à mon expérience. Je suis en recherche d’authenticité et de vérité, comme eux sans doute, mais sur cette voie, j’ai d’autres maîtres: Montaigne et Marcel Conche.


Jean-Claude Grosse, ce 25 mai 2006

 

La Chartreuse de Montrieux, ce jeudi 25 mai 2006, à midi.

La Chartreuse, le 8 octobre 2005


PS : Une légende veut que Pétrarque se soit arrêté au Revest en rendant visite à Gherardo. Rien dans les lettres ou dans les notes érudites ne permet d’accréditer la légende. Pour se rendre à Montrieux depuis le Vaucluse, le passage par Le Revest ne semble pas se justifier.
Mais on peut se rendre à Montrieux depuis Le Revest en passant par Siou Blanc et son pierrier, une xalada selon un terme du Canzoniere. Il faut 2 bonnes heures de marche.
Le Revest a donné le nom de Pétrarque à la salle de spectacle de la Maison des Comoni, le 1° juillet 1990. Pétrarque est donc associé aux activités artistiques et culturelles de ce lieu rayonnant : c’est une autre forme de couronnement ; c’est une reconnaissance légitime quand on sait l’influence de Pétrarque depuis 6 siècles sur la poésie et ses formes, en particulier le sonnet, jusqu’à Baudelaire en passant par Lamartine, qui lui a consacré un de ses cours familiers de littérature.

Une des 3 manifestations Poètes en partage qui se sont déroulées aux Comoni  a été consacrée à Pétrarque dit en latin, en italien et à René Char. 

 

La Chartreuse de Montrieux, ce 25 mai 2006, à midi,
où a été présenté le texte ci-dessus,
donné ensuite aux moines chartreux.

La Chartreuse, le 8 octobre 2005
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Diego Rivera et Frida Kahlo

Rédigé par grossel Publié dans #FINS DE PARTIES, #J.C.G., #note de lecture

couvertures du roman de Claire Berest et de la biographie de JMG Le Clézio
couvertures du roman de Claire Berest et de la biographie de JMG Le Clézio

couvertures du roman de Claire Berest et de la biographie de JMG Le Clézio

Pour mon anniversaire, cadeau : Rien n'est noir de Claire Berest. Le livre est tout frais et pour les anniversaires, on offre du frais, du fraîchement imprimé.

Le titre renvoie à la palette de couleurs évoquée par Frida dans son Journal.

... Bleu de cobalt : électricité, pureté. Amour

Noir : rien n'est vraiment noir ...

L'essentiel des titres des chapitres est constitué de couleurs, des bleus à Mexico dès 1928, des rouges à New York, 1930-1932, des jaunes à Mexico, New York, Paris, 1933-1940 puis rien n'est noir, réellement rien

le roman se termine à Mexico en 1954, avec la sortie, le 13 juillet 1954

" j'espère que la sortie sera heureuse et j'espère ne jamais revenir ", dernière page de son Journal, à côté d'un dessin représentant l'Ange  Noir de la Mort.
Claire Berest dit très bien sa fascination durant plus de 15 ans pour Frida, au point de prénommer sa fille, Frida (quel héritage s'est ainsi transmis !) sans aucunement songer à écrire sur elle; en fait, Frida est une compagne de vie jusqu'à l'évidence un jour, soufflée par le compagnon tu devrais écrire sur Frida. L'usage de la 3° personne, une narratrice raconte, ne cache pas la passion névrotique (?) animant l'auteur voulant tout vivre et tout faire vivre de la vie privée, intime, publique, officielle de ses deux personnages. Projection assurée, assumée même quand ils font l'amour, qui baise au moment de l'écriture ? qui est baisé au moment de la lecture ?

Ce roman se lit bien, avec quelques coquetteries qui m'ont obligé à chercher la définition de 4 ou 5 mots, déjà oubliés.

Évidemment, je suis allé chercher à Frida Kahlo et Diego Rivera pour faire un peu le tour des oeuvres, des vies, des commentaires, des héritages, des récupérations. C'est Frida que j'ai privilégiée pour cet article.

Dans la foulée, comme je l'avais en réserve depuis plusieurs années, j'ai lu le Diego et Frida de J.M.G. Le Clézio. Une biographie dans laquelle Le Clézio s'implique. Très documenté et à la hauteur des enjeux.

Le Mexique de 1910, le pays de la première révolution sociale (même pas prolétarienne, non, paysanne avant celle des soviets, 1917). Avec tout ce qui s'en est suivi, répression, assassinats, contre-révolution, sursauts démocratiques, alternances des forces au pouvoir, très réactionnaires ou progressistes sans être révolutionnaires. L'Union soviétique comme modèle pour les communistes dont Diego et Frida, sauf pour l'art. Le réalisme soviétique, niet ! Le surréalisme ? ils sont en désaccord. Trotsky et sa conception, son manifeste attribué à Breton (Patrick Deville, Viva). Diego a une vision de l'art comme retour aux origines, dans la culture indienne et comme faisant le pont par delà le capitalisme triomphant aux USA (malgré la crise) avec l'avènement du communisme mondial. Le muralisme dont il est le représentant le plus célèbre est un apport considérable à l'art populaire, par et pour le peuple, pour son éducation et son émancipation. Frida n'a pas de conception préconçue de l'art. Elle peint, se peint mais sa peinture instinctive va aller puiser dans coins et recoins de l'inconscient et du corps martyrisé avec un réalisme et un symbolisme époustouflants. Son amour absolu pour Diego va être la colonne vertébrale (brisée ?) du déploiement du génie de Diego comme Diego pour Frida va être Diego commencement Diego constructeur Diego mon enfant Diego mon fiancé Diego peintre Diego mon amant Diego "mon mari" Diego mon ami Diego ma mère Diego mon père Diego mon fils Diego = Moi = Diego l'Univers. (Journal)

Lorsque Frida annonce son intention d'épouser Diego Rivera, son père a ce commentaire acide : « ce seront les noces d'un éléphant et d'une colombe ». Tout le monde reçoit avec scepticisme la nouvelle du mariage de cette fille turbulente mais de santé fragile avec le «génie» des muralistes mexicains, qui a le double de son âge, le triple de son poids, une réputation d'«ogre» et de séducteur, ce communiste athée qui ose peindre à la gloire des Indiens des fresques où il incite les ouvriers à prendre machettes et fusils pour jeter à bas la trinité démoniaque du Mexique - le prêtre, le bourgeois, l'homme de loi. Diego et Frida raconte l'histoire d'un couple hors du commun. Histoire de leur rencontre, le passé chargé de Diego et l'expérience de la douleur et de la solitude pour Frida. Leur foi dans la révolution, leur rencontre avec Trotski et Breton, l'aventure américaine et la surprenante fascination exercée par Henry Ford. Leur rôle enfin dans le renouvellement du monde de l'art.
Étrange histoire d'amour, qui se construit et s'exprime par la peinture, tandis que Diego et Frida poursuivent une œuvre à la fois dissemblable et complémentaire. L'art et la révolution sont les seuls points communs de ces deux êtres qui ont exploré toutes les formes de la déraison. Frida est, pour Diego, cette femme douée de magie entrevue chez sa nourrice indienne et, pour Frida, Diego est l'enfant tout-puissant que son ventre n'a pas pu porter. Ils forment donc un couple indestructible, mythique, aussi parfait et contradictoire que la dualité mexicaine originelle, Ometecuhtli et Omecihuatl.

liens sur le Journal de Frida Kahlo

https://hal-univ-tlse2.archives-ouvertes.fr/hal-00941216/document

https://www.cairn.info/revue-reliance-2005-4-page-118.htm#

https://www.revue-ballast.fr/frida-kahlo/?pdf=4432

« L’art de Frida, disait André Breton, est un ruban noué autour d’une bombe. » Le temps a passé, Frida pour moi se trouve en phase avec plein de combats qui se mènent aujourd'hui et qui tentent de penser, de sentir, d'agir en harmonie avec la Vie
« L’art de Frida, disait André Breton, est un ruban noué autour d’une bombe. » Le temps a passé, Frida pour moi se trouve en phase avec plein de combats qui se mènent aujourd'hui et qui tentent de penser, de sentir, d'agir en harmonie avec la Vie
« L’art de Frida, disait André Breton, est un ruban noué autour d’une bombe. » Le temps a passé, Frida pour moi se trouve en phase avec plein de combats qui se mènent aujourd'hui et qui tentent de penser, de sentir, d'agir en harmonie avec la Vie
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« L’art de Frida, disait André Breton, est un ruban noué autour d’une bombe. » Le temps a passé, Frida pour moi se trouve en phase avec plein de combats qui se mènent aujourd'hui et qui tentent de penser, de sentir, d'agir en harmonie avec la Vie

les noces d'un éléphant et d'une colombe d'après le père de Frida, le double mariage de la colombe et de son crapaud. « L’art de Frida, disait André Breton, est un ruban noué autour d’une bombe. »
les noces d'un éléphant et d'une colombe d'après le père de Frida, le double mariage de la colombe et de son crapaud. « L’art de Frida, disait André Breton, est un ruban noué autour d’une bombe. »
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les noces d'un éléphant et d'une colombe d'après le père de Frida, le double mariage de la colombe et de son crapaud. « L’art de Frida, disait André Breton, est un ruban noué autour d’une bombe. »

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Passagère du silence/Fabienne Verdier

Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G., #note de lecture

quelques livres de, sur, avec Fabienne Verdier
quelques livres de, sur, avec Fabienne Verdier
quelques livres de, sur, avec Fabienne Verdier
quelques livres de, sur, avec Fabienne Verdier
quelques livres de, sur, avec Fabienne Verdier
quelques livres de, sur, avec Fabienne Verdier
quelques livres de, sur, avec Fabienne Verdier
quelques livres de, sur, avec Fabienne Verdier
quelques livres de, sur, avec Fabienne Verdier

quelques livres de, sur, avec Fabienne Verdier

J'ai lu Passagère du silence de Fabienne Verdier, vers mi-avril 2019, chaque jour pendant plusieurs jours sur une terrasse donnant sur la basilique de Saint-Denis. Je ne suis pas en mesure de dire en quoi cet environnement, tout près du parc de la Légion d'Honneur très honoré par toutes sortes d'oiseaux que je m'autorisais à écouter, a été favorable à ma réception de ce récit d'apprentissage de la calligraphie chinoise. En tout cas, ce fut une lecture sidérée avec une attention particulière au chapitre 9, Les clochards célestes, pages 200-231 en vieux livre de poche (2003).

Les leçons de Maître Huang Yuan sont puissantes. En voici quelques-unes :

"L'acte de peindre doit être l'agir du non-agir, l'agir naturel, sans désir, qui n'est pas tourné vers le moi. C'est par l'oubli de soi qu'on obtient la fusion avec le ciel, avec le tout. Cesse de penser, de vouloir, de calculer. Instaure en toi la non-contrainte totale pour être en harmonie avec la source de ton coeur. Fuis le rationnel, le conventionnel.

Dans le chaos et l'obscur réside le mystère originel. Suis, toi aussi, le principe cosmique pour donner vie à ta création. Comme le Ciel, crée à partir du chaos. Suis ton intuition et débroussaille l'informe pour aller, à travers les formes, au-delà de celles-ci. Transmets l'esprit des choses et n'oublie pas que l'esprit réside aussi dans les montagnes et les plantes; elles ont une âme, et c'est le Ciel qui la leur a donnée. La forme naît de l'informe: il ne faut pas avoir peur du chaos. Prends un pot, par exemple: c'est le vide qu'il enferme qui crée le pot. Toute forme ne fait que limiter du vide pour l'arracher au chaos.
Quand je peins un arbre, je deviens arbre,
Quand je peins l'eau, je deviens l'eau,
Quand je peins une tectonique,
une tellurique de la montagne,
je deviens tectonique,
Et la chose naît d'elle-même,
Je la vis intensément avec mon coeur,
Et elle apparaît, par moment,
de manière abstraite, de cette manière là.
Le peintre est un chercheur,
Il a besoin de se retirer du monde
pour pouvoir s'extraire du temps des hommes
pour rentrer dans celui de la méditation,
et il n'y a que le silence qui permet ça.
Finalement, nous pourrions dire, et ce serait très joli, que la création d'un tableau est identique à la naissance d'une étoile...
J'ai appris, à la lumière du taoisme et du bouddhisme, qu'il est possible de diriger son esprit dans une direction choisie, pas seulement de le laisser éduquer par la société qui nous environne; et qu'à travers l'ascèse, celle-ci une fois dépassée, on pouvait atteindre l'inaccessible étoile : un grain de sagesse qui est aussi, heureusement, un grain de folie !
Le calligraphe est un nomade, un passager du silence, un funambule. Il aime l'errance intuitive sur les territoires infinis. Il se pose de-ci, de-là, explorateur de l'univers en mouvement dans l'espace-temps. Il est animé par le désir de donner un goût d'éternité à l'éphémère."

Fabienne Verdier, Passagère du silence, Livre de poche

J'irai bien sûr voir l'exposition sur 3 lieux à Aix-en-Provence du 21 juin au 13 octobre 2019, Musée Granet, Pavillon Vendôme, Cité du Livre

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Faire l'amour de manière divine / Barry Long

Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G., #note de lecture, #développement personnel

Faire l'amour de manière divine / Barry Long

Faire l'amour de manière divine

de l'acte charnel à l'amour divin

Barry Long

 

voilà un petit livre qui en dit long, paru en 1993, et continuellement réimprimé chez Pocket (j'ai le tirage octobre 2017) surprenant par ses mots, pénis, vagin, orgasme, masturbation, pénétration, excitation, préliminaires, jeux de l'amour, émotions, sensations

serait-ce un petit manuel de pratique sexuelle ? écrit par un technicien de la machine « sexe » ?

c'est un petit livre nourri de réflexions sur l'état actuel des relations sexuelles et « amoureuses » entre hommes et femmes

c'est un livre qui remonte aux origines, aux temps de l'innocence, donc un temps mythique, un non-temps, l'éternité, avant le travail du temps, la dégradation qui a suivi

il fut donné à l'homme et à la femme de s'aimer de manière divine aux temps d'innocence, puis la manière de faire « l'amour » s'est dégradée en compulsion masturbatoire d'abord masculine puis les femmes s'y sont mises, elle s'est dégradée en recherche égoïste d'excitation, de plaisir, d'orgasme, de jouissance, d'éjaculation, l'autre étant instrumentalisé, bouche pour fellation, lèvres pour cunnilingus

ce petit livre montre bien les différences entre femme et homme, entre vagin et pénis, entre amour et sexe, entre acte d'amour naturel, divin et orgasme mécanique recherché

on est à l'opposé du genre de discours suivant tenu en Avignon : on peut revendiquer haut et fort la liberté d’être à loisir homme, femme, ou les deux mélangés, il n’en demeure pas moins que quand tu nais avec un sexe de femme, ou quand tu deviens femme, que ce soit par le grand tirage au sort de la nature – ah zut pas de chance t’es née avec un vagin - ou par choix, tu fais partie de la caste de celles qui se font baiser, niquer, nier toute leur vie. Parce qu’avant d’être un genre, la sexuation est un déterminisme physiologique, totalement arbitraire, qui, selon que tu reçois un vagin ou une bite à ta naissance, te prédétermine comme sujet dominant ou dominé. (Carole Thibaut au jardin Ceccano, le 13 juillet 2018, Avignon)

ce qui est mis en avant par Barry Long, c'est que la femme, le vagin portent en eux le divin parce que portant la Vie (ça inclue bien sûr la procréation mais la Vie, c'est de l'ordre aussi d'une transcendance, d'un mystère, d'une permanence créatrice, incarnés dans la femme), la femme est ouverture, accueil, beauté, on n'est pas loin de ce que certaines nomment le féminin sacré auquel elles aspirent en se rencontrant, en expérimentant, en l'absence d'hommes bien sûr

le refus ou l'impossibilité des hommes sauf exception de combler le Vide qu'est le vagin, l'attente extatique de la femme ont pour effets le développement d'une haine de la femme pour l'homme qu'elle contribue à faire débander, à rendre impuissant au moment de l'acte, lui-même zob-cédé par sa verge en érection, turgescente, voulant s'assouvir, qu'il en devient éjaculateur précoce, la femme sachant aussi favoriser ce dégorgement quasi-instantané ; absence de contrôle d'un côté, insatisfaction de l'autre, décidément, l'acte d'amour se porte mal et en toute inconscience sauf rares moments, rares personnes

l'homme convoque fantasmes, imagination, émotions et souvenirs passés pour répéter ce qu'il croit être la jouissance, autrement dit, il baise avec d'autres, avec son passé, il n'est pas présence et présent

la femme convoque des rêveries romantiques pour enjoliver ce qu'elle vit comme insatisfaisant, autrement dit elle jouit avec d'autres plus charmants, moins violents, moins agressifs, moins avides, moins gloutons (il n'y a qu'à penser au rapport des mains d'un mec avec les seins d'une femme); elle n'est pas présence, présente

chacun d'entre nous est marqué par cette histoire toujours en cours de la dégradation de l'acte d'amour en acte sexuel orgasmique, c'est une histoire collective, agissante au profond des corps, des sexes par les fantasmes, les images, les attentes, les excitations artificielles ; toute une industrie du sexe et du sentiment corrompt les hommes et les femmes, leur proposant des modèles, des recettes, des paliers, des exercices, des fantasmes, des partenaires d'algorithmes 

on voit où cela peut conduire, le Japon est leader dans ce domaine  dans la mesure où la culpabilité y semble inexistante alors qu'en Occident, le sexe est souvent coupable, vécu avec culpabilité ; l'homme a été le moteur de cette corruption et la femme n'a pu que suivre ; la vision masculine de l'acte sexuel est devenue dominante, mutilante; je rajouterai le rôle des mères dans l'installation du machisme des garçons (modèle de l'homme viril, performant) et dans l'infériorisation, la soumission des filles

ce que Barry Long préconise c'est d'aimer l'acte d'amour, pas la baise, de conquérir par un long, raisonné et patient règlement de tous les sens (l'inverse de la formule d'Arthur) la pleine conscience de ce qui se fait, ici, maintenant avec cette femme-ci, avec ce corps, avec ce vagin, avec ce pénis, deux corps qui se regardent sans projection vers ce qui va advenir, sans attente donc d'une conclusion, donc sans excitation, froidement presque, sans volonté d'aboutir à quoi que ce soit, sans projet pour les 3'40" à venir ; aucune précipitation, du temps, des interruptions si fatigue, endormissement ; le guide, c'est l'amour de ce qui se fait, le don pour l'homme, l'accueil pour la femme, l'enregistrement par les sens de ce qui s'éprouve, se vit ; évidemment, c'est une démarche duelle de conscience, ce sont les deux amants qui sentent, se sentent, s'écoutent, se touchent, se parlent, mettent des mots sur ce qui se vit, en pleine lumière; comme la corruption par l'émotion, le passé est très active, la conscience doit aussi avoir pour tache, la purification, le nettoyage de ces affects, de ces traces, inscrites jusque dans les organes génitaux

cela a t-il à voir avec l'amour tantrique ? L'expression n'est pas employée par Barry Long. Mais je pense qu'il y a des connexions entre les deux approches, plus crue, plus déroutante chez Barry Long ; l'émergence de la dimension spirituelle arrive presque à la fin du livre ; c'est que nous sommes de grands malades, de grands mutilés, de grands handicapés ; alors inutile de nous faire voir trop vite l'arrière-plan spirituel, divin qui est de l'ordre d'une révélation, illumination plus que d'une méditation

je n'ai pu m'empêcher de penser au Banquet de Platon, au mythe de l'androgyne complet, coupé en deux par le dieu, deux moitiés qui se cherchent, se trouvent parfois et là aucune hésitation, parce que c'est toi, parce que c'est moi; bien sûr, l'amour platonique est amour du beau, d'abord incarné dans un beau corps et par élévation (on pourrait dire purification, dématérialisation) devenant amour de l'Idée de Beauté

pas pu non plus m'empêcher de penser à l'amie Emmanuelle Arsan, si mal comprise dans ses romans ou essais mais si lucide, si inventive en jeux d'amour et si amoureuse de l'amour et du sexe; on s'était mis d'accord sur le sens à donner à l'expression faire l'amour, pas la guerre; ça place la barre haut (Bonheur et Bonheur 2, correspondance heureuse sans rien entre nous qui pèse ou pose)

le vagin et le pénis, c'est fait pour s'entendre, pour se compléter, et c'est le pénis qui entre, il ne pénètre pas, et c'est le vagin qui s'ouvre, se détend, veut accueillir

dit encore autrement, évident et peu pratiqué : Un vagin et un pénis. Une cavité divine qui peut être comblée par un pénis divin. La complétude, la plénitude, l'harmonie, l'UN sont atteints.

dernière remarque : dans ce livre, pas de mots, de concepts, de pseudo-concepts d'aujourd'hui ou d'hier, mots à la mode, mots importés de vieilles traditions; tous ces mots viendraient parasiter, corseter ce qui doit être une expérience pure, brute, sans médiation, on ne s'occupe pas de yin, de yang, de développement personnel spirituel, de chakras, de masculin ou de féminin à développer, d'alignement corps, sexe, cerveau; est évoqué le plexus solaire, le corps est divisé en deux, le haut et le bas, très peu de données pour inciter à une pratique non formatée par un vocabulaire inducteur; je pense que ce parti-pris de crudité est ce qui fait que ce livre n'est pas victime d'un effet de mode

Jean-Claude Grosse,

bien incapable de faire son bilan sexuel et amoureux, étant veuf, dans un état de viduité, depuis 8 ans, après 46 ans de vie avec l'épousée au jour le jour jusqu'à ce que ça fasse toujours (mais je me suis reconnu dans certaines descriptions) et qui devra attendre une autre vie pour faire l'amour d'une manière divine (lire l'extrait de l'éternité d'une seconde Bleu Giotto, plus bas)

 

page 44 extrait (chap. leçon d’amour)

 

Le moment est venu.

Vous vous êtes mis d’accord pour faire l’amour, et maintenant, c’est le moment

Déshabillez-vous dans la même pièce. Laissez la lumière allumée. Ne vous cachez pas. Ne soyez pas concentrés. L’amour est une affaire sérieuse, mais pas aussi sérieuse que ça. Soyez détendus. Vous pouvez sourire. Relevez juste le coin de vos lèvres et souriez.

Soyez présents. Soyez dans cette pièce ensemble, soyez maintenant. restez nus et séparés l’un de l’autre.Regardez-vous mutuellement, les yeux et le corps. Voyez vos corps respectifs. Sans juger, sans penser.

Ne soyez pas gênés. Tenez-vous en à l’amour. Commencez par accepter votre corps. à être votre corps. avec ses défauts et tout ce qui le constitue.

Si vous remarquez que votre partenaire est gêné(e), aidez-le ou aidez-la. Souriez. Relevez chez lui ou chez elle quelque chose de beau. allez chercher la beauté de l’être intérieur qui émane de son corps. il est là. Voyez-le. Dites-le.

Soyez psychologiquement nus. Soyez innocents. soyez neufs. EN regardez pas en arrière. Soyez vous même tels que vous êtes, maintenant.

Soyez vulnérables. Vous n’avez rien à perdre que vous n’avez perdu depuis très longtemps déjà.

Pendant que vous vous regardez l’un l’autre, n’utilisez pas votre imagination. Ne sautez pas dans le moment suivant. Si vous pensez ou utilisez votre imagination, c’est comme si une fois le moment venu, vous vous projetez dans l’action de faire l’amour à une autre personne, avec un vagin ou un pénis qui n’est pas vraiment là.

Avez-vous perdu la pulsion de faire l’amour pendant que vous me lisiez ? Sûrement pas. Le corps ne perds pas la pulsion de faire l’amour. Il aura toujours envie de faire l’amour à condition que vous -le surevillant- ne vous mettiez pas en travers du chemin.

Souriez-vous, couchez-vous et étreignez- vous- C’est le moment que l’imagination risque de se mettre en route -lorsque vous regardez par dessus l’épaule de votre partenaire ou lorsque vous fermez les yeux. Alors ne fermez pas les yeux.

Sentez la chair fraîche de votre partenaire, sur son dos et ses bras. Ne pensez pas. Sentez. Et gardez les yeux ouverts.

Il lui donne.

Il la caresse et la câline. Elle le caresse et le tient - avec amour.

 

extrait de L'éternité d'une seconde Bleu Giotto, Jean-Claude Grosse, Les Cahiers de l'Égaré, novembre 2014 (épuisé, n'existe qu'en e.Pub sur www.lescahiersdelegare.com

Le père – ne me dis pas que tu ne t'en souviens pas, cet instant de félicité, au Baïkal, le 14 juillet 1970, quand on l’a conçu en le sachant, ce qu’il a confirmé en arrivant neuf mois après, un jour en avance

La mère – je m'en souviens, tu te souviens de quoi ?

Le père – c'était le soir, on avait allumé un feu pour faire griller les omouls qu'on avait péchés, on avait porté deux toasts de kedrovaïa au lac, à l'amour, ça nous avait émoustillés, nous avons fait l’amour sur le plancher de l'isba de rondins blonds

La mère – j’aurais voulu que tu me baises

Le père – je t’ai fait l’amour

La mère – tu ne m’as pas baisée, tu m’as fait l’amour, pas comme j’attendais

Le père – tu m’as surpris, tu n’avais jamais été aussi ouverte

La mère – tu t’es retiré

Le père – tu m’as ramené en toi, tu l'as eu, ça ne te suffit pas ?

La mère – je n’ai plus jamais été Ouverte comme ce soir-là

Le père – je suis désolé, j’avais envie de m’abandonner, de me livrer à ton étreinte, ça s’est bloqué

La mère – chez moi aussi

Le père – te plains-tu de nos étreintes ?

La mère – on fait l’amour comme tu dis, on ne baise pas, j’étais Ouverte par l’Appel de la Vie, ça pouvait ressembler à de l’indécence, je me suis sentie jugée, quelle violence, cette impression, pour la vie. Tu vois, mon sexe n’a pas oublié l'obscénité de ton retrait

Le père – je regrette vraiment de m'être refusé, peut-être parce que tu devenais la servante d'une cérémonie, quand les bacchantes

La mère – c’est ça, mon p’tit chat ; depuis, tu es le maître de cérémonies minutées avec paliers et plateaux, plus de place pour les effondrements dionysiaques, pour les envols mystiques. Tu ne ressentiras jamais où t'aurait mené une plongée sauvage, sans calculs, dans ma béance

Le père – tu as quand même du plaisir ?

La mère – plaisir, plaisir, petit mot qui convient bien à une pâle jouissance, sans retentissement au profond du corps et de l'âme. Fusionner avec le Tout, des Femmes  rares connaissent. Aurais-je pu connaître la Grande Vie Cosmique, pas la petite mort orgasmique ?

Le père – pourquoi avoir mis si longtemps à en parler ?

La mère – je n'aime pas les mots sur ça, ma sexualité s’est mutilée avec sa conception, ma vie s’est arrêtée avec sa disparition, je veux regarder sans terreur cette horreur

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Le livre de mes rêves / Federico Fellini

Rédigé par grossel Publié dans #note de lecture

Le livre de mes rêves

Federico Fellini

Flammarion 2010

Voilà un livre rare, exceptionnel même puisque après bien des péripéties liées aux querelles entre héritiers et héritiers d'héritiers, les deux volumes du Livre de mes rêves (le 1° de 245 pages couvre la période 30 novembre 1960 - 2 août 1968, le 2° de 154 pages, la période février 1973 - octobre 1982, plus des pages éparses jusqu'en 1990 ; un 3° volume mystérieux apparaîtra peut-être un jour) ont pu être proposés au plus large public.

Il a fallu beaucoup de temps, de patience, de diplomatie, de soutiens politiques, d'aventures juridiques, de moyens financiers publics pour que la Fondation Federico Fellini récupère, acquière l'oeuvre prolifique d'un des maîtres de l'onirisme.

La préface de Vittorio Boarini raconte sans langue de bois, les péripéties de l'acquisition en 2006, soit 13 ans après la disparition de Federico Fellini, le 31 octobre 1993 et celle de Giulietta Masina, le 23 mars 1994. Plutôt comique en même temps que sordide et absurde, kafkaïen au possible à cause de la clause exigeant la présence physique au moment de la vente de l'oeuvre de tous les héritiers, l'inextricable alinéa 22. Dès 2007, une première édition révélait le foisonnement onirique du cinéaste de l'onirisme.

2010 est l'année de l'édition brochée que papa Noël m'a mise sous le sapin fin 2013 pour 23,75 euros. C'est donné pour un livre au format 28,4 x 20,3 x 4,8 cm, de 583 pages, dont un nombre impressionnant de planches en couleurs, les planches des rêves diurnes et nocturnes, des images hypnagogiques de Fellini.

La présentation de l'oeuvre par Tullio Kezich est d'une grande pertinence. En 8 pages denses, Tullio nous donne les circonstances (Fellini suit une analyse, d'abord freudienne, ensuite jungienne), la durée (30 ans de travail nocturne, de pratique de notation graphique de ce qui est engendré dans le royaume des rêves où tout est possible), les allers-retours rêves-films, le monde des rêves étant plus osé que celui des films dépendant en partie des producteurs donc de contraintes financières et commerciales. Il nous ouvre aussi quelques pistes d'interprétation car le monde des rêves se prête aux interprétations. Et ce depuis la plus ancienne histoire de l'humanité.

Évidemment, les planches illustrées des rêves sont en italien. On en trouve la traduction en fin de livre avec un ensemble de notes pour éclairer le lecteur. Caractères vraiment petits.

Quel usage faire de ce livre ? À chacun son usage. Pour ma part, c'est de manière très arbitraire que je vais circumnaviguer dans cet univers, en fonction de mes intérêts ou désirs du moment, feuilleter donc avec gourmandise avant de re-regarder Huit et demi par exemple, moins pour approfondir les univers onirique et filmique de Fellini que pour aller à la rencontre de quelques-uns de mes rêves. Car depuis quelque temps, je me vois (plutôt bien) rêver sans m'obliger à la collecte de ces rêves, postulant que ce travail nocturne souvent en lien immédiat avec un film vu, a à vivre sa vie, sans que j'essaie de mettre la main dessus, postulant aussi que cette volonté de non-saisir le royaume où tout est possible laisse le dit-royaume irriguer à sa façon mes désirs et mes dispositions.

En tout cas, je vais en conseiller l'usage immodéré aux auteurs qui vont travailler tout 2014 sur le projet pluriel que j'ai lancé le 2 janvier à 23 H 59, heure de Moscou :

Cervantes - Shakespeare, hasardantes coïncidences.

J'en profite pour signaler la parution récente des Dessins d'occasion de Jean-Claude Carrière. J'avais vu un documentaire où Carrière feuilletait ses cahiers de dessins. Ça m'avait paru fascinant. On peut en profiter un peu, 500 dessins, mais ce n'est pas comparable à Fellini. L'usage me semble beaucoup plus limité.

Sans oublier, (ce n'est pas sans rapports monde des rêves et monde des contes) Le Grand livre des contes et Le livre des fées, des elfes et des lutins de Françoise Morvan avec des illustrations d'Arthur Rackham. J'avais été convaincu de l'intérêt de cette édition après avoir lu son article De la chasse aux sorcières à la chasse aux trésors

Jean-Claude Grosse

Le livre de mes rêves / Federico Fellini
Le livre de mes rêves / Federico Fellini
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Joseph Jacotot / Janusz Korczak

Rédigé par grossel Publié dans #agora, #pour toujours, #note de lecture, #assaisonneur

Joseoh Jacotot

Joseoh Jacotot

Chers amis,

le jeudi 25 mars (2010 ?) de 17 H 30 à 19 H à la médiathèque d'Hyères, la pause-philo sera consacrée à Joseph Jacotot (1770-1840) qui le premier a compris qu'enseigner ce n'est pas expliquer mais mettre les autres en situation d'apprendre par eux-mêmes. On peut dire qu'il est à l'origine de ce qu'on appelle aujourd'hui la pédagogie par situations-impasses; exemple: je ne sais pas faire de vélo mais je peux apprendre à mon enfant à en faire; je lui apprends à marcher autrement qu'en lui expliquant que marcher c'est mettre un pied devant l'autre, il apprend à marcher en marchant, moi avec lui; idem pour apprendre à lire: il apprend autrement qu'avec un soi-disant enseignement de la lecture...
L'autre pédagogue étudié sera Janus Korczak (1878-1942), le père spirituel (avec son texte de 1928: Le droit de l'enfant au respect) de ce qui est devenue la Convention des Nations-Unies relative aux  Droits de l'enfant, adoptée le 20 novembre 1989. La vie et l'oeuvre de ce Juif polonais est exemplaire et mérite la plus large audience. On lui doit ce qu'on appelle aujourd'hui la pédagogie institutionnelle ou la pédagogie auto-gestionnaire (faux paradoxe ou fausse opposition).

Très cordialement,
Jean-Claude Grosse
 
Jean Joseph Jacotot, né à Dijon en 1770, mort à Paris en 1840, est un pédagogue français inhumé au cimetière du Père-Lachaise (49ème division.

Il a fait ses études au lycée de Dijon où il était un étudiant travailleur et intelligent, mais peu disposé à accepter ce qui ne lui paraissait pas évident et ne reposait que sur l’autorité de la parole du maître, laquelle avait pour lui simple valeur d’opinion. Esprit indépendant, perspicace, épris de discerner le vrai au milieu de tout ce qui a la prétention de l’être, il était docteur ès lettres et professeur d’Humanités à dix neuf ans. Ses anciens maîtres devenus ses collègues, frappés de la fermeté et de la droiture de son caractère, lui confient leurs intérêts. Afin de justifier la confiance dont on l’honore, il étudie le droit et devient avocat et docteur en droit. Puis il entreprend des études mathématiques approfondies que couronne un troisième diplôme de docteur. Professeur, il est aussi patriote attaché à la liberté qui implique l’émancipation politique autant que l’émancipation intellectuelle. En 1788, il organise la fédération de la jeunesse Dijonnaise avec celle de Bretagne et d’autres provinces, pour la défense des principes révolutionnaires

Ces principes étant acquis, les fédérations en viennent à se transformer en bataillons pour la défense de la patrie. C'est alors qu'il est élu capitaine d’une compagnie d'artillerie du bataillon de la Côte d'Or. Sa compagnie demande, en 1792, à aller combattre les ennemis ; le ministre de la guerre l’envoie en renfort à l’Armée du Nord. Elle prend part à la courte campagne de Belgique, assiste au siège de Maëstricht, à plusieurs autres faits d’armes où Joseph Jacotot paie de sa personne et se montre aussi prudent que brave.

En 1795, il devint professeur à l’école centrale de Dijon où il enseigna successivement le latin, les mathématiques et le droit. Il devint sous l’Empire, secrétaire du ministre de la guerre, puis sous-directeur de l’École Polytechnique ; pendant les Cent-Jours, il fut élu membre de la Chambre des Représentants. Il quitta la France lors de la Seconde Restauration et se retira en Belgique. Il y fut nommé professeur de littérature française à l’Université d'État de Louvain, puis directeur de l’École militaire. Il ne rentra en France qu’en 1830 après que la révolution de juillet mit fin à la Seconde Restauration, se fixant quelques années à Valenciennes, avant de s’établir à Paris en 1838.

À Louvain, chargé d’enseigner le français à des étudiants dont il ne comprend pas la langue, il demande à ces derniers d’étudier une édition bilingue du Télémaque de Fénelon. Par l’étude du texte et de sa traduction, et sans explications du maître, les étudiants se révèlent capables d’appréhender le fonctionnement de la phrase en français et de raconter en français ce qu’ils ont compris du roman. Cette expérience conduit Jacotot à proposer une méthode d’enseignement qui s’oppose à la méthode classique en ce qu’elle repose sur la révélation de la capacité d’apprendre par lui-même à l’individu plutôt qu’au transfert du savoir du maître à l’étudiant.

L’annonce de sa nouvelle méthode d’« enseignement universel » par laquelle il se proposait d’« émanciper les intelligences » attire sur lui l’attention à partir de 1818. Théorisant son expérience, il prétendait en effet que tout homme, tout enfant, est en état de s’instruire seul et sans maître, qu’il suffit pour cela d’apprendre à fond une chose et d’y rapporter tout le reste ; que le rôle du maître doit se borner à diriger ou à soutenir l’attention de l’élève. Il proscrivait ainsi les maîtres « explicateurs ». Il proclamait comme bases de sa doctrine certaines maximes paradoxales qui ont été vivement critiquées :

 
    * Toutes les intelligences sont égales
    * Qui veut peut
    * On peut enseigner ce qu’on ignore
    * Tout est dans tout

La méthode Jacotot excita une grande sensation lors de sa publication, et donna lieu à une vive polémique dont Joseph Jacotot rendit compte notamment dans la première partie de son « Enseignement Universel - les mathématiques (1830) » en des textes comme « Voilà le fait », « Rapport fait dans la lune » ou « Exemples de raisonnemens faux », souvent emplis d’un humour féroce vis-à-vis de ceux qui, de son point de vue, contestaient surtout le fait lui-même, à savoir la réussite des élèves ayant utilisé la méthode d’Enseignement Universel.

Dans son ouvrage Le Maître ignorant, Jacques Rancière s’intéresse particulièrement à la méthode introduite par Jacotot. Il en développe les principes tout en les comparant au système éducatif et social moderne essentiellement fondé sur l’inégalité admise de savoir et d’intelligence.

   
Entretien avec Jacques Rancière à propos de l’ouvrage  Le Maître ignorant
                    A l'occasion de la réédition en livre de poche du Maître ignorant, ouvrage qui brise la distinction habituelle entre le livre  d’histoire et l’ouvrage de théorie ou le livre de fiction, nous avons demandé à Jacques Rancière de nous présenter ce personnage méconnu qu'est Joseph Jacotot (1770-1840).

 
Nouveaux Regards : Comment avez-vous rencontré Jacotot ? Quelles réactions a suscité la parution de l’ouvrage en 1987 ?

Jacques Rancière : Dans les années 1970, je travaillais sur l’émancipation ouvrière au XIXe siècle. Le nom de Jacotot apparaissait dans les textes que j’étudiais. Des ouvriers envoyaient leurs enfants chez Jacotot, certains d’entre eux devenaient eux-mêmes des professeurs jacotistes improvisés. Ma réflexion s’est alors orientée sur le lien entre l’idée d’émancipation ouvrière et l’émancipation intellectuelle dont il était l’apôtre. Ses textes n’avaient pas été réédités depuis les années 1840. Il me fallait faire passer dans notre présent l’actualité intempestive qu’il avait eu dans un contexte intellectuel et politique très éloigné. J’ai donc écrit comme un disciple intemporel de Jacotot qui aurait fait le chemin des années 1830 aux années 1980.

A sa sortie, Le Maître ignorant a été lu mais pas forcément par des enseignants s’intéressant à la question de la pédagogie. A l’époque le discours était polarisé entre d’un côté Bourdieu, la sociologie de l’éducation, la transformation de l’école à partir des conditions sociales, et de l’autre côté Milner, l’enseignement républicain et l’égalité par la diffusion des savoirs. Le livre a été écrit pour sortir de cette configuration ; c’est ce qui précisément a fait qu’il n’a pas été reçu par ce public. Les lecteurs semblent avoir été avant tout des personnes tourmentées par la question de l’égalité intellectuelle. Il n’a pas généré véritablement de débats, mais plutôt des réflexions dans des lieux extrêmement différents, notamment chez les artistes. Mais la traduction portugaise est malgré tout arrivée dans les mains d’éducateurs dans les favelas du Brésil. Le style de Jacotot - et peut-être le mien - expliquent aussi cette réception : c’est un ouvrage qui s’adresse à des individus, non aux acteurs institutionnalisés d’un « débat de société ».

NR : En quoi consiste l’expérience de Jacotot ?

JR : Jacotot est en 1818 un professeur français émigré aux Pays-Bas. Ses étudiants hollandais veulent apprendre le français, mais lui ne connaît pas le hollandais. Il ne dispose que d'une version bilingue du Télémaque de Fénelon et se résout à leur demander d'apprendre le français en s'aidant de la traduction. Au bout d'un certain temps, il leur demande de raconter en français ce qu'ils pensent de ce qu'ils ont lu. Il s'attend à une catastrophe. Or, il est très surpris par la qualité de leurs travaux et tire de l’expérience deux leçons essentielles. La première est celle de la dissociation entre la volonté du maître et l’exercice de l’intelligence de l’élève. Si ces étudiants hollandais ont compris le fonctionnement des phrases françaises uniquement en lisant des phrases françaises, cela signifie qu'ils n'ont pas eu besoin des explications du maître pour comprendre quelque chose. L’égalité des intelligences veut d’abord dire ceci : il y a une autonomie absolument irréductible du travail d’une intelligence que l’on peut mettre en évidence par cette expérience de hasard qui a séparé complètement l’exercice du maître de l’exercice de l’élève. L’idéologie pédagogique normale est de croire que l’élève apprend ce que le maître lui enseigne. L’expérience de Jacotot permet, elle, de penser que le processus d’apprentissage n’est pas un processus de remplacement de l’ignorance de l’élève par le savoir du maître, mais de développement du savoir de l’élève lui-même. Il y a d’abord un travail autonome de l’intelligence, et ce travail va de savoir à savoir et non d’ignorance à savoir. L’égalité des intelligences qu’il professera à partir de là veut d’abord dire ceci : pour que l’apprentissage soit possible, il faut que l’intelligence employée par l’élève soit la même que celle du maître, la même que celle de Fénelon, du traducteur, du typographe, etc.

La deuxième leçon est que l’on peut partir de n’importe où. La règle pédagogique normale veut que l’on parte du « commencement ». Elle suppose qu’il y a deux sortes d’intelligence : celle des ignorants, qui va au hasard, par rapprochement et chance, et celle du maître et des savants qui procède méthodiquement, du plus simple au plus complexe. Cela suppose l’écart d’un langage à un métalangage : il faut traduire les mots de l’écrivain dans un autre langage pour que l’élève arrive à les maîtriser. A l’inverse, Jacotot pose qu’il n’y a pas de différence entre des types d’intelligences. Tous les actes intellectuels s’opèrent de la même façon. Et n’importe quelle intelligence est capable d’effectuer le trajet à partir d’un point quelconque.

L'expérience de Jacotot vérifie donc deux principes : là où on localise l’ignorance, il y a toujours déjà en fait un savoir, et c’est la même intelligence qui est à l’œuvre dans tous les apprentissages intellectuels. Jacotot entrait ainsi en rupture avec le mouvement général de son temps. Sa découverte de l’ « Émancipation intellectuelle » survient après 1815, au moment où l’on se préoccupe de réordonner la société après le grand choc révolutionnaire. On cherche à promouvoir un progrès ordonné basé sur une hiérarchie des formes d’éducation afin d’organiser une société moderne pacifiée. C’est là la grande idée du moment. Passé l’âge critique, on entre dans l’âge organique. La cohésion de la société moderne impose que les inégalités soient un peu réduites, qu’existe un minimum de communauté entre ceux qui sont au sommet de la hiérarchie et ceux qui sont en bas. C’est l’éducation qui est supposée mettre chacun à sa place tout en assurant un minimum de partage des savoirs et des valeurs. Les gens du peuple doivent avoir quelques bases pour progresser dans leur métier et participer aux valeurs communes de la société. En 1833, la loi Guizot sur l’instruction primaire est le premier jalon de ce processus soutenu par une intense littérature. Dans ce contexte, Jacotot intervient absolument à contre-courant. Selon lui, tout cela n’est qu’une machine d’abrutissement : la loi du progrès et l’éducation progressiste sont précisément le contraire de l’émancipation intellectuelle.

NR : Jacotot pose-t-il un antagonisme entre la formation d'un sujet autonome et celle d'un citoyen ?

JR: Il n’oppose pas  le sujet au citoyen, mais une méthode de l’égalité à une méthode de l’inégalité. L’idée de la « réduction des inégalités » commence à s’imposer à son époque. Elle conduit à établir une homologie entre le modèle pédagogique et le modèle social. Or pour Jacotot, l’idée que l’on va élever le peuple par l’éducation implique  un processus d’éternisation de l’inégalité. Si l’on pense que l’égalité adviendra comme le résultat des efforts pour réduire les inégalités, les « réducteurs » d’inégalité maintiendront toujours leur privilège sous couvert de le supprimer. Il faut partir de l’égalité de fait qui est nécessaire pour que le rapport inégalitaire lui-même fonctionne : il faut déjà que l’élève comprenne les mots du maître pour que celui-ci puisse lui enseigner. Dans l’intrication des deux relations – égalitaire et inégalitaire – la question est de savoir lequel sert de principe : le rapport de l’ignorant au savant ou celui de deux intelligences qui veulent se comprendre. Si c’est le rapport inégalitaire qui commande au rapport égalitaire, il se reproduira éternellement. L’émancipation implique, elle, de partir de l’idée de la capacité de n’importe qui. Peu importe ce qu’il apprend, l’essentiel est la révélation de cette capacité à elle-même. Le reste dépend de lui. Cette idée s’oppose de front à l’idéologie progressiste.

NR : Cette méthode ne vise pas l’émancipation sociale et pourtant Jacotot l’appelle « méthode des pauvres »…

JR : C’est la méthode de ceux à qui on a dénié non seulement les moyens mais surtout les capacités de savoir. Mais elle n’oppose pas l’individu à la société. Elle renverse le sens  du « connais-toi toi-même » qui lie l’un à l’autre. Le vieil adage grec signifie en fait « reste à ta place ». Le « connais-toi toi-même » de Jacotot, signifie, lui : connais-toi non comme un inférieur ni un supérieur, mais comme un être égal à n’importe quel autre. Ce qui s’oppose, ce sont donc deux types de communauté. Soit on part de l’idée que la société est fondée sur un certain ordre où chacun est à sa place, où les inégalités sont rationalisées en différences des places et des fonctions. Soit on part d’une société, certes virtuelle, mais impliquée dans chaque acte de parole, où n’importe qui peut ce que peut n’importe qui. C’est alors l’adresse d’un individu à un autre qui compte et non la capacité qu’un individu a de donner ou de recevoir du savoir.

Jacotot pense que la rationalité sociale est une rationalité hiérarchique. Un système d’instruction publique, ne peut être qu’un instrument de cette hiérarchie. Un système d’éducation est toujours une manière de rationaliser un ordre social. Aujourd’hui encore, toute réforme de l’éducation est une réforme de la manière dont l’ordre social se représente sa propre rationalité. Il s’agit de faire jouer au sein même de la société régie par cet ordre inégalitaire une autre communauté entre individus. Cette communauté n’est pas utopique, mais plutôt implicite, présupposée. Pour que l’inégalité fonctionne, il faut que l’inférieur comprenne le supérieur, il faut donc qu’il y ait déjà de l’égalité. Par conséquent, on peut toujours actualiser dans les relations sociales cette égalité sous-jacente. Jacotot n’est pas un utopiste, il ne promet rien. Il ne considère pas qu’il puisse exister un système social fonctionnant mieux qu’un autre. Pour lui, le système social est une sorte de mécanique, à l’image de l’attraction terrestre, qu’il est vain de vouloir transformer, améliorer. Il dit simplement que chacun a deux manières d’envisager son rapport aux autres et au savoir. Ce qui revient à affirmer la possibilité d’une communauté d’hommes égaux à l’intérieur d’une société inégale. C’est cela sa position provocatrice.

NR : Quel est alors l'objectif de la "méthode Jacotot" ?

JR : Ce n’est pas une méthode d’enseignement. Il n’a jamais fait de programme d'instruction, même s’il a enseigné plusieurs disciplines. Il n'a jamais voulu se transformer en chef d’institution scolaire. Pour lui, l’important n’est pas d’établir un programme scolaire mais de mettre une intelligence en possession de son propre pouvoir.

On peut partir du Télémaque, d’un texte de prière, etc., mais le principe consiste en une méthode, si méthode il y a, d’exhaustion. On est devant un livre, un texte, comme devant une chose étrangère que l’on peut et doit entièrement s’approprier. D’où la référence à la méthode par laquelle l’enfant s’approprie sa langue maternelle ; en procédant par association de ce qu’il sait à ce qu’il ignore, sans recourir à des explications.

Son idée est orientée vers une fin unique : la révélation d’une capacité intellectuelle. Son enseignement ne vise pas l'apprentissage d’une discipline quelle qu’elle soit. D’où une méthode qui s’arrête sur chaque lettre, chaque mot, chaque phrase, chaque idée. Si on possède bien vingt ou cinquante pages d’un livre quelconque, et si l'on peut en rendre compte avec ses expressions elles-mêmes, on est capable de n’importe quel autre apprentissage. C’est un défi, une provocation, mais aussi quelque chose qu’on vérifie tout le temps. On s’est formé essentiellement à partir des choses que l’on a déchiffrées soi-même, difficilement, laborieusement. La méthode c’est celle de l’aventure. Il faut trouver le chemin. Ce n’est pas la « méthode active », où le maître organise le parcours d’obstacles. Il s’agit de mettre la personne en situation de se servir de sa propre intelligence, non pour arriver au but mais pour se frayer un chemin.

NR : En ce sens, l'utilisation du Télémaque, récit de voyage, est un heureux hasard.

JR : Oui, mais notons qu’au voyage programmé se substitue un voyage aléatoire.

NR : Pour Jacotot apprendre, c'est avant tout traduire.

JR : C’est l’idée qu’il n’y a pas de niveaux où l’on passerait d’une langue à une métalangue. L’appropriation d’un savoir est toujours un mécanisme de traduction. La traduction renvoie à l’idée d’égalité puisqu’elle fait correspondre une aventure intellectuelle à une autre aventure intellectuelle.

NR : Mais comment susciter le désir d'une telle aventure, y compris pour une institution scolaire ?

JR : Ce problème pour Jacotot ne se pose pas sous la forme habituelle : comment motiver celui qui n’est pas motivé, comment l’enfant, l’ignorant va-t-il apprendre quand il n’en voit pas l’intérêt ? Jacotot va au cœur même de cette expression : « ne pas en voir l’intérêt ». Ce qui est en jeu ce n’est pas tant une paresse ou une réticence, mais une structuration symbolique du monde. Parce qu'au fond qu'est-ce que c'est que vouloir ? C’est se reconnaître membre d’un certain type de communauté. Et ce qui fait obstacle au désir d’apprendre c’est le sentiment qu’on a pas besoin d’apprendre, que le savoir que l’on possède est en réalité supérieur à celui qu’on nous propose. L’ « ignorant » qui dit : « c’est trop compliqué pour moi », dit que ce savoir est inutile, et que seul compte pour lui la conduite pratique des affaires.

La paresse est en réalité une vision du monde. Ce que je ne comprends pas, c’est ce dont je n’ai pas besoin. "Je ne comprends pas" n'est pas seulement une antiphrase, cela laisse entendre : j'ai assez de savoir de ce qui est réellement important pour ne pas m'occuper de ces futilités.

Jacotot propose une méthode pour ceux chez qui il est considéré comme normal de ne pas accéder au désir même de savoir. S'il ne nie pas le poids des inégalités sociales, il considère que reconnaître ce poids ne change rien au problème. Sa question est : comment faire que celui qui dit « je ne suis pas capable », se mette à dire « je suis capable ». Poser la question des poids sociaux dans l'éducation c’est y mêler un autre problème : comment faire de l’école un certain modèle de sociabilité ? L’institution scolaire lie le problème des capacités à un autre problème, celui du fonctionnement de la société scolaire dans son rapport à la société qui l’a produite et qu’elle produit. Jacotot, lui, considère que ce qui relève du social relève de l’inégalité. Autrement dit, ce qui relève de l’égalité ne relève pas de l’institution sociale. L’institution sociale poursuivra toujours un autre but que d’actualiser l’égalité. Jacotot se place dans une provocation radicale par rapport à toute institution scolaire. C’est ce qui fait notre distance par rapport à lui.

Il ne s’agit donc pas de savoir ce que Jacotot peut apporter au système d’éducation : la réponse est : rien ! Il s’agit de savoir ce que, en tant qu’acteurs du système d’éducation, on peut retirer de sa pensée. Tout se joue sous la forme pratique du rapport que nous avons avec ceux qui sont en face de nous. L’égalité se joue dans un rapport effectif entre des individus. Or, ce rapport est toujours décalé par rapport à toute programmation sociale, par rapport à tout système. Cela relève plus de la décision individuelle : partir de l’inégalité ou de l’égalité.

C’est là bien sûr la singularité inassimilable de Jacotot. Ce qui l’intéresse, c’est qu’est-ce qui est investi dans l’acte éducatif et non comment faire fonctionner un système d’éducation.

NR : Jacotot s'intéresse donc aux mœurs, aux principes qui fondent les relations entre les individus, entre le maître et ses élèves…

JR : Je ne parlerai pas de mœurs, mais d’attitude. Il faut pouvoir se dissocier de ce qu’on fait. La logique du système d’éducation est toujours d’introduire une convergence des raisons. Elle veut ramener à une seule et même logique l’acte du savant qui sait, de l’enseignant qui enseigne et du citoyen qui œuvre pour l’égalité. Le réformisme sociologique ou la théorie « républicaine » restent prisonniers de cette logique de convergence entre l’acte qui transmet le savoir et l’acte qui établit un certain type de société. Mais il n’y a aucun lien nécessaire entre la transmission d’un savoir de type universel et l’établissement d’une relation égalitaire. Et proposer à des étudiants une aventure intellectuelle n’a rien à voir avec la formation des citoyens. L’égalité vient toujours en surplus de la nature du savoir et de toute finalité sociale, comme une présupposition à actualiser. Pour préserver sa radicalité et son actualité, il faut apprendre à séparer les fonctions. Un acte pédagogique émancipateur est un acte qui tient compte d’une séparation absolue entre ce que fait le maître et ce que fait l’élève, qui prend conscience que l’on a affaire à deux êtres intellectuels entièrement séparés. Tout système agrège et le paradoxe jacotiste est de desserrer, d'isoler pour faire un autre type de communauté. Jacotot nous amène à penser qu’il faut être plusieurs personnages au sein d’une même fonction. Le but de l’égalité ne se confond jamais avec le but de la science ou celui de la société.

Jacotot a écrit à une période où le système éducatif se mettait en place. Et il opposait terme à terme l’émancipation intellectuelle à ce système. J’écris dans un contexte fort différent puisqu’un système d’instruction publique gigantesque existe et que nous ne pouvons plus penser en dehors. Mais on peut pourtant maintenir la radicalité de sa position en mettant l’opposition à l’intérieur même de notre pratique. On peut toujours pratiquer l’égalité au sein du système en y occupant différemment sa place, en dissociant la logique de l’acte égalitaire de celle de l’institution sociale.

NR : Les mouvements d’éducation populaire participent-ils selon vous d'un effort d'émancipation ?

  JR : Ils le font s’ils mettent au « poste de commandement » l’exigence du travail par lequel n’importe qui peut entrer en possession de ses propres capacités, pas s’ils se présentent comme étant les bons lieux, comme quand on opposait la libre philosophie « vivante » des cafés-philo à la philosophie « universitaire ». Aucune institution n’est en elle-même émancipatrice. La question est de savoir si l’on y part de l’exigence égalitaire et du travail interminable de son actualisation ou de la concurrence des institutions. Ce qui est positif dans ces mouvements positifs, c’est de multiplier pour des individus la possibilité de révéler leurs propres capacités. Donc il ne faut pas raisonner en termes d’institution. L’essentiel est d’aider les gens à basculer d’un état d’incapacité reconnue à un état d’égalité où on se considère capable de tout parce qu’on considère aussi les autres comme capables de tout.

 
Propos recueillis par Anne Lamalle et Guy Dreux.
 

 
  Korkzack au milieu des enfants qu'il décida d’accompagner sous sa garde au camp d’extermination de Treblinka en août 1942.

Korkzack au milieu des enfants qu'il décida d’accompagner sous sa garde au camp d’extermination de Treblinka en août 1942.


Janusz Korczak était en Pologne, avant la guerre, la personnalité scientifique la plus en vue et la plus respectée dans le domaine de l’enfance. Ami des enfants, médecin-pédiatre et écrivain, il est entré dans l’Histoire le jour de sa déportation au camp d’extermination de Treblinka, avec les enfants du ghetto de Varsovie qu’il n’avait pas voulu abandonner (cf. le film de A. Wajda : Korczak, 1989).

« Le fait que Korczak ait volontairement renoncé à sa vie pour ses convictions parle pour la grandeur de l’homme. Mais cela est sans importance comparé à la force de son message », disait Bruno Bettelheim.

Depuis le début du siècle, Korczak œuvrait à une refonte complète de l’éducation et du statut de l’enfant, sur des bases constitutionnelles entièrement nouvelles, privilégiant la sauvegarde et le respect absolu de l’Enfance. Ses multiples écrits pour enfants et pour adultes (Comment aimer un enfant, Le roi Mathias 1er), l’exemple de ses deux orphelinats modèles organisés en républiques d’enfants (« Dom Sierot » créée en 1912 et « Nasz Dom » ; en 1919), ses émissions de radio, son journal national d’enfants (« Maly Przeglad ») ont fait la joie de générations entières de petits polonais.

En artiste tout autant qu'en scientifique et clinicien dévoué, il incarnait une véritable pédagogie du respect, une école de la démocratie et de la participation qui font aujourd’hui universellement référence.
       

Sur le plan pédagogique, l’œuvre de Korczak s'inscrit dans la lignée de la « pédagogie active » et de « l’École nouvelle », aux côtés de :

    * Johann-Heinrich PESTALOZZI, promoteur de l’éducation populaire (1746-1827)
    * Maria MONTESSORI et sa méthode d’éducation sensorielle non-directive (1870-1952)
    * Ovide DECROLY et son « École de la vie » (1871-1932)
    * Fernand DELIGNY (1913-1996), théoricien et éducateur d’enfants autistes
    * Alexsander Sutherland NEILL et le self-government de Summerhill (1883-1973)
    * Anton Semenovitch MAKARENKO et la réadaptation par le travail (1888-1939)
    * Célestin FREINET, promoteur des méthodes actives d’enseignement (1896-1966).

 Janusz Korczak lui-même est de plus en plus étudié comme l’un des précurseurs de la pédagogie institutionnelle et de « l’autogestion pédagogique ». Ce n'est pas le cas (par méconnaissance sans doute…), mais il pourrait tout aussi bien être aussi reconnu comme un « pédagogue autogestionnaire », aux côtés de Paul Robin, Sébastien Faure et Francisco Ferrer (1859-1908), anarchiste espagnol qui reste le seul pédagogue avec Korczak à avoir été assassiné pour ses idées (pour ce dernier, en les mettant en actes jusqu'au bout sans chercher à s'enfuir du ghetto de Varsovie).

Dans le domaine des droits de l’enfant, il est aussi le précurseur reconnu de la mise en pratique des droits positifs de l’enfant (droits d’expression, de participation, d’association, etc.) officiellement établis le 20 novembre 1989 par les articles 12 à 17 de la Convention des Nations Unies pour les droits de l’enfant (CIDE, cf. texte multilingue), un texte et un acte politique majeur dont il exigeait l’élaboration depuis la fin du XIXe siècle.

Soixante ans après sa mort, l’histoire et l’œuvre littéraire, pédagogique, philosophique et sociale du « Vieux docteur », encore méconnues en France, interpellent plus que jamais l’ensemble des pratiques et des regards des adultes sur les enfants et les jeunes.

 

Association Française Janusz Korczak (AFJK)

 

Philosopher avec des enfants :
une démarche korczakienne ?
Par Gilles Abel, Vice-président de l’Association PHILOMÈNE (Belgique)


Intervention au colloque « Korczak et la réforme de l’éducation », à l’Université Paris 8 Saint-Denis, du 23 au 27 juin 2003 (AFJK/Université Paris 8, Département des Sciences de l’éducation). — Vous trouverez de nomreux liens sur la philosophie pour les enfants et la philosophie à l’école, pays par pays, à l’adresse suivante (en français - en anglais).

À la demande du Théâtre du Rideau de Bruxelles, L’asbl Philomène s’est associée durant l’hiver 2003 à un projet articulé autour de l’œuvre de Janusz Korczak. Cette collaboration consistait en l’animation de discussions philosophiques avec les enfants des classes ayant assisté à une représentation de « Mathias Ier » ou de « L’exemple du docteur Korczak ». Ainsi, durant les mois de février et mars, c’est dans près de 70 classes et auprès de 1300 enfants que se sont déroulées ces animations philosophiques.

Le principe était simple. Au lendemain du spectacle, un animateur se rendait dans la classe et invitait les enfants à formuler des questions se basant sur la perception qu’ils avaient eue du spectacle, tant sur ce qui les avait étonnés, intrigué, dérangé ou tout simplement interpellé. Ces questions étaient consignées au tableau et, suite à un choix concerté du groupe, une ou deux questions (selon le temps qui était disponible) étaient sélectionnées pour faire l’objet d’une discussion collective. Le rôle philosophique de l’animateur était alors d’aider les enfants à explorer ces questions, en les invitant à mettre en œuvre un certain nombre d’habiletés d’ordre intellectuel, cognitif, voire métacognitif (définir les mots employés, donner des exemples et des contre-exemples, envisager les conséquences des propos avancés, identifier des présupposés, reformuler les propos d’autrui…), mais également d’ordre éthique, social ou socioaffectif (respecter l’opinion d’autrui, ne pas s’interrompre, faire la distinction entre la personne et ses opinions, écouter l’autre sans le juger, appréhender la valeur de l’autre et du groupe dans l’exploration des interrogations subjectives et intersubjectives, etc.). De la sorte, la discussion non seulement prenait appui sur les questions des enfants, mais avait pour objectif de faire discuter les enfants entre eux, afin de leur permettre de construire des réponses qui avaient un sens, une signification, pour eux, et ce sur des interrogations qui leur appartenaient. Ainsi, tant les questions qu’ils formulaient que les réponses vers lesquelles ils s’efforçaient de tendre étaient leurs. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les enfants firent plus que s’emparer de cette opportunité qui leur était donnée, en formulant parfois des propos dont la maturité aurait surpris plus d’un adulte.

On le concédera aisément, cette démarche pédagogique entretient plus que des accointances avec le projet korczakien. En effet, même si le pédagogue polonais se refusait à se faire affubler du vocable de pédagogue ou de théoricien de l’éducation, on ne peut que constater la parenté au moins idéologique entre ses méthodes et ses objectifs et ceux préconisés par Matthew Lipman[1], instigateur de la discussion philosophique avec des enfants. Ils partagent en effet le souci de considérer les enfants comme des individus à part entière, avec leurs interrogations, leurs doutes, leurs opinions et leur valeur intrinsèque en tant que personne. Ils privilégient également tous deux une relation aux enfants dont les paramètres sont de l’ordre de la pensée et du jugement critiques, de l’autonomie, de la responsabilité et, plus généralement, de ce qu’on pourrait qualifier de pensée par et pour soi-même.

Dans cette perspective, la portée du projet mené en collaboration avec le Rideau de Bruxelles a pu manifester toute la pertinence d’un prolongement discursif et réflexif du spectacle auxquels les enfants avaient assisté. Cette pertinence fut ainsi perceptible à deux niveaux, l’un plutôt de nature pédagogique pour les enfants, l’autre de nature davantage structurelle pour le corps enseignant et l’institution scolaire.
       

Qu’il s’agisse, comme dans le présent projet, de partir d’une pièce de théâtre, mais également de tout autre support (livre pour enfants, vidéo, photo, article de journal…), la pertinence de la discussion philosophique offre généralement un visage similaire, indépendamment du support utilisé et du public visé. Elle constitue en effet un espace de discussion où l’enfant non seulement peut s’exprimer sans être jugé, mais également se remettre en question, découvrir les interrogations d’autrui, et participer à la résolution collective d’une interrogation qui a du sens pour tous ; le tout sous l’œil attentif et bienveillant d’un adulte animateur qui reconnaît ne pas en savoir plus que l’enfant sur la réponse, pour peu que celle-ci existe, et n’est là que pour aider le groupe à effectuer sa recherche. Il ne faut guère s’aventurer profondément dans les pratiques pédagogiques contemporaines, à moins d’être ignorant ou prodigieusement candide, pour constater que tous ces paramètres sont fort éloignés, sinon diamétralement opposés aux principes qui régissent l’éducation scolaire actuelle des enfants.

Ils sont par contre bien plus proches de ceux qu’affectionnait Korczak, dans la mesure où ils mettent l’accent sur l’enfant en tant que personne, citoyen en puissance et en acte d’une société à laquelle il appartient. Cette société qui l’entoure et qui suscite en lui des interrogations, des réactions, des comportements et des réflexes dont il a parfois du mal à saisir le sens. Et ce n’est pas faire preuve de prétention que d’affirmer que la discussion philosophique avec des enfants vient consacrer dans une communauté de recherche et de dialogue nombre de principes et de priorités qui sont autant d’enjeux pédagogiques, politiques, sociaux et plus globalement humains — sinon humanistes — qui habitaient la démarche tant de Janusz Korczak que celle de Matthew Lipman.

Dans un second temps, la pertinence de cette discussion philosophique avec des enfants s’inscrit dans un contexte plus structurel d’un système scolaire qui, on l’a signalé précédemment, ne repose que trop peu sur des fondations faites d’esprit critique, de responsabilité, de curiosité et de solidarité. Ainsi, les relations nouées avec les enseignants en charge des classes bénéficiaires des animations ont permis de mettre en évidence le profond décalage entre la démarche inscrite au cœur de l’animation philosophique et les présupposés du système scolaire dans lequel elles prenaient place. Il n’est nullement ici question, bien entendu, d’incriminer les enseignants mais davantage la structure institutionnelle et politique à laquelle ils appartiennent. Car celle-ci représente en effet l’antichambre, sinon l’incubateur, de la société à laquelle elle prépare les enfants dont elle a la charge. À ce titre, on peut légitimement s’interroger sur l’esprit, la mentalité et la valeur de cette société en devenir si la place réservée à l’autonomie, la responsabilité et l’esprit critique se réduit à la portion congrue, à l’endroit même où celle-ci devrait être prépondérante, à savoir l’école.

Si la mise en lumière de cette contradiction — que connaissait déjà Korczak à son époque — a connu des destins et des fortunes diverses dans l’accueil qui fut fait aux animations philosophiques, il faut néanmoins insister sur le rôle précieux et courageux de nombreux enseignants rencontrés qui, malgré des exigences et des contraintes au moins programmatiques, pratiquaient déjà les prémisses d’une pédagogie dont ni Korczak ni Lipman n’auraient eu à se plaindre.

C’est pourquoi, en finale, il convient de reconnaître que, malgré des frustrations, des préoccupations et des interrogations bien légitimes dans l’impact qu’a produit le projet mené conjointement par le Rideau de Bruxelles et l’asbl Philomène, dans les animations philosophiques en classes primaires, le bilan est plus que positif. Ce projet fut en effet l’occasion d’incarner, dans un projet ambitieux, novateur et cohérent, les préceptes d’un pédagogue et humaniste polonais qui, plus que n’importe qui, avait su reconnaître la prodigieuse richesse que recèle l’enfant. À l’heure où se multiplient les raisons de s’interroger sur une société à laquelle sont confrontés des enfants alertes, vifs et concernés, force est de reconnaître le bien-fondé de la démarche initiée par le Rideau de Bruxelles. Et d’en saluer humblement la pertinence et la valeur exemplaire.

Gilles ABEL,
Vice-président de l’Association PHILOMÈNE (Belgique) Bruxelles, le 11 août 2003.


Notes

[1]Mathew Lipman est le directeur, à la Montclair State University (USA), de l’IAPC (Institute for the Advancement of Philosophy for Children). Il a créé dans les années 60 le programme de Philosophie pour enfants, actuellement pratiqué dans le monde entier.

Korkzack au milieu des enfants qu'il décida d’accompagner sous sa garde au camp d’extermination de Treblinka en août 1942.

Korkzack au milieu des enfants qu'il décida d’accompagner sous sa garde au camp d’extermination de Treblinka en août 1942.

Korczak et le mouvement pédagogique
Par Michel Lobrot


Professeur émérite de l’Université Paris 8 Saint-Denis (Sciences de l’éducation), Michel Lobrot avait accepté de jouer le rôle du Candide au colloque « Korczak et la réforme de l’éducation » que nous avions organisé avec cette université du 23 au 27 juin 2003. Du premier jour au dernier jour, ses analyses pour mettre en perspective l’œuvre de Janusz Korczak avaient retenu l’attention des présents.

Reprenant ici ses propos, l’auteur apporte une brillante mise en perspective et un éclairage original sur les apports spécifiques de Janusz Korczak dans le domaine de l’éducation.

Dès que j’ai connu la vie et l’entreprise pédagogique de Korczak, j’ai tenté de le resituer dans le mouvement pédagogique, apparu à la fin du 19e siècle et qui a influencé fortement ce qui se passe aujourd’hui dans le domaine de l’éducation.

Ce mouvement, déjà bien parti au 18e siècle grâce aux apports de Rousseau et d’autres, prend de l’ampleur à la fin du siècle suivant, durant la « belle époque », sous l’impulsion d’hommes et de femmes, nés dans cette période charnière située entre les années 1850 et 1880. C’est en effet entre ces dates que naissent Maria Montessori (1870), Ovide Decroly (1871), John Dewey (1859), Francisco Ferrer (1859), Adolphe Ferrière (1879), Roger Cousinet (1881), Édouard Claparède (1873). Quant à Korczak, il naît à Varsovie en 1878 dans un milieu juif de la bourgeoisie polonaise.

Cette génération, qui s’épanouit dans une époque de paix et de prospérité, entre la fin des régimes victorien, napoléonien et bismarckien et la première guerre mondiale, est suivie d’une autre, qui s’épanouit dans un contexte entièrement différent. Celle-ci est formée de gens nés à l’extrême fin du 19e siècle et qui connaissent leur maturité entre 1914 et 1945, époque troublée s’il en est, marquée par l‘avènement du communisme, les fascismes, les totalitarismes, le colonialisme. On peut citer, comme appartenant à cette seconde génération : Célestin Freinet (né en 1896), A.S. Neill (né en 1883), Bruno Bettelheim (né en 1903), Anton Makarenko (né en 1888).

Les uns et les autres sont influencés par le message de Rousseau, c’est-à-dire plus profondément par un état d’esprit apparu au 18e siècle et qui, d’après Jacques Bousquet (Le 18e siècle romantique, 1972), explique aussi la formidable poussée de romantisme de cette époque. Cet état d’esprit éclate dans l’Émile. Il s’agit d’un mélange plus ou moins heureux de sentimentalisme et de redécouverte de l’enfant, considéré comme porteur de toutes les valeurs fondamentales de l’homme, à savoir spontanéité, ouverture, enthousiasme, etc, d’un côté, et, de l’autre, d’une théorisation sur ce même enfant, avec une approche qui se veut scientifique, qui a la prétention de fonder une méthode et de justifier des techniques. Ainsi Rousseau veut qu’on laisse Émile libre de ses mouvements, loin de l’atmosphère délétère des grandes villes, qu’on fasse confiance à ses capacités de découverte et d’invention, mais quand, au chapitre 3, il aborde l’adolescence, il interdit qu’on montre à Émile des connaissances sophistiquées et gratuites et enjoint qu’on ne lui apprenne que des choses utiles. « Il y a un choix, dit-il, dans les choses qu’on doit enseigner, ainsi que dans le temps propre à les apprendre […] Il ne s’agit point de savoir ce qui est, mais seulement ce qui est utile. »

Ceci est ordonné au bien de l’enfant, donc semble respecter son vouloir, dans une vision qu’on pourrait qualifier de « non-directive ». Mais cela est sujet à caution et le résultat frise la manipulation. On le sent bien dans le texte suivant. « […] Songez bien, dit-il, que c’est rarement à vous de lui proposer ce qu’il doit apprendre, c’est à lui de le désirer, de le chercher, de le trouver ; à vous de le mettre à sa portée, de faire naître adroitement ce désir et de lui fournir les moyens de le satisfaire. Il suit de là que vos questions doivent être peu fréquentes mais bien choisies et que, comme il en aura beaucoup plus à vous faire que vous à lui, vous serez toujours moins à découvert, et plus souvent dans le cas de lui dire : en quoi ce que vous me demandez est-il utile à savoir ? ».
       

En réalité, l’adulte reste le maître du jeu, même s’il accepte de tenir compte de certaines particularités de l’enfant. Il adapte et modère son action, prend des voies détournées pour arriver à son but, intègre dans sa conduite un amour incontestable de l’enfant, mais ne remet en aucune manière en question son statut d’être supérieur et directeur. Nous sommes en présence d’un adulto-centrisme renforcé, dans lequel l’enfant reste assujetti et soumis, malgré les apparences Le projecteur est dirigé vers lui, ce qui est nouveau, et non sur l’adulte ou le maître, mais c’est pour mieux protéger celui-ci, pour éviter d’avoir à réviser la vision qu’on se fait de lui.

Le cadre rousseauiste ainsi défini restera, jusqu’à notre époque, jusqu’à la naissance du mouvement institutionnaliste après la deuxième guerre mondiale, la référence unique et intangible de tous les réformateurs pédagogiques. Ceci explique aussi leur peu d’impact sur la vie sociale, ce qu’il faut bien appeler leur échec.

Dans cette perspective, il faut faire une différence entre les deux générations nées au 19e siècle.

La première pousse au plus haut point la contradiction qui vient d’être signalée. Très favorable à l’enfant, qu’elle entend laisser libre et autonome, elle élabore cependant des structures auxquelles elle prétend le soumettre, soi-disant pour son bien. La distance qu’elle établit par rapport à lui est considérable. Ces structures, telles que les méthodes sensori-motrices de Maria Montessori, le syncrétisme de Decroly, le contrat de John Dewey, les méthodes actives de Ferrière, etc, ne sont pas sans valeur, si elles sont réutilisées dans un autre contexte. Telles qu’elles sont, elles restent a priori et non soumises à l’accord de l’enfant.

La seconde génération est plus proche de l’enfant dans la réalité. Souvent plus marquée par la guerre, elle est d’avantage à l’écoute de l’enfant réel, à qui elle offre des moyens d’expression, comme « le dessin libre », le « texte libre » de Freinet. Cependant elle n’est pas capable de revoir en profondeur l’institution éducative qui lie l’enfant à l’adulte, d’inventer un nouveau type d’institution.
La vision politique de Korczak

Korczak tient dans cet ensemble une place à part. Sa vision est plus politique que celle de la plupart de ses contemporains. Il insiste plus que les autres sur le besoin qu’a l’enfant de justice et d’équité. C’est pourquoi, il invente tout un système judiciaire complexe et sophistiqué, dans lequel l’enfant occupe lui-même les principaux postes de représentants de la justice. La manière dont il se soumet lui-même aux règles de cet organisme est exemplaire. Son amour de l’enfant, qui se traduit dans des pièces de théâtre et des productions littéraires remplies de lyrisme et de générosité, nous touche profondément, nous fait entrevoir une autre époque où le rapport des générations sera modifié. Cela ne suffit malheureusement pas à adoucir ou à freiner la formidable machine de guerre, la force monstrueuse mise en place contre lui et contre son peuple et qui le fait périr.

L’échec de Korczak est d’une certaine façon notre échec, à nous tous éducateurs. Il est difficile d’oser penser et réaliser des institutions nouvelles, dans lesquelles l’adulte, le maître, le parent se remettront eux-mêmes en cause et établiront avec les jeunes une véritable égalité, permettant les échanges à tous les niveaux, une véritable circulation des idées et des affects. Aussitôt se présentent des objections, qui paraissent insurmontables : l’enfant n’est-il pas « par nature » sous la dépendance et la responsabilité de l’adulte ? L’idée d’un monde où l’enfant s’exprimerait complètement lui-même, avec l’aide de l’adulte, tout en restant soumis, comme tout le monde, à certaines règles de cohabitation, nous fait frémir et nous donne envie de sortir l’arsenal de nos armes de destruction. Il semblerait que nous atteignions ici une limite. Mais est-ce vraiment une limite ? Et le défi du monde contemporain n’est-il pas justement de nous obliger à dépasser cette limite ?

Michel Lobrot,
Professeur de Sciences de l'éducation de l'Université Paris 8 Saint Denis
Paris, le 14 juillet 2003.

 

Association Française Janusz Korczak (AFJK)
"Korczak" d'Andrzej Wajda il décida d’accompagner les enfants sous sa garde au camp d’extermination de Treblinka en août 1942.

"Korczak" d'Andrzej Wajda il décida d’accompagner les enfants sous sa garde au camp d’extermination de Treblinka en août 1942.

 
 
L'enfant auteur…
une réponse
aux violences à l'école ?,
par Sylvain Hannebique
LEMONDE.FR | 02.04.10 | 18h44


 
Depuis 2001, une école expérimentale Freinet s'est installée dans un quartier défavorisé de la banlieue lilloise, à Mons-en-Barœul (école du Réseau ambition réussite). Nous en sommes aujourd'hui à notre neuvième année de fonctionnement avec des enfants de 2 à 11 ans.
L'équipe pédagogique nommée suivant un protocole particulier est composée de 9 enseignants volontaires appartenant à l'ICEM (Institut coopératif de l'école moderne).


L'originalité supplémentaire, c'était d'accepter que l'expérience puisse être mesurée dans ses effets et fonctionnements et être évaluée par un laboratoire de recherche (laboratoire Théodile-université Lille-III avec une sociologue du Cesdip-CNRS). Les résultats sont parus dans deux livres : Une école Freinet (sous la direction d'Yves Reuter, L'Harmattan, 2007) et Violences à l'école élémentaire, de Cécile Carra, PUF, 2009).

Le défi était important en arrivant : violences et incivilités, retards scolaires importants, résultats aux évaluations préoccupants, effectifs en chute, conflits nourris par les "grands frères", conflits entre parents, et un certain fatalisme sociologique. Praticiens de la pédagogie Freinet depuis plusieurs années, nous avions des outils et des techniques qui avaient fait leurs preuves : travail en équipe, correspondance scolaire, individualisation du travail, apprentissage par "tâtonnement expérimental" qui est le principe de la "méthode naturelle", expression libre et créativité, conseils d'enfants, recherches libres en mathématiques et en étude du milieu… Nous avons fait le pari qu'il fallait transformer la nature du travail à l'école, créer une rupture forte pour ces enfants qui ne croyaient plus en eux.

Dès la première rentrée, nous avons dans un premier temps refermé l'école, nous l'avons "sécurisée" pour mieux la rouvrir avec l'aide des enfants devenus auteurs… Notre premier souci a donc été de faire en sorte qu'ils puissent s'exprimer, créer, produire, parler de leur vécu dans des entretiens du matin et rentrer ainsi dans des apprentissages, sans avoir peur de l'erreur. Nous leur avons permis d'écrire, d'éditer des recueils de textes et recherches, des lettres à des correspondants, de démarrer des recherches mathématiques, de créer en musique, danse, expression corporelle, théâtre, de préparer des exposés en partant de leur milieu proche puis lointain… Nous avons mis toute notre énergie pour que des "patrimoines culturels de proximité" se construisent, se croisent dans un espace coopératif où le respect de l'autre, l'écoute, seraient garantis par l'autorité du maître et les règles construites en conseils d'enfants.

Ce qui nous a surpris nous-mêmes, c'est que les enfants se sont vite emparés de ces possibles, tant leur puissance de vie était intacte… Ils ont appris à chuchoter, à se mettre au travail long, à être autonomes. Très vite, ils ont tenu à leur travail, ils l'ont revendiqué parce que celui-ci permettait de retrouver une estime de soi, une confiance, une reconnaissance… et au bout d'un mois seulement, il est devenu nécessaire à leurs yeux de construire des règles, indispensables pour pouvoir gagner de l'autonomie et encore mieux s'exprimer, communiquer, coopérer… tout cela sans note, ni classement, ni stigmatisation des erreurs. Chaque enfant, même en souffrance scolaire, a été maintenu dans le groupe classe dans des dispositifs partagés de construction des savoirs… sans avoir à être soutenu en dehors des processus communs d'apprentissage.

Il nous a fallu encore expliquer notre travail aux parents, les associer aux progrès de leur enfant, travailler avec eux et l'association de quartier voisine dans des ateliers du soir. Des "heures des parents" hebdomadaires chaque samedi permettaient par exemple aux enfants de présenter leur travail à leurs parents, devenus destinataires de leurs œuvres, même humbles.

Dès 2006, il est noté par l'Inspection que "dans les champs d'étude des universitaires, comme dans les observations réalisées au niveau de la circonscription, l'expérimentation de Mons-en-Barœul atteint des résultats qui étaient inespérés dans les évaluations nationales et locales au vu de la situation initiale (...). Les résultats les plus notables ont été obtenus dans la réduction des actes de violence, le rapport des élèves et des parents à l'école, et dans les acquisitions analysées par des chercheurs du laboratoire Théodile".

De son côté, l'équipe de recherche universitaire notait des effets positifs  au travers d'une dizaine de dimensions.

Et aujourd'hui ? Le climat, profondément changé, nous permet d'affirmer qu'il n'y a plus aucune violence ni dans l'école, ni autour de l'école, et que les parents sont redevenus des acteurs attachés à l'école. Ce qui frappe d'ailleurs les "visiteurs", c'est le calme, le silence et l'ambiance sereine de travail, l'autonomie. On peut dire sans crainte que les enfants "tiennent" à leur école, à leur travail émancipateur… Les grands frères viennent parfois écouter leur "petits", des lieux de parentalité se développent avec l'aide de la municipalité qui, elle aussi, a noté des effets très positifs autour de l'école jusque dans le quartier... avec des résultats scolaires (évaluations nationales) en forte croissance, même si nous en mesurons encore toute la fragilité … Mais pour que cela réussisse encore mieux, pour que cela soit possible ailleurs, comment faire ?

- Permettre des équipes pédagogiques recrutées à partir d'une cohérence de projet et d'action éducative, pédagogique,

- Initier une formation initiale et continue forte aux pédagogies actives et alternatives,

- Se centrer sur le travail … émancipateur, libérateur : l'enfant auteur (donc acteur),

- Prendre en compte les enfants en souffrance sans mise à l'écart, en les maintenant tous dans les processus d'apprentissages au sein d'une classe coopérative,

Et aussi… pour un autre statut de l'erreur à l'école, pas de compétition, pas de classement ; pour un respect-accueil fort (élèves, adultes) ; pour une construction progressive de règles … appliquées par tous, enfants et adultes ; pour des temps longs d'apprentissages ; pour une sécurisation des enfants, parents, enseignants…

Sylvain Hannebique est directeur d'une école expérimentale.
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