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Articles récents

Marcel Conche sur France-Culture

23 Mars 2010 , Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G.

Vidéos de la rencontre d'Altillac
du 11 novembre 2009
 
Marcel Conche sur France-Culture
 
Du lundi 22 mars au vendredi 26 mars, dans le cadre de l'émission de Laure Adler, Hors-Champs, de 22H 15 à 23 H, Marcel Conche s'entretient avec ses invités, le 22 avec Laure Adler, le 23 avec Jean-Claude Grosse, le 24 avec André Comte-Sponville, le 25 avec son petit-fils, le 26 avec Laure Adler. Ces entretiens peuvent être podcastés.
Bonne écoute.

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Laure Adler, Marcel Conche
 © RF / M.-A. Garandeau

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    Marcel Conche, Jean-Claude Grosse
 © RF / M.-A. Garandeau

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Marcel Conche, André Comte-Sponville
 
© RF / M.-A. Garandeau

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© RF / M.-A. Garandeau

  La voie certaine vers "Dieu"

de Marcel Conche,

philosophie,

ISBN: 978-2-35502-007-0  13X17   64 pages   10 euros

 


Avec la morale et la religion, on est dans l’élément de la certitude : indubitabilité du devoir (dans une situation donnée), conviction sans faille que l’amour doit, autant que possible, inspirer notre vie – amour du « prochain », qui est aussi, par là-même, amour de « Dieu », pour ceux qui attribuent au mot « Dieu » une signification. Ainsi, dans La voie certaine vers « Dieu », le mot « Dieu » peut désigner quelque chose de réel, ou quelque chose d’idéal, ou ne rien désigner du tout, mais qu’il en soit ainsi ou autrement, c’est chose indifférente.

 

Le 27 janvier 2008 à 9 H 55, salle Tolosa à Toulouse,
 
Marcel Conche
a exposé son point de vue lors d'un colloque de deux jours :
Demain avec ou sans Dieu ? Croyants et incroyants s'interrogent.
 
Titre de son intervention :
La voie certaine vers "Dieu".

Argument:
Il y a deux voies pour aller vers Dieu: la voie du concept et la voie de l'image. La voie du concept aboutit au Dieu-concept, celui des philosophes, des théologiens, des savants. Le Dieu-concept n'est qu'une fiction de la raison humaine. La voie de l'image part de l'homme comme "image de Dieu" et aboutit au vrai Dieu, le Dieu qui n'est qu'amour. On ne dit pas qu'il soit réel. La route du moulin est toujours la même, même s'il n'y a plus de moulin. La voie vers "Dieu" est certaine, quoi qu'il en soit de Dieu. C'est la voie de l'amour inconditionnel. Je définis la religion de l'époque de la mondialisation, la religion de l'avenir.
M. Conche
Les 4 Saisons du Revest, à la demande de Marcel Conche, ont filmé son intervention pour la mettre à disposition sur l'espace de grossel chez dailymotion, comme d'autres vidéos de Marcel Conche déjà disponibles.

 


ACTUALITÉ D’UNE SAGESSE TRAGIQUE
(La pensée de Marcel Conche)
de Pilar Sánchez Orozco
 Préface d’André Comte-Sponville.
ISBN: 2-908387-81-6 -  352 p. -   16,5x24 -  40€

 
Un extrait:
 
Comment vivre ? Comment avoir une bonne vie ? Ni la science ni la morale ne peuvent nous donner la réponse, car, bien que la première nous donne des connaissances sur le monde et la vie, et bien que la seconde nous informe de nos devoirs envers les autres, aucune des deux ne nous dit si cela vaut la peine de vivre, ni de quelle façon. Mais, puisque nous vivons, la question ne peut cesser de nous intéresser, et la philosophie ne peut cesser de se la poser. C’est en effet la question à laquelle l’éthique et la sagesse tentent de donner une réponse, comprenant que, d’une part, elles évoluent dans un domaine du savoir distinct de celui de la connaissance et que, d’autre part, elles vont plus loin que la morale.
Nous sommes à un moment où les grands discours traditionnels, telles que les grandes religions, les utopies politiques ou les cosmologies anciennes, ont perdu leur crédibilité. Nous évoluons dans un monde désenchanté et sans grandes espérances, où même la notion de sagesse peut paraître quelque peu anachronique. Nous vivons à une époque qui n’est pas encore sortie de la crise métaphysique et qui, par conséquent, dans l’absence d’une vision métaphysique nette, a beaucoup de difficultés à trouver une cohérence entre un énoncé éthique et une nouvelle vision métaphysique pas encore configurée, car la méfiance à l’égard de la métaphysique traditionnelle et ses fausses illusions semble avoir discrédité toute tentative de métaphysique. Par conséquent, comme beaucoup, nous évoluons habituellement dans le relativisme du pluralisme éthique : sans critère clair pour nous définir personnellement, comme si tout dépendait finalement des circonstances plus que de nous-mêmes. Mais le problème est que de toute façon, nous devons vivre et, si possible, trouver une réconciliation avec « la réalité » telle qu’elle est. Nous savons que cette réalité est problématique, en un double sens : premièrement au sens immédiat de la réalité commune, où nous rencontrons des problèmes vitaux auxquels nous devons répondre ; mais aussi en un second sens « métaphysique ». Et la sagesse, telle que l’entend Conche, implique un mode de vie en cohérence avec une compréhension métaphysique déterminée. Comment trouver une cohérence avec quelque chose qui n’est pas clair ? À partir de la défense d’un pluralisme philosophique, il est possible d’accepter différents modèles de sagesse. Mais, comme nous ne vivons qu’une vie, un choix vital et intellectuel s’impose en même temps à chaque individu.

L’on dit souvent que la philosophie est l’amour de la sagesse. Mais Conche ne voit pas les choses exactement ainsi. Il croit que l’objet ou la finalité de la philosophie n’est pas la sagesse, mais simplement la vérité. Pour chercher la vérité, et ne s’intéresser qu’à la philosophie, en laissant de côté une grande quantité d’intérêts « mondains », il est nécessaire d’avoir déjà, préalablement, beaucoup de sagesse. Autrement dit, la sagesse est une condition de la philosophie, et peut-être est-ce la raison pour laquelle les philosophes sont « rares ».

Ce portrait de Marcel Coche est dû à Jean Leyssenne.




 

 

 
 
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Métropolis, la Grèce et Goldmann Sachs

7 Mars 2010 , Rédigé par grossel Publié dans #R.P.

Métropolis, la Grèce et Goldmann Sachs
 L 274

LA FROUSSE DU TRÉSOR

Le trésor fut découvert en Argentine, après une longue quête : ce qui était resté caché du film de Fritz Lang, Metropolis, la vraie bobine du film et les intentions de son auteur sont ainsi dévoilées dans une grande mise en scène berlinoise.
 
Les Uns Invités sont en salle avec grand écran et grand orchestre, les autres debout devant la porte de Brandebourg, devront piétiner dans la neige et le froid. En raccourci, la première intention de Fritz Lang vient de s’incarner : ici l’homme de qualité abrité, assis, chauffé, l’esprit libre ; ailleurs l’homme spectateur mécanique, debout les pieds gelés, l’haleine vaporisée, le regard vitrifiée. Bon début. Mais tout cela n’était pas prémédité et suppose un esprit mal tourné pour y voir malice : ce n’était qu’un bon et vieux réflexe, voilà tout.
Thomas Sotinel, quant à lui,  journaliste au Monde (14/15 février) , se penche laborieusement sur le film, sa restauration et sa projection dans « la belle salle du FriedristadtPalast {où} les invités ont découvert le film accompagné par l’orchestre de la radio, dirigé par Frank Strobel. » Puis il se love au creux une explication technique, enluminée d’un historique sur l’amputation, par la Paramount en l’année 1927, pour « faire du film une fable d’anticipation peuplée de silhouettes schématiques. {…} La description de la mégalopole industrielle, peuplée en son sous-sol  de prolétaires désignés seulement par un matricule, et dirigée par des ploutocrates qui vivent dans des palais, n’est plus la seule raison d’être de Metropolis. » : rassurant, surtout que les « séquences retrouvées donnent à voir, entre autres, la rivalité amoureuse entre le premier des oligarques (…) et le savant… » puis il sera question de “puissance dramatique“, de “rythme d’origine“ en concordance avec la musique originale… le tout ramassé en final dans une sorte de chant agreste à la gloire de “l’œuvre à part entière“ qui ne serait plus « seulement la matrice de films de science-fiction (…) ou un élément du débat sur la lutte des classes en Europe. C’est une œuvre à part entière dont les faiblesses (interprétation de certains rôles, la naïveté roublarde du leitmotiv politique) font encore mieux ressortir la richesse », en somme le moins bon (jeu des acteurs), voire le plus mauvais (naïveté roublarde du leitmotiv politique), donnent des couleurs au meilleur de l’œuvre : les histoires d’amour croisées…

Qu’on ne puisse s’empêcher, aujourd’hui, d’être bousculés par le champ prémonitoire de ces mouvements de foules mécaniques, nuques blafardes, avançant vers l’abîme, par ces gestes de travailleurs machines crucifiés dans les souterrains du Léviathan, relèverait presque de l’anecdote si l’on suivait Thomas Sotinel dans ses conclusions. La logique morbide du capitalisme – ah ! le gros mot, l’attaque vicieuse, n’est-ce pas – fut, est et sera, de s’engouffrer dans l’extermination, par le travail, par l’idéologie, sous toutes les latitudes, dans l’utilisation d’une main d’œuvre enfin à la merci de la schlague, sans limite : exploiter jusqu’à l’os, sans autre limite que la mort ! Ce fut leur Morale ! Elle se tient toujours debout, dans les encoignures de leurs ivresses, au cœur du pouvoir. Et il se trouve un film qui, bon gré malgré, porte en lui, au plus haut degré de sa puissance évocatrice, l’horreur de cette malédiction.

Et de cela Fritz Lang aura rendu compte à posteriori, la force poétique le faisait marcher en avant de son temps et de lui-même, il flaira l’abîme. Et voilà qu’il faudrait presque en faire son deuil pour s’en tenir à une symphonie sentimentale tourmentée surdimensionnée. Pour qu’ils en arrivent là, quelle frousse leur a foutue le Fritz!*

Lellouche Pierre, secrétaire d’Etat aux affaires européennes, nous aura fait une petite peur, lui : « Moi, je voudrais ne plus voir d’enfants exploités dans les rues de Paris » à propos des enfants roumains et Roms que des mafias exploitent en les livrant à la mendicité et au vol dans les rues des capitales européennes. Qu’arrivait-il ? Où irions-nous si des secrétaires d’Etat et autres ministres, européens ou pas, se mettaient tout à coup à avoir du cœur au ventre et de la morale en tête : le capitalisme se réformerait-il ?  se moraliserait-il ? Nous serions-nous trompés nous tous les anars, les communistes, les refuzniks, les bougons, les grognons, les pas bons ? Non, non, non, bien sûr que non : il a dit, Lellouche : « Moi, je ne voudrais plus voir d’enfants exploités dans les rues de Paris. Ce n’est pas bon pour l’image… »  là, on s’y retrouve. L’image de l’Europe, de la Roumanie, du monde entier si vous le voulez bien, sauvons les images ! D’Epinal de préférence, la France continue d’exporter en ce domaine avec succès, le Premier Histrion de France ne se déplace jamais sans son chapeau, son lapin et sa baguette magique de Président. Sauvons l’image, oublions le reste.

Enfin vient la Grèce, la mauvaise, celle qui a emprunté, dépensé, sans compter. La Grèce, en général, la Grèce des Grecs quoi ! Imaginez , tous ces Grecs qui s’en sont allés de par le monde se débrouiller pour que les banques les plus puissantes, Goldman Sachs entre autres, leur prêtent des Millions de millions d’Euros dans une arnaque confraternelle ! Vivaient à l’aise les grecs, hein !

Dans les Echos.fr : « Selon des informations du « Spiegel », reprises et précisées par le « New York Times » d'hier, la banque d'affaires américaine aurait, avec l'aide d'instruments développés par JPMorgan Chase et d'autres banques de Wall Street, aidé la Grèce à dissimuler l'ampleur de sa dette et de son déficit (Antigone Loudiadis) en sapant ainsi la crédibilité de ses comptes publics depuis plusieurs années. ». Quoi de plus naturel ? Le capitalisme est toujours ce qu’il était et même de plus en plus ce qu’il est. Mais les Grecs, ceux qu’on appelle “la population“, ne semblent pourtant pas avoir une grande reconnaissance pour leurs hommes d’Etat si débrouillards qui leur ont procuré des millions et des millions d’euros : ils n’auront pas eu leur part ? C’est là l’objet de leur colère ? Ils auront mis Athènes à feu et à sang pour une histoire de gros sous, simplement parce qu’ils se sentaient pauvres ? En sommes non payés de retour. Belle mentalité ! Mesquinerie si mal accordée à leur antique héritage.

Et les autres pays** du grand marché mondial auront bien raison de les sermonner et de leur faire payer, sans pitié, cette déraison d’Etat dont  tous les Grecs sont solidairement responsables. Seuls quelques édiles pourront ne pas en souffrir : voyez et lisez Aristophane, il savait déjà comment répondre à ceux qui s’en offusqueraient !

Mais que va faire, ou plutôt que va dire Obama, puisqu’en ce domaine rien n’est à faire qui ne soit déjà fait, à l’avantage des banques et banquiers tout-puissants.

 
Robert

*Il faut croire que l’affaire leur tient à cœur puisque le quotidien (21/22 février) lui offre sa page 2 quand lui réitère l’argumentaire précédent à quelques nuances près. La mise au point sur la nature de ce que l’on appelle un “film culte“, très embrouillée par ailleurs, ne change rien au désir, très apparent, de minimiser et détourner la prémonition de Fritz Lang de ce que va devenir l’Allemagne dans un futur proche ; l’auteur lui-même en était-il conscient ? La question n’a plus de sens après sa mort et en l’absence de tout commentaire écrit (connu) de sa part... Tout ce que l’on sait est qu’il préférait “M le maudit“ à tous ses autres films…

** sous le titre « La Grèce n’est pas la seule à “maquiller“ sa dette » (Le Monde.fr 21/02) on peut lire : « Quand on est "limite'', on a forcément la tentation d'utiliser ces astuces-là pour essayer de réduire sa dette, commente René Defossez <http://www.lemonde.fr/sujet/bdcd/rene-defossez.html> , stratège sur le marché des taux chez Natixis. Ce n'est pas très orthodoxe, mais ce n'est pas forcément contestable. »

  
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Actualité de La grève de masse de Rosa Luxembourg

24 Décembre 2009 , Rédigé par grossel Publié dans #agora

Je mets en ligne cet article et cette vidéo de Solidarité et Progrès. Ce sont des analyses très claires.
Lire aussi cet article sur la faille de Marx:
composition technologique du capital contre composition organique.
Et mon analyse critique de cet article.
grossel


 

La Grève de masse de Rosa Luxemburg
et son actualité aujourd’hui
30 septembre 2009

 
 
De mémoire récente, la seule expérience des populations occidentales avec le ferment de grève de masse est la série de révolutions qui ont mené à la chute du mur en 1989. Des centaines de millions de gens sont descendus dans la rue et ont renversé en l’espace de quelques mois seulement les régimes socialistes d’Europe centrale. Ces événements avaient été anticipés un an plus tôt par l’économiste politique américain Lyndon LaRouche, lors d’une conférence de presse à l’Hôtel Kempinski de Berlin le 12 octobre 1988. Les raisons qu’il avait évoquées étaient de nature économique, l’Union soviétique ayant rejeté l’offre de l’administration Reagan pour une mise en œuvre conjointe de l’Initiative de défense stratégique, et s’étant lancée à corps perdu dans un processus d’accumulation primitive à l’encontre des peuples qui lui étaient assujettis.

LaRouche avait également affirmé, après la chute du mur, que l’« autre chaussure allait tôt ou tard tomber en Occident ». Après avoir pillé les pays du Tiers Monde, la Cité de Londres et ses satellites se sont maintenant rabattus, comme l’avait fait l’Union soviétique au cours des années 80, sur des méthodes d’accumulation primitive contre les peuples occidentaux plus ou moins épargnés jusqu’à présent.

Qui était Rosa Luxemburg ?

De la même manière, l’autorité de Rosa Luxemburg sur la question de la grève de masse est liée à son rôle en tant que dirigeante politique et à sa compétence en tant que l’un des rares grands économistes politiques des 150 dernières années. Elle avait compris que l’émergence de grèves de masse était, sous certaines conditions économiques et historiques, inévitable.

Née en 1871, troisième muse polonaise avec la claveciniste Wanda Landowska et la physicienne Marie Curie, Rosa Luxemburg était un économiste brillant, l’une des rares à critiquer Marx non pas d’un point de vue idéologique mais de celui de la recherche de la vérité. Elle était également une personnalité politique majeure à une époque où les femmes n’avaient même pas le droit de vote.

Luxemburg fonda la Ligue Spartacus en 1914, en s’opposant résolument au soutien des sociaux-démocrates à la Première guerre mondiale, puis le Parti communiste allemand en décembre 1918, lorsqu’il devint évident que la social-démocratie allait trahir de nouveau la classe ouvrière. Lors de la vague de grève de masse qui éclata en Allemagne au lendemain de la Guerre, elle fonda avec Karl Liebknecht le Drapeau rouge (Rote Fahne), afin d’orienter le mouvement. Elle et Liebknecht furent assassinés par des miliciens d’extrême-droite le 19 janvier 1919, avec la complicité de certains sociaux-démocrates exerçant alors le pouvoir.

Rosa Luxemburg fut l’auteur de plusieurs études économiques d’envergure et de centaines d’articles touchant à la politique et à l’économie. Son essai de 1906, Grève de masse, parti et syndicat est une œuvre prémonitoire, résultant de son étude des conséquences économiques et politiques de l’impérialisme de la fin du XIXe siècle.

Dans une récente discussion concernant la mobilisation d’août aux Etats-Unis contre le projet de réforme de la santé du Président Obama, l’économiste américain Lyndon LaRouche faisait part de son estimation selon laquelle on assistait aux premières manifestations d’une grève de masse, au sens strict où l’entendait Rosa Luxemburg dans son essai.

Il ne s’agit pas ici de sémantique, ni d’un échange de rhétorique entre professeurs de Sciences politiques, mais d’une question urgente : la survie même des nations europénnes et des Etats-Unis dépend d’une mobilisation sans précédent de ses populations – en fait, d’une grève de masse. Mais quelles sont les conditions nécessaires à son émergence ?

Bien que les conditions économiques, sociales et culturelles ne soient pas identiques aujourd’hui aux Etats-Unis et en Europe à celles qui prévalaient en 1906 en Russie, en Pologne et en Allemagne lorsque Rosa Luxemburg écrivit son essai, les similarités sont plus importantes que les différences. Une grève de masse se déclenche pour des raisons qui sont historiquement spécifiques, certes, mais toujours parce qu’un peuple prend soudainement conscience que son existence même, que tout ce qui compte pour lui est menacé.

Ce n’est pas par hasard si LaRouche, pour qui l’économie doit toujours être vue comme un processus physique, a compris, comme Rosa Luxemburg en son temps, que la grève de masse une fois déclenchée est une force physique qui peut devenir irrésistible.

Pour toutes ces raisons, Luxemburg voyait la grève de masse comme un phénomène scientifique, et décriait les apprentis sorciers parmi les dirigeants de la gauche de son époque, qui prétendaient pouvoir déclencher voire interdire la grève de masse : « C’est sur le même terrain de la considération abstraite et sans souci de l’histoire que se placent aujourd’hui d’une part ceux qui voudraient déclencher prochainement en Allemagne la grève de masse à un jour déterminé du calendrier, sur un décret de la direction du Parti, et d’autre part ceux qui, comme les délégués du Congrès syndical de Hambourg, veulent liquider définitivement le problème de la grève de masse en en interdisant la ‘propagande’. L’une et l’autre tendances partent de l’idée commune et absolument anarchiste que la grève de masse n’est qu’une arme purement technique qui pourrait à volonté, selon qu’on le juge utile, être ‘décidée’ ou inversement ‘interdite’, tel un couteau que l’on peut tenir fermé pour toute éventualité dans la poche ou au contraire ouvert et prêt à servir quand on le décide. » [1]

Massenstreik (Grève de masse, parti et syndicat), édition allemande de 1919, publiée à Leipzig
En 1906, lorsque Luxemburg écrivit Grève de masse, parti et syndicat, nul n’ignorait les évènements révolutionnaires en Russie de 1905, mais c’est Luxemburg qui prit la peine d’en élucider les causes tant économiques que politiques : « Si le déclenchement des grèves dépendait de la ‘propagande’ incendiaire des ‘romantiques de la révolution’ ou des décisions secrètes ou publiques des Comités directeurs, nous n’aurions eu jusqu’ici aucune grève de masse importante en Russie. Il n’y a pas de pays où l’on ait aussi peu pensé à ‘propager’ ou même à ‘discuter’ la grève de masse que la Russie. (…) La révolution russe nous apprend donc une chose : c’est que la grève de masse n’est ni ‘fabriquée’ artificiellement, ni ‘décidée’ ou ‘propagée’, dans un éther immatériel et abstrait, mais qu’elle est un phénomène historique, résultant à un certain moment d’une situation sociale à partir d’une nécessité historique ».

C’est ainsi qu’elle décrit minutieusement la multiplication de soulèvements depuis la première et apparemment « insignifiante » grève économique de 40 000 ouvriers de Saint-Pétersbourg en mai 1896 jusqu’à la « troisième grève générale de masse », à caractère politique, « qui s’étendit à l’Empire tout entier » en décembre 1905 : « La grève de masse tel que nous la montre la révolution russe est un phénomène si mouvant qu’il reflète en lui toutes les phases de la lutte politique et économique, tous les stades et tous les moments de la révolution. Son champ d’application, sa force d’action, les facteurs de son déclenchement, se transforment continuellement. Elle ouvre soudain à la révolution de vastes perspectives nouvelles au moment où celle-ci semblait engagée dans une impasse. Et elle refuse de fonctionner au moment où l’on croit pouvoir compter sur elle en toute sécurité. Tantôt la vague du mouvement envahit tout l’Empire, tantôt elle se divise en un réseau infini de minces ruisseaux, tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades – toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l’une sur l’autre, c’est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants. »

Avec cet esprit rigoureux qui la caractérise, Luxemburg insiste qu’il n’y aura pas de Grand Soir, en tant que tel, mais que les dirigeants de la classe ouvrière se doivent d’être attentifs, sur de longs mois, souvent sur des années, à tout ces petits cours d’eau qui confluent dans l’immense fleuve de la grève de masse : « Il est absolument faux d’imaginer la grève de masse comme une action unique. (…) Si l’on considère les innombrables et différentes grèves de masse qui ont eu lieu en Russie dans la période récente, une seule variante, et encore d’importance secondaire, correspond à la définition [convenue, ndla] de la grève de masse, acte unique et bref de caractère purement politique, déclenché et stoppé à volonté selon un plan préconçu, il s’agit là de la pure grève de démonstration. (…) Toutes les autres grèves de masse partielles ou grèves générales furent non pas des grèves de démonstration mais de lutte ; comme telles elles naquirent spontanément à l’occasion d’incidents particuliers locaux et fortuits, et non pas d’après un plan préconçu et délibéré et, avec la puissance de forces élémentaires, elle prirent les dimensions d’un mouvement de grande envergure. »

La grève de masse naissante aux Etats-Unis

Depuis plusieurs mois déjà, des centaines de milliers de gens se sont précipités aux Etats-Unis à ce qu’on appelle des « town hall meetings » convoqués par les parlementaires chargés de défendre la politique de santé du Président Obama. Ces meetings sont devenus de véritables manifestations d’opposition au pouvoir en place, non pas une opposition sur un sujet particulier, mais un rejet général de sa trahison. Les revendications, à la fois précises et générales, à la fois économiques et politiques, la grande diversité dans les opinions politique et les origines sociale des citoyens, leur colère vis-à-vis de tous les partis officiels, la multitude des événements [2], tout correspond à la description qu’a faite Rosa Luxemburg de la grève de masse.

Délibérémment passés sous silence par les médias officiels, que ce soit la presse écrite ou audio-visuelle, ces évènements revêtent une couleur très particulière en raison du contexte, explosif. Après quarante années de désindustrialisation, de sous-investissement dans l’infrastructure et de paupérisation des ouvriers et agriculteurs, les américains ont subi l’éclatement en août 2007 de la bulle financière. Ensuite, le renflouement à hauteur de 24 000 milliards de dollars des banques et compagnies d’assurance par les administrations Bush et Obama, les quatres millions d’emplois perdus depuis le début de l’année 2009 et l’épuisement rapide des indemnités versées, la saisie de deux millions de propriétés et la multiplication des tent cities (des communautés de personnes ayant perdu leur logement et vivant dans des tentes) aux abords des grandes villes américaines, le nombre croissants de salariés nécessitant des coupons alimentaires pour compenser les nombreux jours de travail perdus (40% des bénéficiaires de coupons alimentaires sont aujourd’hui salariés, contre 25 % il y a deux ans), tout cela est accompagné d’un discours sur la montée des déficits budgétaires et la nécessité de mesures d’austérité encore plus draconiennes pour équilibrer les budgets.

Selon l’actuel économiste en chef du FMI, un keynésien se réclamant du « socialisme », la « stimulation » de l’économie (sous-entendu le renflouement des banques et des mesures de soutien à la consommation) n’est possible qu’en coupant massivement dans les budgets sociaux publics, et surtout dans les dépenses de santé et les retraites. Et selon le directeur général du FMI, « Keynes a fait davantage que Rosa Luxemburg pour la classe ouvrière » ! [3]

On entend souvent dire que grâce à la crise les salaires vont enfin pouvoir baisser et que la reprise sera malgré tout pauvre en emplois. Des dirigeants croulant sous les privilèges affirment que l’on peut à nouveau, comme l’avait prescrit Keynes en son temps, relancer la consommation tout en abaissant les niveaux de vie, grâce à une inflation délibérément organisée masquant la baisse des salaires réels et une bonne dose de propagande.

On voit bien ici que les contradictions sont nombreuses et que nous avons atteint les limites du système : les conditions pour l’éclosion d’une grève de masse sont aujourd’hui réunies tant aux Etats-Unis qu’en Europe.

Nos contradicteurs de tous partis politiques confondus, ceux qui insistent qu’il n’y aura jamais de grève de masse en Occident, considèrent soit que la misère n’est pas « encore » assez terrible pour que la population se soulève, soit que l’action combinée des stupéfiants et de l’industrie du divertissement l’a tellement abrutie que son énergie vitale s’est définitivement éteinte.

C’est ignorer ces périodes exceptionnelles où le citoyen se trouve soudainement en état de recevoir ce que le poète anglais Shelley appelle « des conceptions profondes et passionées concernant l’homme et la nature » ou ignorer ce que disait Rosa Luxemburg en comparant la situation de l’Allemagne à celle de la Russie : « Six mois de révolution feront davantage pour l’éducation de ces masses actuellement inorganisées que dix ans de réunions publiques et de distributions de tracts. Et lorsque la situation en Allemagne aura atteint le degré de maturité nécessaire à une telle période, les catégories aujourd’hui les plus arriérées et inorganisées constitueront tout naturellement dans la lutte l’élément le plus radical, le plus fougueux, et non le plus passif. »

Au moment où Rosa Luxemburg écrivait ces lignes, l’Allemagne entrait dans une période de transition, qui faisait suite à quinze années de relative prospérité au cours desquelles s’étaient développées de puissantes organisations syndicales. Cette éphémère prospérité avait amené les syndicats à négliger leurs responsabilités politiques, et ainsi non seulement à proclamer leur neutralité vis-à-vis du Parti social-démocrate, mais surtout à ne prendre aucunement en compte les conséquences, pour la classe ouvrière, des agissements de l’impérialisme britannique, et plus généralement, européen.

« Les fonctionnaires syndicaux, explique Luxemburg, du fait de la spécialisation de leur activité professionnelle et de la mesquinerie de leur horizon, résultat du morcellement des luttes économiques en périodes de calmes, sont devenus victimes du bureaucratisme et d’une certaine étroitesse de vues. » Elle ajoute : « Les dirigeants syndicaux en sont venus peu à peu à perdre le sens des grands rapports d’ensemble et de la situation générale. Ainsi s’explique, par exemple, que beaucoup de dirigeants syndicaux aient mis l’accent avec tant de complaisance sur les succès des quinze dernières années, sur les millions de marks d’augmentations de salaires, au lieu d’insister au contraire sur les revers de la médaille : l’abaissement simultané et considérable du niveau de vie des ouvriers, dû au prix du pain, à toute la politique fiscale et douanière, à la spéculation sur les terrains, qui fait monter les prix de manière exorbitante, bref sur toutes les tendances objectives de la politique bourgeoise qui ont partiellement annulé les conquêtes de quinze ans de luttes syndicales. »

Le niveau de vie des ouvriers allait se dégrader beaucoup plus rapidement au cours de la décennie à suivre mais la grève de masse qu’avait anticipée Rosa Luxemburg en Allemagne n’a pas eu lieu. Se serait-elle trompée ?

Non ! Ce sont les dirigeants socialistes qui, en votant le 4 août 1914 les crédits de guerre au parlement allemand et abandonnant toute opposition à la Première Guerre mondiale, ont trahi Luxemburg et les travailleurs qu’ils prétendaient représenter.

Il a fallu attendre la fin catastrophique de cette guerre, et le 9 novembre 1918, pour qu’éclate la révolution qui mit fin au règne de l’Empereur Guillaume II et jeta les bases de la République de Weimar, révolution « survenue après quatre ans de guerre, après quatre années au cours desquelles, grâce à l’éducation [4] que lui ont fait subir la social-démocratie et les syndicats libres, le prolétariat allemand a révélé une dose d’infamie et de reniement de ses tâches socialistes qui n’a son égal dans aucun autre pays ».

Donner une orientation politique générale à la grève de masse

Nous avons vu que Luxemburg parle « du degré de maturité nécessaire à une telle période ». Que veut dire « maturité » dans la situation actuelle, en 2009 ? Il s’agit non pas d’un concept « absolu » mais relatif, c’est-à-dire qui dépend de circonstances historiques spécifiques à chaque époque et aussi d’une subjectivité spécifique chez les individus susceptibles de participer à une grève de masse.

Toute la difficulté pour les dirigeants et militants politiques que nous sommes, est d’appréhender ces circonstances de « maturité » spécifiques lorsqu’elles surviennent et d’être prêts à agir avec non moins de sagesse que d’énergie le moment venu.

Cela, Luxemburg l’avait parfaitement compris, et elle l’a prouvé par ses propres actions : « Il est hors du pouvoir de la social démocratie de déterminer à l’avance l’occasion et le moment où se déclencheront les grèves de masse en Allemagne, parce qu’il est hors de son pouvoir de faire naître des situations historiques au moyen de simples résolutions de congrès. Mais ce qui est en son pouvoir et ce qui est de son devoir, c’est de préciser l’orientation politique de ces luttes lorsqu’elles se produisent et de la traduire par une tactique résolue et conséquente. »

Mais « les luttes politiques une fois ouvertes, l’objectif historique sera tout autre qu’aujourd’hui en Russie [où l’on cherchait d’abord à renverser le régime absolutiste des Tsars]. C’est justement parce qu’en Allemagne le régime bourgeois constitutionnel existe depuis longtemps, qu’il a eu le temps de s’épuiser et d’arriver à son déclin, c’est parce que la démocratie bourgeoise et le libéralisme sont parvenus à leur terme qu’il ne peut plus être question de révolution bourgeoise en Allemagne. Aussi une période de luttes politiques ouvertes n’aurait nécessairement en Allemagne pour seul objectif historique que la dictature du prolétariat. »

S’il est permis de ne pas partager les vues de Luxemburg sur la dictature du prolétariat, il est tout aussi permis de spéculer sur ce qu’aurait été le cours du socialisme, et le cours de l’histoire européenne tout court, si le grand stratège et grand économiste qu’elle était n’avait pas été assassiné en 1919. Sans doute aurait-elle été amenée à changer de vues sur la « dictature du prolétariat », sans doute aussi aurait-elle pu empêcher la prise du pouvoir par le parti National-socialiste. Et l’histoire même de la Russie socialiste aurait peut être pris un tout autre tournant que le stalinisme.

Or, de nos jours, le successeur de Luxemburg est Lyndon LaRouche ; la direction qu’il a imprimé à la lutte pour la justice sociale à travers les mouvements qu’il a inspirés aux Etats-Unis et en Europe permet d’espérer que les soulèvements de masse qui certainement auront lieu, n’iront pas se perdre dans le néant du désespoir et des provocations.

Aux Etats-Unis, ces « town hall meetings » sont les prémisses d’un processus de grève de masse qui s’étendra à tout l’Occident. Ces masses qui s’éveillent sont et seront bien obligées de s’éduquer dans le vif de l’action. D’où l’urgence de faire connaître partout le programme économique de LaRouche, objectif historique qui forcera les masses à transcender les petits égoïsmes et querelles étroites.

Dans les circonstances de 2009, après près de quarante ans de désindustrialisation dans les pays occidentaux, la réalité historique à laquelle se réfère Luxemburg lorsqu’elle parle de « dictature du prolétariat » n’existe plus, la classe ouvrière ayant été détruite. Cette fois, la grève de masse englobera la société tout entière et sans exception, à part un tout petit groupe de spéculateurs qui ont su profiter de la crise mondiale. Cette fois, la grève de masse visera – consciemment ou pas – à reconstruire une classe « ouvrière », c’est-à-dire une classe de gens qui ont du travail qualifié, des outils de production, une classe qui produit - que ce soit dans l’industrie, l’agriculture, les travaux publics, le génie civil, la santé, l’éducation … pourvu que ce travail ait une utilité sociale objective et réelle !

Pour conclure, et de façon nécessairement trop sommaire, nous en venons à des aspects de l’analyse de Luxemburg qui divergent sur des points fondamentaux soit avec Karl Marx, soit, encore, avec Lyndon LaRouche. C’est important pour comprendre la recherche de la vérité si caractéristique de Rosa Luxemburg, et dont découlait l’autorité – légitime – qu’elle exerçait tant sur les intellectuels de son époque que sur les masses.

Pour Luxemburg, la grève de masse explose en raison d’un processus inéluctable, économique et social, que décrit la « loi générale de la diminution tendancielle du taux de rendement » de Marx. Elle l’explique ainsi dans L’accumulation du capital : « La partie du capital constant [que nous appellerons ici les machines pour simplifier, ndla] qu’oublie régulièrement l’économie classique croît constamment par rapport à la partie variable, dépensée en salaires. Ce n’est là que l’expression capitaliste des effets généraux de la productivité croissante du travail. (…) La reproduction élargie doit par conséquent non seulement commencer avec la division de la partie capitalisée [nous dirions aujourd’hui réinvestie, ndla] de la plus-value en capital constant et en capital variable, mais encore cette division doit, au fur et à mesure du progrès technique de la production, comporter une part relativement de plus en plus grande pour la partie constante du capital, et une part relativement de plus en plus petite pour la partie variable. »

Or, et c’est là où LaRouche corrige Marx sur cet aspect absolument fondamental, ce taux de rendement ne va baisser mécaniquement que lorsque la société comme un tout, ainsi que l’entrepreneur individuel, décident de laisser stagner, voire carrément interdire, les investissements dans la recherche fondamentale et la technologie. Le mouvement dit « écologiste », instrument des cartels financiers, a créé les conditions pour l’application de cette politique malthusienne dans le monde occidental, depuis quarante ans.

Contrairement à ce que Marx aurait pensé, ce n’est pas la multiplication des machines (ce qu’il appelait le capital constant) qui a tari le taux de rendement des dernières décennies, mais plutôt la rente financière associée à une expansion cancéreuse de « capitaux fictifs », formés grâce à l’extrême complaisance des organismes d’émission monétaire et bancaires. Dans nos entreprises actuelles, la pression de la finance mondiale s’exerce aujourd’hui tant au détriment du capital constant (sous investissement dans l’équipement et la recherche), que du capital variable (baisse des salaires réels, augmentation des cadences, détérioration des conditions de travail), permettant même aux actionnaires de bénéficier de taux de rendements supérieurs à la normale : c’est pourquoi nous pouvons ici parler d’« accumulation primitive du capital », dans le sens où les profits sont accumulés sous forme de richesse brute sans déduction adéquate des coûts liés à la production, c’est-à-dire au détriment de l’avenir.

Dans L’accumulation du capital, Rosa Luxemburg explore certaines contradictions dans l’analyse de Marx, notamment l’apparente impossibilité pour le capitaliste de vendre sa production de manière à payer les nouveaux investissements nécessaires à l’expansion de la production. Elle fait remarquer que malgré cette impossibilité toute théorique, selon le schéma de Marx, de l’accumulation de capital, ce phénomène eut bel et bien lieu tout au long de l’histoire du capitalisme, l’attribuant malheureusement à tort à des méthodes d’accumulation primitive.

Elle fut également amenée à considérer la possibilité que la loi générale de Marx ne corresponde pas à la réalité des faits. Au chapitre 25 de L’accumulation du captial « Les contradictions du schéma de la reproduction élargie », elle écrit :

« La productivité croissante du travail fait que le volume de moyens de production s’accroît plus rapidement que leur valeur, en d’autres termes le prix des moyens de production diminue. Comme il s’agit, dans les progrès de la technique, non pas de la valeur [monétaire] mais de la valeur d’usage, c’est-à-dire des éléments matériels du capital, on peut supposer que malgré le déficit en valeur, il y a jusqu’à un certain point une quantité suffisante de moyens de production pour poursuivre l’accumulation. C’est le même phénomène qui par exemple freine la baisse du taux de profit pour n’en faire qu’une baisse tendancielle. Dans notre exemple pourtant, la baisse du taux de profit ne serait pas freinée mais totalement stoppée. » (Passage souligné par nous.)

Si Luxemburg a effectivement reconnu que seul le progrès technologique permet aux travailleurs de se former et de se qualifier, elle pensait néanmoins que l’augmentation inévitable et incessante du coût des machines finirait par peser sur les salaires et les conditions de travail et qu’il suffirait, pour rétablir la justice sociale, de socialiser les moyens de production. L’histoire économique des Etats-Unis jusqu’à la fin des années soixante, les succès du Commissariat au plan du Général de Gaulle, aboutissant aux « trente glorieuses », de même que l’évolution subséquente des pays socialistes, prouvent le contraire.

Le même type d’erreur affleure dans ses études, pourtant extrêmement poussées, du phénomène des économies impérialistes et du colonialisme. Pour elle, c’est « la baisse du taux de rendement » et la nécessité de monétiser les excédents de production en ayant recours à un système de prêts internationaux, qui poussaient les « capitalistes » à exploiter de la sorte les nations sous-développées. Contrairement à LaRouche, Luxemburg n’avait pas su identifier l’origine du problème : il s’agissait des pressions exercées par un cartel financier directement associé, depuis la fin du XVIIème siècle, à la Banque d’Angleterre et qui a su tantôt s’arroger, tantôt tenir d’une main de fer, le contrôle sur l’émission monétaire. [5] Aujourd’hui, ces méthodes impérialistes jadis infligées au « Tiers Monde » sont imposées de manière tout aussi impitoyable aux populations occidentales.

Le mérite de Luxemburg reste toutefois d’avoir précisément cherché le fil conducteur, le facteur universel et nécessaire d’un point de vue scientifique, qui tisse ensemble ces formes en apparence si diverses d’injustice sociale.

En 2009, la pérennité de l’espèce humaine est menacée à très court terme par la destruction des moyens mêmes d’existence qu’a provoquée ce système usurier. Obscure ou pas, la conscience de la réalité de cette menace déclenchera la grève de masse, et de cela, nous pouvons en être sûrs. Pour nous qui sommes dirigeants et militants politiques, la principale orientation stratégique à donner à cette gigantesque vague qui se soulève est d’en finir avec ce « privilège des privilèges » de l’émission monétaire dont jouissent actuellement des intérêts privés.

L’émission monétaire doit redevenir un service véritablement public, entre les mains des seuls gouvernements souverains. Ainsi que l’explique LaRouche, il s’agit maintenant de passer d’un système monétaire privé à un système de crédit public, qui sera dirigé par les Etats en priorité vers les grands investissements dans la production sans lesquels l’humanité n’a pas d’avenir. Le véritable fondement de ce système est l’essor des capacités créatrices de chaque être humain dont l’économie a pour objet d’organiser le financement, à l’opposé de l’accaparement monétariste du système actuel.

Benoit Chalifoux


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Rosa, la vie

 
Lettres de Rosa Luxemburg, choisies par Anouk Grinberg
traduites par Laure Bernardi et Anouk Gringberg
249 pages
France culture, Les Editions de l’Atelier

Ce « petit recueil », composé presque entièrement de lettres écrites de prison, où Rosa s’est trouvée enfermée pendant trois ans pour s’être opposée à la Première Guerre mondiale, est un témoignage de premier plan de ce que c’est qu’être touché par la grâce, être mu par un amour indéfectible pour l’humanité. Car c’est bien cela que doit refléter tout engagement politique, au-delà de tous les clivages idéologiques.

Ce recueil est également le livre de chevet idéal du militant, car Rosa nous y donne une incroyable leçon de courage et de persévérance, indispensable pour toute personne engagée à contre-courant dans un combat à long terme et se trouvant confrontée à l’adversité la plus extrême. Car Rosa est une amie franche et sincère, se livrant entièrement à nous comme le ferait un grand artiste, partageant avec nous ses états d’âme tout en demeurant, avec la plus grande sensibilité, à l’écoute des nôtres. Elle n’hésite pas non plus à partager avec ses amis le secret de sa grande persévérance.

Dans une lettre à Mathilde Wurm, une copine de jeunesse qui s’est ensuite détachée d’elle pour rejoindre le clan du compromis alors à la tête de la social-démocratie, Rosa y va de sa franchise légendaire : « Je tiens à répondre sur le champ à ta lettre de Noël, avant que ne retombe la colère qu’elle a fait naître en moi. Oui, ta lettre m’a mise en rage, parce que si courte soit-elle, chaque ligne montre à quel point tu es retombée sous l’emprise de ton milieu. Ce ton geignard, et ces jérémiades à propos des "déceptions" que vous auriez subies, imputables aux autres soi-disant, alors qu’il vous suffirait de vous regarder dans une glace pour y voir la réplique la plus parfaite de ce que l’humanité a de plus pitoyable ! (…) Fais donc en sorte de rester un être humain. C’est ça l’essentiel : être humain. Et ça, ça veut dire être solide, clair et calme, oui, calme, envers et contre tout, car gémir est l’affaire des faibles. Etre humain, c’est s’il le faut, mettre gaiement sa vie tout entière "sur la grande balance du destin", tout en se réjouissant de chaque belle journée et de chaque beau nuage. »

Dans une autre lettre à Mathilde, elle nous livre le fond de sa pensée : « Toute ton argumentation contre ma devise : je suis là, je ne puis agir autrement ! revient à dire : tout cela est bien beau, mais les hommes sont trop lâches et trop faibles pour un tel héroïsme, ergo, adaptons notre tactique à leur faiblesse et au principe : chi va piano, va sano. Mon petit agneau, quelle vision étriquée de l’histoire ! Il n’y a rien de plus changeant que la psychologie des hommes. D’autant que la psyché des masses renferme toujours en elle, comme Thalassa la mer éternelle, toutes les possibilités latentes : un calme de mort et la tempête furieuse, la lâcheté la plus vile et l’héroïsme le plus fou. La masse est toujours ce qu’elle doit être, selon les circonstances historiques, et elle est toujours sur le point de devenir tout à fait autre que ce qu’elle paraît être. (…) Ma petite fille, "être déçu par les masses", pour un dirigeant politique, c’est comme un zéro pointé. Un dirigeant de grande envergure ne règle pas sa tactique sur l’humeur momentanée des masses, mais sur les lois d’airain de l’évolution ; il s’en tient à sa tactique, en dépit de toutes les déceptions, et pour le reste, il laisse l’histoire tranquillement mener son œuvre à maturité. »

Rosa pouvait aimer l’humanité, car elle avait une grande connaissance de l’histoire de la pensée humaine. Ses lettres nous montrent à quel point elle aimait les arts, en particulier la littérature et le théâtre. Elle connaissait presque par cœur toutes les pièces de Shakespeare, de Goethe et de Schiller, et ses amis lui faisaient parvenir les romans publiés par les principaux auteurs de son époque. Sa grande connaissance de la botanique lui permettait de suivre avec la plus grande attention le déroulement des saisons, et elle pouvait décrypter avec beaucoup de sensibilité le chant des oiseaux, nouant une amitié des plus intimes avec ceux qui venaient la visiter régulièrement à la fenêtre de sa cellule.

Ainsi, à travers ses lettres, Rosa nous donne une magistrale leçon dans l’art de vivre, c’est-à-dire dans l’art d’agir et d’être.

Le recueil d’Anouk Grinberg permet au citoyen d’aujourd’hui de se libérer de l’emprise du carriérisme et du repli sur soi, et de se réconcilier avec le véritable engagement politique, celui qui vise à changer le monde « envers et contre tout », sans jamais perdre de vue l’intérêt de tous. Le livre contient également un CD, sur lequel a été enregistré le spectacle créé par Anouk Grinberg à partir de quelques-unes des lettres de Rosa.

B.C.

Notes

1. Les citations sur la grève de masse utilisées dans cet article proviennent de la traduction en français disponible ici : http://marxists.org/francais/luxembur/gr_p_s/greve.htm.

2. Entre 200 et 3000 citoyens se rendent à chacun des nombreux « town hall meetings » convoqués par leur député pour discuter du projet de réforme de la santé du Président Obama. Des dizaines de milliers, ou même des centaines de milliers d’américains ont par ailleurs participé, la plupart d’entre eux pour la première fois de leur vie, à diverses manifestations au cours de la même période.

3. Les deux prétendus socialistes en question sont Olivier Blanchard et Dominique Strauss Khan, respectivement économiste en chef et directeur général du Fonds monétaire international. La citation de Strauss-Kahn est tirée d’un discours à l’Assemblée nationale, en 1999.

4. Rosa Luxemburg utilise ici le terme « éducation » avec sarcasme, afin de marquer son désaccord avec les faux semblants des dirigeants de la social-démocratie. Citation tirée de son discours au Congrès de fondation du Parti communiste allemand (Ligue Spartacus) le 31 décembre 1918.

5. Ici aussi, Luxemburg était partagée entre son adhésion à la loi générale de Marx et son intuition concernant l’existence d’un courant impérialiste permanent, transcendant les divers systèmes d’organisation économique. Dans L’accumulation du capital, elle consacre le chapître 30 au caractère usurier des prêts internationaux accordés par les impérialistes anglais à des pays comme l’Egypte à la fin du XIX e siècle.

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identité toi-même

7 Décembre 2009 , Rédigé par grossel Publié dans #agora

 Identité



Ma seule contribution, cher Benoist, va porter sur deux choses, mais d'abord merci pour ces Echos logiques (et très raisonnables...).

1. L'expression "fier d'être français" témoigne de la part de celui qui l'utilise de son ignorance du sens des mots en langue française, ce qui serait savoureux si ce n'était surtout grotesque ; on ne peut être "fier" que de ce dont on est, au moins partiellement, responsable : je peux être fier d'avoir tenu un engagement difficile, d'avoir réussi une épreuve quelconque grâce à mes efforts, etc. ; en aucun cas, je ne peux être "fier" d'une situation (être français) qui n'est que le résultat d'une très longue série de causalités (ce qu'on appelle le hasard) qui m'échappent complètement. Certes, quand je regarde les conditions d'existence de l'immense majorité des hommes et des femmes de cette planète, je suis plutôt content d'être français, mais je ne saurais en aucun cas en être fier.
Paradoxalement, et c'est ce que ne voient pas nos ignorants grotesques du sens des mots, les seuls qui peuvent légitimement se dire "fiers d'être français" sont tous ceux qui ont réussi, voulant échapper à la misère, aux persécutions de dictatures, aux tortures, et au prix de souffrances et d'épreuves considérables (les trois jours et quatre nuits passés par le père kurde d'un de mes élèves coincé sous la banquette arrière d'une camionnette sans boire ni manger pour traverser clandestinement les frontières et échapper aux geôles turques...) : effectivement, ceux-là, oui, peuvent être fiers d'être devenus français et d'avoir réussi à assurer un avenir à peu près correct à leurs enfants (Yavuz, le fils, bac avec mention, aujourd'hui informaticien).

2. Mon nom me trahit : DEFRANCE, descendant des envahisseurs immigrés de l'est, il y a déjà quelque temps, installés initialement dans la plaine de France au nord de l'actuel Paris, libres par rapport à l'empire romain ("francs") ; et je suis, disons... plutôt content de porter ce nom, (France était le prénom d'une de mes grands-mères : France Langhade épouse, Defrance) parce qu'il rassemble en lui seul les deux concepts de vérité (quelqu'un qui dit la vérité est qualifié de "franc") et de liberté (ce qu'on retrouve dans "commerce en franchise", "Franche-Comté", etc.) : il n'y a pas de liberté sans vérité, ni de vérité sans liberté - vérité et liberté piétinées par l'innommable Besson, mais qui n'est en lui-même qu'un épiphénomène dérisoire et grotesque (mais aussi malfaisant).
Seule ombre au tableau à propos de ce patronyme : s'il se rencontre le plus fréquemment dans l'Yonne (mon grand-père était d'Auxerre), c'est parce que, à une époque où il n'y avait pas encore de nom à proprement parler mais des prénoms, on appelait souvent les gens par leur origine provinciale (Lebreton, Picard, Lelorrain, etc.), et ces gens avaient au moment de la guerre de Cent Ans fait le choix des Bourguignons et des Anglais contre le roi de France et s'étaient exilés en Bourgogne : ils venaient "de France" ; et c'est ainsi que ceux qui portent ce nom descendent donc de "traîtres" à la "nation française" ! Vous avez dit "identité française" ?

Une troisième remarque pour finir et qui n'a aucun rapport avec ce qui précède : il est amusant (?) de noter que le convoyeur de fonds parti avec quelques millions d'euros ne risque que trois ans de prison : vol seul et sans violence ; en revanche deux gamins qui s'associent pour piquer le portable d'un troisième risquent sept ans de prison : vol en réunion avec violence... Qui vole un boeuf ne vole pas toujours un oeuf ! (c'est Jean-Pierre Rosenczveig qui a trouvé cette formule aujourd'hui pour souligner le paradoxe).
Je transfère message et réponse à quelques amis...

 

 

Amitiés !
Bernard Defrance

 

 

 

Identité, vous avez dit identité

 

 

 
Si pour un peuple, pour se sentir uni dans une nation, il a besoin d’éliminer une partie de ses citoyens, il prend une posture funeste et macabre.
Le peuple français en ayant voté majoritairement Sarkozy ou Le Pen croit encore « sauver son âme » en déportant une grande partie des citoyens étrangers. Le peuple suisse avec Blocher et son parti l’UDC (entre l’UMP et le Front national), en a fait le parti le plus représenté électoralement de ce petit pays.
Le peuple croit s’unir avec cette mise à part, mais il retranche une partie de sa vitalité, il croit renforcer son image, mais il la dénature par son rejet de l’Autre. Il se confine dans une forteresse qu’il croit assiégée et au-delà de ses murailles dans un désert d’horizon, il y invente des mirages terrifiants. Bientôt son cœur et son entendement s’emprisonne dans la pierre, il devient sourd au Monde.
Il a abreuvé ses sillons de sang dans la colonisation et maintenant, il croit trouver une identité dans cette posture de repli et de rejet. Un citoyen peut avoir ses pieds ancrés dans une terre « son pays », mais son imaginaire doit s’imprégner des musiques lointaines, s’enrichir des langues et connaissances multiples et engager des rencontres. Ce mélange, comme un arbre qui s’enracine et laisse en même temps son feuillage fleurir aux caresses des vents, ce mélange terrien et culturel devient le ciment d’un peuple ou d’une citoyenneté toujours en mouvement, toujours prête à regarder l’Autre ou l’étranger avec des yeux d’enfants, ceux qui cherchent à découvrir avec passion les secrets et les bonheurs du Monde.

 

 

Benoist Magnat

 

 

 

 

«Qu’est-ce qu’être français ? -
Cela ne vous regarde pas»
Par MATHIEU POTTE-BONNEVILLE
philosophe, enseignant, et membre de la revue "Vacarmes"


Eric Besson a annoncé, le lundi 26 octobre, le lancement d’un grand débat national sur l’identité du même nom. Mobilisant préfets et sous-préfets (ceux-là même qui, depuis deux ans, ont été dotés de marges d’initiatives accrues afin de décliner sur leurs territoires respectifs la politique de reconduite aux frontières impulsée par le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale), le débat devrait solliciter les «forces vives de la nation» autour de la question suivante : «Qu’est-ce qu’être français ?»
 
Une telle initiative, intervenant à quelques mois avant les élections régionales et quelques jours après l’expulsion de plusieurs migrants vers un pays en guerre, devrait assez logiquement susciter dans l’opinion des réactions variées. Gageons d’ores et déjà que certaines d’entre elles consisteront à tenter de retourner la question contre son initiateur : être français, rappellera-t-on, c’est hériter d’une tradition d’accueil, d’hospitalité et d’ouverture, tradition à l’évidence incompatible avec la politique d’immigration actuellement menée ; c’est se reconnaître dans une citoyenneté définie non par l’origine géographique ou culturelle, mais par la défense et la promotion commune des droits humains partout où ceux-ci sont niés - conception de la citoyenneté inconciliable, tant avec les dérives xénophobes dont a fait régulièrement preuve le précédent ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale, qu’avec son action et celle de son successeur. Etre français, arguera-t-on en bref, c’est être en tout point opposé à l’horizon de fermeture, de surveillance, de délation réciproque et de contrainte par corps, d’opportunisme et de xénophobie aujourd’hui symbolisés par l’existence d’un ministère de l’Immigration, et incarné par Eric Besson avec un dévouement dans la duplicité qui ne laisse pas d’impressionner.
 
Une telle réplique est juste et sensée, et elle a pour elle l’évidence ; mais elle est trop évidente, justement, pour n’être pas prévue dans la question elle-même, question construite pour faire de ce genre d’objections autant de répliques, aux deux sens du terme : au sens où répliquer, c’est répondre, mais aussi répéter, reproduire ou propager cela même qu’on entend combattre. Le piège tient à ce que, posant la question «Qu’est-ce qu’être français ?», le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale n’entend évidemment pas faire l’éloge dans les mois qui viennent d’un nationalisme étroit, fondé sur la communauté de l’ethnie ou du sang (de cela, d’autres se chargeront au fil des débats, ce que la synthèse finale ne manquera pas de cautionner comme «une préoccupation», «une légitime inquiétude des Français face à la mondialisation», etc.)
 
La parole gouvernementale, subtilement relayée au fil des échanges par de multiples canaux, consistera au contraire à faire constamment valoir l’ouverture, l’égalité des droits et le pacte républicain, le refus des discriminations de races et de sexes comme autant de composantes de l’identité française. A les faire valoir, désarmant l’adversaire, non seulement dans la dimension neutralisée de l’échange d’idées, mais comme autant de motifs d’isoler et d’exclure, autant de raisons pour justifier la reconduite aux frontières. Invoquerez-vous le pacte républicain ? Mais «le pacte républicain suppose le respect des lois». Rappellerez-vous l’hospitalité ? Mais «l’hospitalité suppose d’avoir les moyens d’accueillir dignement».
Dans ce jeu de dupes, surtout, l’ouverture, la tolérance et l’égalité, constitutives de notre identité nationale, seront présentées et utilisées ainsi qu’elles le sont depuis deux ans : comme autant de valeurs fragiles qui exigent une sélection d’autant plus sévère de ceux qui, présents sur notre territoire, pourraient être suspects de ne pas les partager. Déjà, dans le même entretien où il annonce le grand débat national, le ministre Besson réitère son refus de la burqa - pratique certes ultraminoritaire, mais symbolique de la nécessité où nous serions, face à des étrangers si proches à chaque instant de verser dans l’intolérance et l’oppression, de discriminer pour sauvegarder notre sens de l’égalité, et de fermer les frontières de notre identité pour la conserver si ouverte.
 
C’est pourquoi, à la question «Qu’est-ce qu’être français ?» posée par le ministère de l’Immigration, il ne saurait y avoir dans les mois qui viennent qu’une seule réponse, endurante, ressassée, monotone, obstinée : «Cela ne vous regarde pas». Vous avez perdu le droit de poser cette question au moment même où, liant identité nationale et contrôle de l’immigration, vous avez aménagé le renversement systématique des composantes de la citoyenneté en autant de critères d’exclusion. A cette captation, il ne saurait y avoir de réponse qu’en acte ; libre à vous, lorsque ce temps viendra, d’interpréter la violence de notre refus comme une composante de la «francité».

 
A vos calculettes :
 
2 millions de Gaulois assassinés par les Romains ;
Des millions de morts lors des croisades, des pèlerinages armés et dévoyés, durant la Guerre de cent ans et au fil d’innombrables guerres de religions ;
10 à 40 millions de Chinois massacrés par les Mongols au XIIIe siècle ;
Le peuple de Tasmanie liquidé par les Britanniques lors du génocide "le plus parfait" de l’histoire ;
Des centaines de milliers d’Aborigènes australiens décimés par les mêmes colons britanniques ;
L'extermination de 20 à 60 millions d’Amérindiens, depuis la "découverte" espagnole, l'évangélisation et la colonisation, jusqu'à la Conquête de l'Ouest ;
Les traites négrières (orientale, intra-africaine et atlantique) totalisèrent plus de 50 millions de victimes ;
1.200.000 Arméniens périssent dans le premier génocide du XXe siècle ;
40 millions de morts lors de la Première Guerre mondiale et 65 millions durant la Seconde (dont les 5 millions de la Shoah) ;
Le démocide stalinien : 43 millions de morts ;
Le démocide de Mao : 30 millions de victimes et des famines à la chaîne ;
La terreur sanguinaire de Paul Pot : 1.500.000 Cambodgiens.
Rajoutons le million de victimes du Biafra, les 800 000 Rwandais, en majorité Tutsi, ayant trouvé la mort durant les trois mois du génocide au Rwanda, sans omettre les 300 000 morts et les 3 millions de déplacés de la guerre au Darfour.
 
Depuis l'esclavage du peuple Noir jusqu’au Nouvel Ordre mondial, soit de 1900 à l’aube du troisième millénaire, en passant par la guerre au Vietnam, le capitalisme porte à lui seul la responsabilité d'un bilan de quelque 100 millions de morts.
 
Michel R. Tarrier
 
  Le basson sarkoïde
 
    S'interroger sur " l'identité nationale ", c'est présupposer que la question pourrait se poser en ces termes. Or, la notion d'identité tend fortement à exclure ou à subsumer toute différence significative à soi et à donner toute autre identité dans les mêmes conditions et comme irréductiblement différente de la précédente. Le principe d'identité absolue que connote cette notion, entraîne immanquablement celui de contradiction absolue. (Si, comme B à B, A est identique à A, il est absolument impossible que A soit aussi B et que B soit aussi A.)
    A la limite (effleurée), s'il y a une identité nationale française, il n'y a plus dans ce pays aucune différence qui demeure significative (il y a donc homogénéité) et toute autre identité " nationale " peut seulement être conçue comme une identité irréductiblement différente (donc déjà hostile).
    Si l'on ne veut pas arbitrairement gommer les différenciations et les dédifférenciations qui font un pays comme la France, si l'on refuse de poser l'étranger comme un " pur " étranger, c'est en d'autres termes qu'il faut poser la question. Le recours à la " nation " (civilisation, religion, voire " race " ?) n'est évidemment pas neutre non plus. Il est aujourd'hui, notamment de la part de " mondialisateurs " sans scrupules, particulièrement paradoxal.
    C'est bien plutôt sur fond de désidentification nationale et, à l'intérieur du pays comme au plan international, de stérilisation des différences prometteuses en termes de dépassements féconds, que vient se greffer un tel débat institutionnel très intéressé. Toutes souples qu'elles paraissent, les divinités              " hypermodernes " cherchent toujours à tirer parti d'un éveil " maniable " des lourds démons du passé - preuve, s'il en était besoin, qu'il entre dans l'identité de tout un hypermodernisme d'être à l'occasion conciliable avec la pire réaction ou du moins ses confins.
    Le but d'un tel débat, c'est (au minimum) un gain d'embrouillamini.
 
G.L.


 

 

 

 

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Maths et crise boursière

1 Décembre 2009 , Rédigé par grossel Publié dans #agora

Maths et crise boursière
Maths et crise boursière, l'avis de Jean-Pierre Bourguignon
1 déc
2009
 

Cours à l'IHES   Aujourd'hui et demain se tient à la Mutualité (Paris) le colloque Maths à venir 2009. A cette occasion, voici l'interview que m'a accordé Jean-Pierrre Bourguignon, mathématicien et directeur de l'Institut des Hautes Etudes Scientifiques (Bures sur Yvette).

Ce colloque va permettre deux jours de débats sur cette discipline «au cœur de la science contemporaine, mais aussi à la base d’innombrables réalisations technologiques et processus industriels ; (et qui) fournit des outils de modélisation et de prévision qui jouent un rôle croissant dans la conduite des affaires du monde» comme l'affirment ses organisateurs. Il sonne comme un écho au colloque Mathématiques à venir tenu en 1987 et qui déboucha sur des mesures en faveur des mathématiques.

Dans cette interview, Jean-Pierre Bourguignon revient sur le rôle des mathématiques dans la crise boursière, qui déclencha la crise économique en cours. Il y voit «un déséquilibre entre recherche appliquée et recherche fondamentale. Il aurait fallu se pencher sur ces outils utilisés par les banques, les confronter aux données financières et économiques globales, étudier la stabilité du système financier mondial…

Ce qui était impossible puisque les banques gardaient pour elles les données qu’elles collectaient dans un contexte de compétition féroce, d’égoïsme, et aussi d’aveuglement idéologique, d’absence de réflexion épistémologique et éthique. Bref, pour anticiper la crise au plan mathématique, il aurait fallu un partage des connaissances, une vue d’ensemble et la construction d’un sous-bassement théorique sérieux comme bien public. En résumé, une bonne recherche fondamentale.»

Voici l'interview de Jean-Pierre Bourguignon (photo ci dessous) en intégralité.

A quoi rêvent les matheux ?

Nous ne poursuivons pas une sorte de Graal, comme les physiciens des particules qui sont partis à laJean Pierre Bourguignon chasse au boson de Higgs au CERN. Nous fonctionnons plus souvent sous forme de petites groupes très mobiles dont les sujets évoluent assez vite et non par gros bataillons concentrés sur un sujet défini. Nos rêves sont donc très éclatés, voire presque individualisés. Cela nous pose d’ailleurs un problème avec la politique de recherche actuelle: nous ne savons pas vivre et prospérer intellectuellement dans système de recherche trop piloté par une commande extérieure. Notre pas de temps typique, c’est la dizaine d’années, pas le contrat de trois ans standard de de l’Agence nationale de la recherche.

Prenons l’exemple de la géométrie non commutative. Le rêve d’Alain Connes, son fondateur, fut annoncé dès sa leçon inaugurale du Collège de France, en 1986. Aujourd’hui plusieurs centaines de matheux se sont joint à ce rêve dont la réalisation a conduit à créer de nombreux concepts nouveaux, à tisser des liens inattendus avec la théorie des nombres ou la physique des particules.

Peut-on parler de ce que font les mathématiciens aux non mathématiciens?

Souvent, le grand public assimile maths et calcul. C’est très réducteur. Les objets manipulés par les mathématiciens ce sont certes des nombres, mais tout autant des formes, des processus : de façon lapidaire, les maths sont la science des structures. Faire des maths c’est donner le même nom à des choses différentes disait Henri Poincaré. Car on observe, ou l’on démontre, que la manière dont des choses ou des processus très différents s’organisent suit les mêmes principes. Cette démarche débouche sur des processus d’abstraction de plus en plus profonds, qui relient nombres, structures, formes, topologies, hasard, probabilités…

Les maths nous parlent-elles vraiment de la Nature selon le propos de Galilée ?

Grand débat qui peut se poser ainsi : le mathématicien découvre t-il ou invente t-il ?{SH : lire ici et ici une interview d'Alain Connes} Pour moi, les maths ne sont pas qu’un langage du quantitatif mais bien une science qui se développe autour de pôles de connaissances, des concepts clés. Ainsi le concept de courbure, né à la fin 18ème siècle. Il a permis d’inventer les géométries non euclidiennes… donc laEinstein_17 physique d’Einstein. Au tout début des relations entre mathématique et réalité sensible, avec l’astronomie, les maths s’identifiaient à leurs objets astronomiques réduits à des points en mouvement. Il n’y avait donc pas besoin de la notion, fondamentale en sciences modernes, de modèle. Faire les maths de la mécanique céleste, c’était (presque) faire de la mécanique céleste. Aujourd’hui, faire les maths de l’astrophysique n’est pas faire de l’astrophysique, il y manquerait, au moins, les concepts de la physique nucléaire ou de l’électromagnétisme. Inversement, il faut revenir à la formulation de Henri Poincaré qui, dans Science et hypothèse,  affirme que la question de savoir si une géométrie est vraie ou non n’a pas de sens (par référence au monde sensible) car on ne lui demande que d’être cohérente. Mais si on veut utiliser  une géométrie pour comprendre le monde sensible, il faut simplement utiliser celle qui est la plus commode. D’où la nécessité d’utiliser la notion de modèle, une appréhension en termes mathématiques d’une réalité, juge en dernier ressort de la qualité du modèle. Le résultat paradoxal de cette évolution c’est que le 20ème siècle est la conquête d’une autonomie véritable des maths par la prise de conscience de l’autonomie de la construction mathématique relativement au monde sensible. Le paradoxe, pour le grand public, c’est que des mathématiciens vivent cette autonomie en se posant comme les découvreurs d’un monde et non comme ses inventeurs.

Lagarde-ce-nest-pas-un-krach Peut-on appliquer cette réflexion aux mathématiques financières qui ont joué un rôle dans la crise des bourses et de l’économie mondiale ?

Curieusement oui. J’y vois le résultat d’un manque de réflexion épistémologique sur les modèles utilisés et une dérive liée à la dérégulation massive. Chaque banque a embauché des mathématiciens pour développer des produits financiers de plus en plus sophistiqué, par une application des maths à leur objet. Mais, ce faisant, les mathématiques ont dépassé leur rôle d’outils de modélisation pour créer une nouvelle réalité, certes virtuelle au plan économique, mais dont l’impact fut important.

Tout cela a dégénéré non seulement en raison de l’écart croissant entre finance et économie réelle - des économistes, peu nombreux, l’avaient vu - mais aussi en raison d’un déséquilibre entre recherche appliquée et recherche fondamentale. Il aurait fallu se pencher sur ces outils utilisés par les banques, les confronter aux données financières et économiques globales, étudier la stabilité du système financier mondial… Ce qui était impossible puisque les banques gardaient pour elles les données qu’elles collectaient dans un contexte de compétition féroce, d’égoïsme, et aussi d’aveuglement idéologique, d’absence de réflexion épistémologique et éthique. Bref, pour anticiper la crise au plan mathématique, il aurait fallu un partage des connaissances, une vue d’ensemble et la construction d’un sous-bassement théorique sérieux comme bien public. En résumé, une bonne recherche fondamentale.

Comment se portent les mathématiques ?

Le grand public a du mal à imaginer à quel point les mathématiques sont une science vivante, créatrice, et même en croissance accélérée aujourd’hui. Elle est toujours mue par deux dynamiques. L’une est purement interne et repose sur les questions posées par les mathématiciens eux-mêmes qui conduisent à perfectionner les outils, les concepts, à construire de nouvelles visions. La seconde qui provient de la stimulation par d’autres disciplines et le monde extérieur. Dans le passé, la mécanique et la physique ont joué un rôle décisif dans cette démarche:l’ambition fut d’écrire en termes mathématiques les lois de la physique, c’est l’héritage fameux de Galilée.

Aujourd’hui, cette dimension continue de s’élargir: la chimie, la biologie, les sciences sociales (elles ont joué un grand rôle historique dans l’essor des probabilités), les mathématiques financières, la haute technologie. Cet élargissement a maintenant un impact certain sur l’emploi croissant de mathématiciens en entreprises à cause de la multiplication des champs où la modélisation mathématique apporte des informations importantes et quelquefois décisives. Ces extensions n’affectent pourtant pas l’unité de notre discipline. Elle ne vit pas repliée sur elle même, mais est transformée par les croisements entre ses grandes branches - algèbre, analyse, géométrie, théorie des nombres et probabilités - qui se fécondent les unes les autres pour répondre à ces stimulations. L’architecture interne des maths est du coup toujours mouvante, signe de leur vitalité.

Si les maths se portent bien, pourquoi organiser un colloque - maths à venir - où l’on tire desMaths-a-venir-2009 signaux d’alarme ?

C’est que si la planète maths se porte excellemment, et si la France y joue toujours un rôle de tout premier plan, cette position pourrait être affectéee dans un proche avenir. La planète maths, c’est aujourd’hui 90 000 chercheurs actifs, producteurs de mathématiques nouvelles… à comparer toutefois aux deux millions de biologistes. Elle est en croissance rapide dans les pays émergents, en Chine, en Asie du Sud-Est, en Inde, au Brésil… En revanche, l’Europe de l’est traverse une crise grave. L’Australie a perdu le tiers de ses effectifs en une dizaine d’années. L’Europe de l’ouest et la France sont confrontées à la désaffection des jeunes pour les études scientifiques en général,  les maths et la physique. En France, des départs à la retraite massifs sont programmés dans un avenir proche et on peut craindre que la diminution du nombre d’étudiants en maths peut conduire les universités à ne pas les remplacer. Il y a donc une réelle menace si l’on laisse faire la tendance actuelle sans réfléchir aux effets à long terme et sans une vision stratégique.

L’école de maths française fait partie du podium mondial, pourquoi ?

Le système attire encore certains des jeunes les plus brillants de leur génération vers les maths, notamment grâce aux classes préparatoires et de certaines grandes écoles. Le paradoxe, c’est que ce système ne fait pas beaucoup de place à la création et beaucoup de concours sont plutôt conformistes, sauf ceux des Ecoles Normales Supérieures. Cependant, ceux qui brillent en maths sont considérés tant par leurs enseignants que leurs condisciples comme des leaders, des exemples. Cette valorisation joue un grand rôle dans la formation de ces esprits et le choix professionnel qui est ensuite fait. Pourtant, onWeb_werner peut dire qu’ avec la dégradation terrible de la situation des jeunes chercheurs, faite de précarité de plus en plus longue, beaucoup se détournent de la recherche en mathématiques. 

Une des grandes forces de l’école française c’est qu’elle ne présente que peu de lacunes. Le flux a été assez régulier et dense pour couvrir presque tous les sujets avec un excellent niveau. Si on regarde les conférenciers invités dans les grands congrès internationaux, la France est n°1, rapporté à la taille du pays. Il faut toutefois noter que l’on maintient cette place grâce à l’installation en France d’un flux important d’enseigants-chercheurs étrangers qui représentent 30% des recrutements actuels. Ce flux s’explique par l’attractivité et la capacité d’ouverture de la communauté française. {En 2006, lors du dernier congrès mondial des maths, Wendelin Werner (Cnrs, Université d'Orsay) a reçu la médaille Fields}.

Comment pérenniser cette place ?

La menace immédiate porte sur la diminution du nombre de jeunes en master recherche de maths, à l’exception de quelques universités comme Paris-6. Il faut retrouver un flux suffisant d’étudiants. Et faireSmf-geodis que des jeunes passant par d’autres grandes écoles que l’ENS et l’X choisissent de faire des maths. Le maintien à des niveaux très bas des salaires de début de carrière marqués par l’attente dans des postes précaires provoque un écart déraisonnable avec leurs condisciples allant dans les entreprises. Beaucoup de jeunes sous-estiment souvent les emplois et les carrières qui s’offriraient à eux avec une formation plus avancée en mathématiques dans les entreprises. Il appartient aux mathématiciens de les rendre plus visibles afin que cette nouvelle frontière soit bien perçue et rende évidente que les étudiantes et les étudiants en mathématique ont aujourd’hui bien une option ouverte entre le monde académique et celui de l’industrie et des services.

Le site de la Société Mathématique de France.

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Aux sources du néolibéralisme

29 Juin 2009 , Rédigé par grossel Publié dans #agora

Aux sources du néolibéralisme
Aux sources du néolibéralisme
article emprunté au site La vie des idées

 

 

Un nouveau libéralisme naîtra-t-il de la crise ? Il n’est pas inutile, en ces temps de profonde incertitude idéologique, de se replonger dans les débats politiques et économiques qui suivirent la crise des années 1930. Le colloque Lippmann, organisé à Paris en 1938, est l’un des lieux où fut discuté l’avenir du capitalisme.

 
Recensé : Serge Audier, Le Colloque Lippmann. Aux origines du néo-libéralisme, Latresne, Éditions Le Bord de l’Eau, 2008.

L’ouvrage de Serge Audier se présente en deux parties. La première partie, Le Colloque Lippmann ou la face cachée du « néo-libéralisme », est un essai assez long d’histoire des idées consacré aux origines et à la postérité du colloque organisé en 1938 autour du publiciste américain Walter Lippmann et de son ouvrage, La Cité libre. La seconde partie est la réédition de l’ouvrage consacré au colloque, Le Colloque Lippmann, publié la même année par la Librairie Médicis, et préparé sous les auspices du Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme. L’objectif affiché de Serge Audier est de resituer dans la complexité intellectuelle du temps (la grande crise, la montée des totalitarismes, les expériences collectivistes, le défi intellectuel que représente la Théorie générale de Keynes) le développement d’un courant idéologique et doctrinal néolibéral en France et en Europe, dont plusieurs grandes figures se sont rencontrées pour la première fois en 1938 à l’occasion de ce colloque organisé par le philosophe Louis Rougier.

Bien moins connu que la première réunion de la Société du Mont-Pèlerin en 1946, le colloque Lippmann est pourtant régulièrement cité dans les histoires du libéralisme comme l’acte fondateur du néo-libéralisme moderne. Par un retour au texte du colloque, aux écrits des participants, à leurs activités et prises de positions antérieures et ultérieures, l’auteur se livre à une réévaluation de l’importance du colloque Lippmann pour l’histoire du libéralisme. Il souhaite notamment mettre en pièce une thèse récurrente des histoires du libéralisme, selon laquelle le colloque Lippmann serait le point de départ d’une lente et patiente reconquête idéologique des esprits jusqu’au triomphe des années Reagan et Thatcher.

L’essai de Serge Audier est intéressant à plus d’un titre, même s’il s’expose au reproche de courir plusieurs lièvres à la fois. Ainsi, après avoir dénoncé à bon escient les flottements sémantiques liés au néolibéralisme, les à-peu-près du discours antilibéral fait d’amalgames et d’ignorance des doctrines et des débats théoriques, l’auteur nous convie en quelques pages dans les tourmentes intellectuelles des années 1930. Le rôle et le parcours intellectuel de figures clés du colloque Lippmann sont alors étudiés, en commençant par le maître d’œuvre, Louis Rougier, et par Lippmann lui-même. Puis l’auteur présente les participants français, avant d’évoquer les positions des tenants de l’ordo-libéralisme pour finir par les artisans du néo-libéralisme dans sa version actuelle (c’est-à-dire sa version ultralibérale). Pour finir, Audier dévoile avec beaucoup de pertinence l’entreprise de réécriture de l’histoire du libéralisme organisée par le courant ultra-libéral, à l’initiative de Hayek, qui est ainsi parvenu à convaincre ses adversaires d’une incompatibilité essentielle entre la tradition socialiste et la tradition libérale. La leçon à tirer de ce dévoiement pour notre présent est que le libéralisme n’a pas à être le monopole de forces économiques et politiques conservatrices, et qu’il « devrait faire partie pleinement, avec d’autres héritages doctrinaux, du patrimoine de la gauche » (p. 243).

Chemin faisant, le lecteur cherche et tâtonne, et se demande quel était exactement l’objet de cet essai. Audier s’éloigne parfois de son objet et/ou se lance dans une critique de la pensée antilibérale. De telles digressions étaient inutiles et auraient pu être reléguées en notes. L’essentiel reste, pour l’historien des idées, un tableau assez complet de la pensée néolibérale en France après guerre. Dans les années 1940 à 1960, le néolibéralisme à la française a rassemblé une nébuleuse d’auteurs de différentes obédiences politiques et doctrinales autour d’une vision du libéralisme compatible avec une forte implication de l’État dans les affaires humaines. Cette vision, soutient Audier, fait aussi partie de l’histoire du libéralisme comme idéologie libératrice et émancipatrice des peuples.

On s’attachera d’abord à discuter sa thèse principale (politique), à savoir le reproche fait aux intellectuels de gauche d’enfermer le débat sur le libéralisme dans une logique d’affrontement idéologique (thèse qui n’est énoncée qu’en toute fin de l’essai). On présentera ensuite l’organisation de l’ouvrage et l’argumentation générale de l’auteur, ainsi que le texte du colloque Lippmann. Enfin, on proposera quelques pistes de relecture du colloque qui permettraient de faire ressortir des éléments d’analyse importants pour une histoire du libéralisme au XXe siècle.

Pour une tradition du « libéralisme social » ou « de gauche »

La thèse critique à l’égard de la pensée antilibérale contemporaine est claire. Deux versions du libéralisme sont en présence au colloque et s’affrontent ouvertement. Par conséquent, l’attitude critique de certains intellectuels − consistant à identifier la pensée libérale avec son expression la plus radicale, le néo-libéralisme du Mont-Pèlerin et de leurs chefs de file Hayek, Mises et Friedman − est une reconstruction hâtive et fausse. Elle enfermerait l’intelligentsia de gauche dans une posture antilibérale suspicieuse à l’égard de toute référence au marché et à l’entreprise individuelle. Du même coup, les intellectuels de gauche ignoreraient les réflexions et les idées originales d’un autre libéralisme, un libéralisme social qui prendra parfois le nom de « néolibéral » (courant qui serait déjà représenté lors du colloque), et bloqueraient ainsi par simple réflexe idéologique le renouvellement doctrinal nécessaire à la gauche française.

Nous ne contesterons pas à Audier la thèse dans son ensemble. On peut toutefois s’interroger sur la représentativité des auteurs mentionnés (Pierre Bourdieu ou Serge Halimi) à l’appui de cette thèse. La référence à d’autres penseurs de la gauche aurait sans doute permis d’infléchir le propos. Comment une tradition de critique intellectuelle du libéralisme, ignorant presque tout de la théorie économique, parvient-elle à rejeter violemment les principes de raisonnement des économistes néoclassiques et la référence à la concurrence, qu’elle identifie à tort à la position néolibérale ? Si Audier ne nous donne pas la réponse, son essai est au moins une contribution utile à la réflexion.

L’essai mérite alors d’être lu comme une introduction raisonnée au colloque Lippmann, dans une perspective traditionnelle d’histoire des idées politique et d’histoire intellectuelle. Audier s’attache à retracer le parcours intellectuel des différents intervenants et souligne notamment leurs profondes divergences d’interprétation des échecs du libéralisme et des voies à suivre pour le réhabiliter. Là encore, le diagnostic de l’auteur est tout à fait utile pour une histoire du libéralisme. Même si les intervenants du colloque partagent les mêmes craintes à l’égard de la montée des totalitarismes, des dictatures, du planisme, même s’ils adhèrent au principe d’une allocation efficace des biens par les marchés concurrentiels, ils ne s’accordent pas sur les modalités historiques de développement du capitalisme, ni sur les causes de son déclin et la nature des remèdes à apporter. Pour organiser la reconstruction des positions doctrinales en présence, Audier s’appuie sur un moment fort du colloque, une intervention quelque peu solennelle et dramatique d’Alexander Rüstow lors de la séance du 29 août :

« Tout bien considéré, il est indéniable qu’ici, dans notre cercle, deux points de vue différents sont représentés. Les uns ne trouvent rien d’essentiel à critiquer ou à changer au libéralisme traditionnel, tel qu’il fut et tel qu’il est, abstraction faite, naturellement, des adaptations et des développements courants qui vont de soi. À leur avis, la responsabilité de tout le malheur incombe exclusivement au côté opposé, à ceux qui par stupidité ou par méchanceté, ou par un mélange des deux, ne peuvent ou ne veulent pas apercevoir et observer les vérités salutaires du libéralisme. Nous autres, nous cherchons la responsabilité du déclin du libéralisme dans le libéralisme lui-même ; et, par conséquent, nous cherchons l’issue dans un renouvellement fondamental du libéralisme » (p. 333).

Au delà d’un désaccord, que les participants acceptent finalement de mettre entre parenthèses pour privilégier la création d’un réseau international de diffusion de la pensée libérale, il s’avère très difficile de proposer une reconstruction rationnelle des arguments économiques, philosophiques, historiques, qui devraient conduire à ces deux visions du libéralisme. Même si on ne conteste pas ici l’idée d’une opposition entre ces deux formes de libéralisme, elle ne nous semble pas être la seule à retenir du colloque. Ainsi, on pourrait faire une lecture un peu différente du colloque et y voir une préfiguration claire de deux courants qui s’exprimeront plus tard au sein de la société du Mont-Pèlerin, le courant ultra-libéral et le courant ordo-libéral (au travers des prises de position de Mises et Hayek d’un côté, de Rüstow et Röpke de l’autre) laissant autour d’eux des témoins embarrassés qui ne s’identifient ni à l’une ni à l’autre. Pour sa part, Audier privilégie une lecture duale du colloque, qui oppose les ultra-libéraux à tous les autres, réunis par leur volonté d’une articulation plus étroite des missions de l’État et du marché.

Le lecteur apprendra sans doute beaucoup sur les idées sociales et politiques de nombreux participants, sur leurs interprétations des transformations du capitalisme, sur leurs tendances corporatistes, leurs conceptions de l’égalité, de la rationalité individuelle et du rôle des syndicats, leurs visions du libéralisme et du meilleur moyen de concilier les libertés individuelles et le rôle de contrôle de l’État, etc. L’essai de Serge Audier, tout comme le texte du colloque, offre ainsi un matériau précieux pour l’histoire des idées économiques et politiques en France. On notera également que, sur bien des points d’histoire intellectuelle, Serge Audier apporte des corrections utiles et des éclairages nouveaux. Il combat à juste titre la présentation de Raymond Aron comme ultra-libéral, et met en évidence la stratégie de Hayek pour prendre ses distances avec une tradition du libéralisme social. Il rappelle les tensions, au sein de la Société du Mont-Pèlerin, entre Hayek et Mises d’un côté, Röpke et Rüstow de l’autre, tous présents et actifs au colloque Lippmann. Le lecteur se retrouve ainsi pris dans le large spectre des idées réformatrices et des multiples traditions intellectuelles venues se ressourcer aux idées libérales et keynésiennes.

Si l’essentiel de l’analyse de l’auteur se place au niveau de l’histoire des idées, un éclairage ancré dans l’histoire de la pensée économique n’aurait pas été inutile. Par exemple, le fait que tous les participants se réfèrent à l’efficacité du système de prix dans une économie concurrentielle ne signifie pas qu’ils l’interprètent de la même manière. Il eût été utile de rappeler que la théorie de Léon Walras, qui se dit socialiste et libéral, appartient à une tradition de pensée rationaliste et qu’elle inspire manifestement de nombreux participants du colloque. Or, justement, le rationalisme est aux yeux des ultra-libéraux (les « vrais » libéraux) le péché intellectuel caractéristique de la pensée cartésienne, celui qui entretient chez nombre de « faux » libéraux l’illusion d’une intervention correctrice de l’État dans les affaires humaines. Ce clivage théorique et philosophique permet de conforter la thèse générale de l’auteur sur la formation de deux camps opposés. Mais il faut immédiatement reconnaître que ce clivage n’est pas le seul qui divise les participants au colloque. D’autres clivages de philosophie politique (sur la démocratie, l’éducation, l’égalité, la justice sociale) ou plus simplement d’interprétation historique (sur les causes principales des rentes de monopoles) viennent manifestement s’y ajouter, et expliquent la complexité du discours libéral à la fin des années 1930.

Du colloque Lippmann au colloque Lippmann

Revenons un instant aux deux objets qui intéressent Audier : d’un côté, le colloque Lippmann, la manifestation elle-même ; de l’autre, Le Colloque Lippmann, c’est-à-dire le texte publié à la suite de cette rencontre. L’articulation entre ces deux objets est singulière et mérite quelques réflexions méthodologiques.

Le colloque Lippmann est mis sur pied en quelques jours à l’initiative du philosophe Louis Rougier. Auteur de La Mystique démocratique. Ses origines, ses illusions (1929), il s’y oppose à la vision passive des libéraux manchestériens et théorise un « libéralisme constructeur » garant des lois de la concurrence et d’une saine émulation. La lecture de La Cité libre (1937) du journaliste et publiciste Walter Lippmann fait parfaitement écho à ses propres préoccupations et offre de nombreuses pistes pour une reconstruction des démocraties libérales. Le colloque est organisé à l’occasion du passage de Lippmann à Paris, dont l’ouvrage avait produit un grand effet dans les milieux libéraux en Europe. À l’initiative de Rougier furent réunis du 26 au 30 août une trentaine de participants, afin de discuter et de définir en commun l’agenda d’un nouveau libéralisme conçu comme un système économique et politique autonome. Accessoirement, il s’agissait aussi de mettre en place un réseau international de réflexion et de diffusion des idées libérales.

L’objet principal du colloque est donc de susciter une discussion sur la doctrine libérale et sur les meilleurs moyens de la réhabiliter, notamment en mettant en place un Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme, dont la mission serait de réfléchir au meilleur cadre juridique pour le développement d’une économie libérale, adaptée aux évolutions technologiques, organisationnelles et sociales du monde contemporain. Le colloque aboutit d’ailleurs à une déclaration commune, élaborée à partir d’un agenda proposé par Lippmann. À défaut d’être consensuel, le programme de réflexion sur la mise en œuvre de politiques libérales suscite l’adhésion des participants, qui laissent provisoirement de côté leurs divergences de fond.

À la suite au colloque, Rougier entreprend d’en faire publier le contenu par la Librairie Médicis. Il s’agit en principe d’une transcription des interventions et des débats, et c’est ce texte qu’Audier republie dans son livre. Pour plusieurs raisons, il nous semble que Le Colloque Lippmann appelle une lecture moins chargée d’interprétations définitives sur les courants du libéralisme, et qui rendrait davantage compte du désordre intellectuel et des béances de la doctrine libérale à l’aube de la Seconde Guerre mondiale.

En effet, le premier constat méthodologique, c’est que le texte du colloque est d’abord et avant tout un document singulier, qui n’a que peu d’équivalent à notre connaissance. Il s’agit d’un document incomplet, qui retrace imparfaitement ce qui s’est dit pendant le colloque. Les discussions y sont rendues « sous une forme tronquée » (p. 248). Il ne rend pas compte de manière fiable de tous les échanges entre les participants. Ainsi, certaines interventions mentionnent des points de discussion antérieurs qui ne sont pas transcrits dans le texte. Sur ce point, on reprochera à Serge Audier de ne pas s’être interrogé sur les lacunes évidentes du texte et de ne pas avoir pris suffisamment de précautions méthodologiques. Un tel travail aurait été indispensable, et oblige à une certaine retenue dans l’interprétation. À tout le moins, il paraît inconcevable d’utiliser ce texte sans l’éclairer par une histoire intellectuelle du libéralisme dans les années 1920 et 1930 (réseaux, institutions, traditions nationales, modes de diffusion).

De plus, il semble que pour plusieurs thèmes abordés lors des séances, un intervenant a été sollicité pour exposer son point de vue au cours d’une brève intervention. Chacune de ces interventions ouvre alors sur une discussion entre les participants. Les prises de parole et la longueur des interventions sont très variables selon les thèmes. Ainsi, le texte donne un net avantage aux intervenants francophones. Cela traduit-il la réalité des débats ? Cela s’explique-t-il par une prise de note schématique des interventions des autres intervenants ? En avertissement au texte, Louis Rougier indique que seules les interventions en français et allemand ont été dactylographiées pendant le colloque, « de façon à peu près complète » (p. 247-248), et que les interventions en anglais n’ont pu être reconstituées qu’après coup. Hayek n’ayant pu reconstituer de mémoire ses interventions, le texte ne rend pas fidèlement compte des arguments qu’il a pu avancer pendant le colloque. Si bien que son rôle paraît très modeste, en retrait et à l’abri de Mises, alors que Rougier affirme par ailleurs que ses interventions étaient « très intéressantes » (p. 248). Dans le même ordre d’idées, certains participants interviennent très occasionnellement, seulement dans une session, voire deux, tandis que d’autres prennent la parole presque systématiquement (Mises, Rueff). Aussi, il nous semble qu’un travail systématique d’analyse du texte aurait pu enrichir le propos et l’étude des stratégies propres à certains participants. Toute cette dynamique de la discussion, pour peu qu’elle soit fiable, apporterait de précieux renseignements qui pourraient même servir d’indices favorables (ou non) aux interprétations de l’auteur. Mais, là encore, il n’est pas certain que le déroulement des discussions soit retranscrit parfaitement. En effet, les thèmes de discussion séparés (du matin et de l’après-midi) sont parfois retranscrits en une seule section, ce qui suppose un travail plus ou moins important de reconstruction (probablement de Rougier). Dans tous les cas, il n’est pas possible d’exploiter Le Colloque comme une restitution fidèle, transparente, du colloque.

Quels fondements théoriques des néo-libéralismes ?

Sur le fond, en supposant cet obstacle méthodologique levé, il faudrait commenter les positions des uns et des autres à la lumière des arguments de théorie économique mobilisés. Un moment édifiant des débats, par exemple, concerne la capacité du libéralisme à se suffire à lui-même, et notamment l’effet du libéralisme sur les conditions de la concurrence : le système libéral a-t-il tendance à détruire de lui-même l’environnement concurrentiel des agents et à favoriser l’émergence de grands groupes industriels monopolistes ? Ce sujet est en fait central au cours du colloque, aussi bien d’un point de vue de théorie économique que plus largement, pour évaluer la stabilité d’une société libérale face aux écueils du socialisme et du totalitarisme.

Lorsque Röpke s’oppose à Mises, l’argumentation typique des auteurs (libéralisme autodestructeur vs libéralisme victime de l’intervention de l’État) cède la place à une querelle théorique sur l’effet des droits de douane. Ici, comme à d’autres moments, l’avenir du libéralisme est parfois examiné à la lumière des grandes idées traditionnelles des XVIIIe et XIXe siècles, à savoir la division (internationale) du travail, la liberté de circulation des biens, etc. Il est étonnant de voir qu’assez peu d’idées nouvelles structurent les discussions. À ce propos, le débat est assez instructif dans la mesure où il reste assez superficiel et ne rend pas compte de la richesse des débats de théorie économique qui se déroulent à l’époque en Allemagne, en Angleterre, aux États-Unis, ni même des modalités nationales de la régulation économique. La législation antitrust aux États-Unis (Sherman Act en 1890 et Clayton Act en 1914) témoigne d’une réflexion bien plus grande sur la nature des ententes anticoncurrentielles. Quelle connaissance les intervenants ont-ils de ces développements théoriques ? Comment s’y réfèrent-ils dans leur positionnement doctrinal ? Pourquoi les développements contemporains de l’analyse économique ne sont-ils jamais mobilisés par les intervenants ? Autant de questions qui mériteraient une investigation précise pour appréhender les positions des tenants du libéralisme.

Un autre thème récurrent des débats, le plus essentiel, est celui des institutions (système juridique, structures organisationnelles, gouvernance, etc.). Sur ce thème qui allait être le plus important peut-être pour la théorie économique de l’après-guerre jusqu’à aujourd’hui (théorie néoclassique des incitations et des contrats, théorie néo-autrichienne, néo-institutionnaliste, évolutionniste, radicale et conventionnaliste), le Colloque laisse entrevoir un immense vide théorique. Les participants en appellent volontiers aux institutions comme cadre fondamental pour délimiter le champ et les modalités de fonctionnement d’un système concurrentiel, mais à aucun moment il n’est question plus précisément d’une théorie des institutions, pas même d’une présentation concrète de leur contenu (à l’exception notable d’une discussion sur le rôle historique de la société anonyme). La théorie des institutions reste donc purement virtuelle. C’est pourtant ce point qui allait constituer dans les années suivantes l’une des bases de la refondation du libéralisme par Hayek et qui devait jouer un rôle essentiel dans la démarcation entre néo-libéralisme et théorie néoclassique, d’une part, et entre néo-libéralisme et libertarianisme, d’autre part.

En bref, le document historique qu’offre le colloque Lippmann nous orienterait vers une exploitation plus défensive et prudente que celle que nous propose Audier. Là où l’auteur voit l’affirmation de camps – qui se découvrent et se cherchent encore –, on chercherait d’abord à y voir un lieu d’expérimentation et de maturation des arguments. Ainsi, par exemple, le rôle de Hayek aurait-il mérité une analyse plus pointue. Plutôt que de mettre en avant les écrits beaucoup plus tardifs de Hayek (Droit, législation et liberté, 1976) ou son ouvrage grand public La Route de la servitude (1944), il aurait été intéressant de mettre en perspective ses interventions (et celles de Mises) avec les débats théoriques des années 1920 et 1930 sur la planification socialiste (Hayek, 1935) et, plus encore, avec les idées en pleine maturation sur le rôle de l’information et sa diffusion dans la société (Hayek, 1937). S’il est peut-être une seule idée que Hayek aura retenue du colloque Lippmann, c’est bien le flottement théorique des participants, tous libéraux qu’ils soient, sur la nature et l’origine des institutions d’une société libre, sur la possibilité d’instituer par le haut, rationnellement, un système juridique immédiatement et durablement en conformité avec les besoins et les capacités des agents à un moment donné. Le choix de Serge Audier nous éloigne un peu plus d’une histoire des fondements intellectuels du libéralisme et maintient une distance entre théorie et idéologie qui est une limite évidente pour la compréhension des transformations historique du courant libéral.

L’intérêt du colloque Lippmann vient des hypothèses qu’il permet d’élaborer pour une histoire du libéralisme, ce qu’il rendra possible après un long cheminement intellectuel. Au contraire, Serge Audier choisit de n’en retenir que l’effet immédiat, l’expression d’un désaccord doctrinal entre deux (ou plus ?) formes de libéralismes. Il reproche à juste titre aux « intellectuels de gauche » d’entretenir une vision tronquée du libéralisme, qui interdit tout débat d’idées au sein de la gauche française – au risque de se laisser prendre par une autre illusion : croire que cet autre libéralisme (social) existe bel et bien, que son corpus théorique et son contenu doctrinal sont bien identifiés, alors qu’ils sont encore à construire.

par Jean-Sébastien Lenfant [24-06-2009]

Aller plus loin

Références
- Cot, Annie (2007) « General equilibrium theory as a ‘boundary object’ within American social sciences : the ‘Harvard Pareto Circle’ », contribution au colloque General Equilibrium as Knowledge. From Walras Onwards, Paris, Panthéon, 6-8 septembre 2007.
- Denord, François (2007) Néolibéralisme, version française. Histoire d’une idéologie politique, Paris, Demopolis.
- Hayek, Friedrich A. (ed.) (1935) Collectivist Economic Planning, Routledge.
- Hayek, Friedrich A. (1937) « Economics and Knowledge », Economica, vol. 4, p. 33-54.
- Lagueux, Maurice (1989) « Le néo-libéralisme comme programme de recherche et comme idéologie », in Le Libéralisme économique. Interprétations et analyses, sous la direction d’Arnaud Berthoud et Roger Frydman, Cahiers d’économie politique, n°16-17, 1989, p. 129-152.
- Rebeyrol, Antoine (1999) La Pensée économique de Walras, Paris, Dunod.
 
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Michael Jackson, maillon de la domination culturelle américaine

27 Juin 2009 , Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G.

Michael Jackson, maillon de la domination culturelle américaine
 

Michael Jackson
maillon de la domination culturelle américaine


Très honnêtement, je ne me suis jamais intéressé au chanteur. Malgré ses 45 ans de carrière, son titre de King of pop, son audience de star planétaire, je suis resté sourd et aveugle au phénomène. Il faut dire que je suis allergique à cette forme aussi de mondialisation qui n'est pas le fruit du hasard, qui participe de l'hégémonie culturelle des États-Unis. C'est pourquoi je mets en ligne, un essai sur États-Unis et Eurasie, paru dans Pour une école du gai savoir aux Cahiers de l'Égaré en 2004.

Ayant regardé quelques clips du site Michael Jackson

je dois reconnaître que j'ai apprécié.
On avait affaire indéniablement à un chanteur, un danseur, un acteur...Il bougeait très bien. On le voit bien avec Panther Dance.

Mais cela ne justifie pas l'emballement qui l'a entouré. Il me semble voir du machisme dans certains clips. Pas sûr que ce soit parodique. Une fascination pour des allures de dur, de caïd. Pas sûr que ce soit parodique.

Jean-Claude Grosse, le 27 juin 2009

Bambi est mort

ÉRIC DAHAN


 

C’était le 14 décembre 1969. Deux mois après avoir été présentés par Diana Ross dans l’émission Hollywood Palace,de la chaîne ABC, les Jackson Five étaient invités au Ed Sullivan Show, émission légendaire pour avoir accueilli les premières prestations aux Etats-Unis des Beatles et des Rolling Stones. Le groupe a signé sur la Motown de Berry Gordy, le label de Detroit qui, de rengaines des Supremes en tubes des Four Tops, a «sorti» la musique noire des ghettos du blues, du jazz, de la soul, en l’imposant comme la pop music de choix de la classe moyenne blanche.

Dès le glissando de piano enchaîné à un riff funk sur la note de sol dièse, pivot harmonique de toute la composition, impossible de ne pas être saisi. Entrent alors les congas et les cordes sur lesquels cinq garçons, de l’enfant à l’adolescent, exécutent une chorégraphie qui ajoute à la tension électrisante de la musique. Le thème d’I Want You Backrevient au cadet, qui danse comme James Brown, avec des poses de mac irrésistibles, tout en fredonnant les notes de la mélodie en «humming» façon Diana Ross. Huit ans plus tôt, la Motown avait révélé un prodige de 11 ans, Little Stevie Wonder. Mais Michael Jackson, en trois minutes, conjuguant le cri rythm’n’blues de rue, comme un appel voyou aux filles, et la candeur d’Epinal de Mickey Rooney et Shirley Temple, vient de s’imposer challenger du show-biz américain, où il est traditionnellement attendu d’un artiste qu’il sache chanter, danser et jouer la comédie.

la Jackson family

Le 23 janvier 1970, la chanson I Want You Back, extraite de l’album Diana Ross Presents the Jackson Five, coiffe le hit-parade. La même année, les deux singles du disque suivant, ABC, se classent à la même première place : tous les petits garçons veulent ressembler à Michael Jackson et toutes les filles sont folles de lui. L’album est objectivement fantastique, par le choix des compositions et les performances du soliste. La fantaisie mélodique de la chanson-titre ou de l’imparable The Love You Save fait mouche auprès des kids, mais même les adultes sont touchés par l’interprétation, d’une puissance dramatique irréelle, vu l’âge du chanteur, de Don’t Know Why I Love You de Stevie Wonder. Un Third Album paraît en septembre, dans la précipitation et moins réussi, mais la ballade I’ll Be There, clonant le style Diana Ross, de la composition (Berry Gordy et Hal Davis) à l’interprétation de Michael Jackson, envahit les radios à l’automne, avant publication (autre exercice obligé de l’entertainment américain) d’un Christmas Album.

En 1971, deux nouveaux disques : Maybe Tomorrow, qui contient l’imparable Never Can Say Goodbye et Going Back to Indiana, enregistrement live d’un show télévisé durant lequel le groupe interprète deux hymnes emblématiques de la «fierté noire» du militant psychédélique Sly Stone : Stand ! et I Want To Take You Higher. Le septième Jackson Five paraît le 23 mai de l’année suivante. La chanson-titre, Looking Through the Windows, signée Clifton Davis, est une réussite, mais la pire concurrence des Jacksons est née : c’est Michael Jackson.

L’indépendance

Tout en continuant à chanter avec le groupe, Michael vient de publier Got To Be There, son premier album, et c’est un carton : quatre tubes dont une reprise déchirante du Ain’t No Sunshine de Bill Withers, et 4 millions d’exemplaires vendus. Son premier number one solo sera Ben, chanson-titre d’un film d’horreur, et de l’album du même nom qu’il publie en 1972.

Jusqu’en 1975, le groupe, comme Michael Jackson, continue à livrer des albums originaux à la Motown, mais malgré des titres qui se distinguent systématiquement dans les dix premières places des charts, comme Dancing Machine et One Day In Your Life, la «Jacksonmania», qui avait culminé avec la diffusion de deux séries de dessins animés, The Jackson 5ive et The New Jackson 5ive Show en 1972, s’estompe.

Entre-temps, Marvin Gaye et Stevie Wonder ont publié leurs chefs-d’œuvre de la maturité et de nouvelles machines à danser sont nées, comme Kool & the Gang et Earth, Wind & Fire. Il est temps pour les Jacksons, ainsi rebaptisés car le nom Jackson Five appartient à Berry Gordy, de muter. Ils quittent la Motown pour Epic, filiale de CBS, prennent progressivement le contrôle artistique de leurs enregistrements et composent désormais leurs propres chansons.

la Star planétaire

Jusqu’en 1984, ils vont aligner six albums dont Destiny en 1978 et Triumph en 1980, qui marquent l’apogée de leur style disco-funk. Cependant, la voix de Michael a mué et son style, du falsetto aux halètements et hoquets suraigus, a gagné en suavité et charisme sexuel. Pour la deuxième fois de leur carrière, les Jacksons vont subir de plein fouet la concurrence du plus doué d’entre eux. Avec Off the Wall, son cinquième album solo paru en 1979, Michael Jackson est devenu une star planétaire. Rencontré sur le tournage à New York du film The Wiz avec Diana Ross, le producteur Quincy Jones va apporter au disco-funk de son nouveau poulain une sophistication sonore inouïe, fruit de trente ans d’expérience dans le jazz, le blues, la soul et la musique de films. Du galvanisant Don’t Stop ’Til You Get Enough à l’onirique I Can’t Help It, signé Stevie Wonder, en passant par She’s Out of My Life, nouveau chef-d’œuvre de dramaturgie vocale frissonnante, l’album est une leçon musicale, et s’écoule à 12 millions d’exemplaires. En photo au Studio 54 entre Andy Warhol et Liza Minnelli, numéro 1 au Billboard avec le single Rock With You, Jackson est nominé aux Grammy Awards de 1980, où il remporte le prix du meilleur chanteur r’n’b pour sa chanson Don’t Stop ’Til You Get Enough. D’autres s’en seraient réjouis mais cette décoration dans la catégorie «musique noire» est vécue, légitimement, comme un affront. La prochaine mutation radicale marque la fin d’une certaine innocence.

La mutation

Avec Thriller, Jackson pose toujours en éphèbe disco-funk sur la pochette, mais l’album est d’une diversité musicale stupéfiante. Avec Quincy Jones, il a modernisé son funk (l’afro-machinique Wanna Be Startin’ Somethin’ et le fameux Thriller, chanson-titre), tout en s’attaquant au public blanc avec un morceau rock : Beat It, agrémenté d’un solo du guitariste metal Eddie Van Halen. Si sa qualité musicale est indéniable, difficile de dissocier le succès de ce disque, qui remporte huit grammies en 1983 et demeure le plus vendu de l’histoire avec 104 millions d’exemplaires à ce jour, de la stratégie médiatique qui l’a accompagné.

Avec le clip de Billie Jean, ravivant un pas de danse oublié, le «moonwalking», Jackson a trouvé son gimmick, associé à chacune de ses apparitions scéniques. Avec celui de Beat It, il réanime les chorégraphies street de West Side Story. Enfin, avec celui de Thriller, superproduction de quatorze minutes en hommage à la Nuit des morts vivants, Jackson se pose comme l’homme de tous les records. Diffusés en permanence par la chaîne MTV, ces clips fanatisent le public et les médias, qui se passionnent pour les moindres agissements du chanteur, passé mythe vivant.

Plus personne n’ignore qu’il vient d’une famille modeste de l’Indiana et qu’il est le septième de neufs frères et sœurs. Est-ce par frustration d’avoir dû travailler dans une aciérie et d’être le guitariste du confidentiel The Falcons, que le père, Joseph Jackson a coaché à la dure ses enfants pour en faire une attraction musicale ? Michael et ses frères auraient été battus et violés.

Au moment où sort Thriller, Jackson a déjà subi une à deux rhinoplasties, seules opérations de chirurgie esthétique qu’il reconnaît. S’il peut imputer la responsabilité de ce complexe à son père qui, lorsqu’il était enfant, se moquait de son «gros nez», il n’en est qu’au début de son pacte faustien avec la chirurgie esthétique. Est-il victime des rumeurs les plus folles qui courent à son sujet (il dormirait dans un caisson à oxygène, il se blanchirait chimiquement la peau), ou les entretient-il savamment ? Lorsqu’il est transporté en urgence au Cedars-Sinai Hospital de Los Angeles avec des brûlures au troisième degré du cuir chevelu, suite à un accident pyrotechnique sur le tournage d’une pub Pepsi, les médias planétaires diffusent les images de son arrivée sur un brancard.

Le performer

En 1984, paraît l’album Victory des Jacksons dont Michael fait toujours partie et, durant la tournée américaine, il se taille la part du lion. L’année suivante, il coécrit avec Lionel Richie la chanson We Are the World, enregistrée avec quarante stars (Springsteen, Tina Turner, Stevie Wonder, Ray Charles…), contre la faim en Afrique, qui se vendra à 7 millions d’exemplaires.

En 1986, Jackson n’a toujours pas tourné en Europe, et la fièvre monte encore avec la diffusion dans tous les parcs Disney de Captain Eo, un court-métrage musical féerique en 3D, produit par Lucas et Coppola, pour 17 millions de dollars. En 1987, c’est au tour de Scorsese de réaliser le clip très urbain de Bad, premier single de l’album du même titre, deuxième disque le plus vendu de tous les temps avec 32 millions de copies. Après avoir enregistré dans le passé des duos avec Paul Mc Cartney, Stevie Wonder et Mick Jagger, celui qui se veut le Peter Pan de son temps a choisi d’inviter Prince à chanter sur ce titre, mais ce dernier a décliné l’offre, au grand dam de Quincy Jones qui rêvait de réunir ceux qu’il considérait comme les deux artistes du moment.

En France, les concerts que Jackson donne au Parc des Princes montrent le performer au sommet, jusque dans le numéro de cabotinage sur l’inquiétant Dirty Diana. Le 20 mars 1991, il signe un contrat record d’un milliard de dollars avec Sony et sort l’album Dangerous, suivi d’une nouvelle tournée mondiale. Annoncé par le clip façon United Colors of Benetton, le single Black or White, comme ceux qui vont suivre (Remember the Time, In the Closet) ne manque pas de charme. De nombreuses stars participent aux clips afférents dont Magic Johnson, Michael Jordan, les comédiens Eddie Murphy et Macaulay Culkin ainsi que les top-models Iman, Tyra Banks et Naomi Campbell. Résultat, 30 millions de copies vendues. C’est peu après, en août 1993, que les ennuis s’annoncent…

Les scandales

Jackson est accusé d’abus sexuel par le jeune Jordan Chandler, 13 ans, qu’il avait invité à passer un week-end en famille dans son ranch de Neverland. Dans le cadre de l’instruction, le chanteur est contraint d’accepter que ses parties génitales soient examinées pour corroborer la description qu’en a fournie le plaignant. L’affaire se résout par une transaction à 22 millions de dollars.

Le 26 mai 1994, Michael Jackson épouse Lisa Marie Presley. Cette union, comme sa liaison antérieure supposée avec Brooke Shields, est accueillie par certains avec le sourire. Désormais, les faits et gestes du chanteur suscitent l’incompréhension du public. Un an plus tard sort HIStory : Past, Present and Future - Book I, double album comptant quinze tubes du passé et quinze nouveautés dont Scream, en duo avec Janet, et You Are Not Alone, qui se vend à plus de 38 millions d’exemplaires. Mais les médias ne se passionnent plus que pour son remariage avec une infirmière nommée Debbie Rowe, leur «fils», Prince Michael Junior, né le 13 février 1997, et leur «fille», Paris Katherine Michael, le 3 avril 1998, dont il obtiendra la garde après divorce en 1999.

On le dit fini aux Etats-Unis, ce qui n’empêche pas le chanteur de tourner encore avec succès. A la veille du 11 septembre 2001, il se produit avec ses frères au Madison Square Garden, et, un an plus tard, se déclare père d’un nouvel enfant, Prince Michael II. Son dernier album en studio, Invincible, ne se vend «qu’à» 11 millions d’exemplaires.

En 2003, un documentaire réalisé par le journaliste Martin Bashir refait parler de lui dans les médias. Le feuilleton des accusations de pédophilie reprend et l’on apprend que le chanteur aurait quitté Sony et promis un album ailleurs. Il y a peu, les places de 50 concerts de son come-back prévus à Londres en juillet et jusqu’en 2010 pour éponger une dette de 178 millions de dollars, partaient en quelques minutes. Une nouvelle génération s’impatientait de découvrir le mythe vivant. Le 29 août, il aurait eu 51 ans.


 

Bambi le zombi

Par Pascal Bruckner 

On le sait depuis Oscar Wilde et son portrait de Dorian Gray : vieillir est un crime. Mais être un homme ou une femme est également un péché, avoir un corps est une faute, exister, une disgrâce. Michael Jackson est celui qui aura voulu effacer d'un coup les malédictions de l'être humain.


 

Ce petit garçon noir devenu une femme blanche, cet adulte régressif, atteint du syndrome de Peter Pan, aspira sa vie durant à être un ange, quitte à ressembler à une goule. Il aura travaillé pendant cinquante ans à gommer la double fatalité de l'âge et de la race, au point d'évoquer une créature fantastique entre Bambi et zombi.

Dans sa folle tentative de recréation de soi, il a témoigné de la passion contemporaine pour la désincarnation : il a voulu récuser toutes les divisions naturelles ou sociales liées au sexe (illustrant jusqu'à l'ascèse la théorie des genres formulée dans les années 1980) refuser les diktats de l'horloge biologique, s'affranchir du devenir, procéder à une deuxième ou troisième naissance qui ne devrait plus rien aux hasards de la nature.

Voyez ses clips : un polymorphisme vertigineux le montre se transformant sous nos yeux en dansant, son visage se mélangeant à celui de tous les autres jusqu'à devenir un loup-garou, une panthère noire, un enfant, un lapin. Il se veut le pont qui rattache les créatures les unes aux autres, confond le règne animal et humain.

Il voyage aussi dans le temps et l'espace, défie la pesanteur, la chronologie ordinaire. Le kitsch côtoie bientôt le monstrueux; il crée un parc d'attractions pour enfants dans sa propriété, Neverland, fait assaut de mignardises, adopte à partir de 1987 une voix sucrée de petite fille à la Shirley Temple. Mais le conte de fées tourne au cauchemar : une photo terrible le montre choisissant une prothèse nasale alors que son nez s'est désintégré sous le bistouri de trop de charlatans, laissant un trou au milieu du visage. Entre le chérubin et le poupon s'est glissé un troisième personnage : le mort-vivant.

Cette prodigieuse icône androgyne aura voulu accomplir sur lui-même les promesses du paradis, devenir un corps glorieux et incorruptible, d'après le Jugement dernier. Rencontre sur la scène pop de Frankenstein et de saint Paul. C'est pourquoi sa carrière chirurgicale est aussi passionnante que sa carrière musicale. Artiste de soi même, Michael Jackson est notre dernier martyr chrétien.


 

États-Unis / Eurasie


Pays le plus puissant du monde depuis 1940. Mais depuis la 2e guerre d’Irak (mars 2003), le monde découvre qu’il n’a plus besoin de l’Amérique alors que l’Amérique ne peut plus se passer du monde. Le paradoxe est tel que les USA, facteurs de paix pendant plus de 50 ans, sont aujourd’hui facteurs de désordre.
S’est construit

    – par vagues d’immigration européenne au XVIIIe
(aristocrates désargentés) et au XIXe siècle (sous-prolétariat)
    – par la conquête de l’Ouest sur la peau des bisons
et des Indiens
    – par l’exploitation des Noirs par les esclavagistes
dans les champs des états du Sud jusqu’à la Guerre de Sécession (1861-1865)
    – par le Taylorisme dans les usines des états du Nord
à partir de 1870.
Pays le plus puissant :
• sur le plan économique : protège ses ressources (pétrole), pille et gaspille celles d’autres pays dont certains sont traités comme des sous-traitants : monoculture ou mono-industrie au service des USA.
• sur le plan militaire : mais a perdu la guerre du Viêt-Nam, n’a pas gagné les guerres du Golfe…
• sur le plan monétaire : le dollar est la monnaie d’échange et les USA font supporter aux autres grands, le déficit de leur balance des paiements.

Le mode de vie américain et la culture américaine s’exportent dans le monde entier : nourriture et boissons à fabriquer des obèses, jeans à mouler les culs, chaussures fabriquées par des enfants pour pratiquer en champion tous les sports, films à susciter des serial-killers en mangeant du pop-corn, musiques à déclencher l’hystérie… Les enfants et les jeunes sont les plus fascinés par cette culture. On voit la fragilité d’une telle puissance : ignorons leurs films, leurs stars, leurs champions, leurs boissons, leurs jeans, leur bouffe, nous nous porterons mieux, nous serons mieux dans nos têtes et dans nos corps, eux se porteront plutôt mal. Ils sont engagés dans une guerre de domination du monde par le conditionnement des corps, prendre son pied, et des esprits, ne pas se prendre la tête.
Pays présenté comme la plus grande démocratie du monde, diffusant une culture de mort ; et pour le moment ça marche ; c’est un pays où la peine de mort est encore pratiquée à grande échelle, où les riches font régner la loi de l’argent, où les religieux intégristes et les ligues morales produisent un conservatisme rigide et agressif. C’est un pays où l’on dégaine plus vite que son ombre pour tuer l’ombre vue dans son jardin, où il ne fait pas bon vivre quand on est pauvre, malade, au chômage, noir.
Si j’essaie de construire le paradigme étatsunien, j’obtiens :
« Nous, Étatsuniens, élus de Dieu, devenus riches par notre travail, devenus puissants/hyperpuissants par notre messianisme en faveur de la liberté et de la démocratie, nous avons triomphé du mal qui s’appelait colonialisme quand nous avons fondé notre pays par la révolution contre les Anglais, puis qui s’est appelé nazisme, puis communisme et aujourd’hui terrorisme-islamisme. L’Amérique est de toutes les nations du monde, la plus juste, la plus tolérante, la plus désireuse de se remettre en question et de s’améliorer en permanence et le meilleur modèle pour l’avenir. La plus grande démocratie du monde doit prendre la tête des démocraties et poursuivre la mission éternelle de l’Amérique ».
Ce messianisme constitutif des États-Unis dès l’origine contribue, par son essence religieuse, à développer à l’intérieur un fort nationalisme, un profond patriotisme, à forger des mentalités de gagneurs. Durs en affaire, pratiques, novateurs, leur vision du monde est prométhéenne : action, adaptabilité, efficacité, dynamisme, individualisme, mouvement, optimisme, pragmatisme, variété. Ce messianisme contribue à développer à l’extérieur un esprit de croisade (justifié par la doctrine Monroë de 1823), qui fait des États-Unis le pays le plus interventionniste depuis qu’il existe. Ces croisades, ces interventions, ces guerres sont contre le mal, donc justes et en plus, depuis 1991, propres. Ce messianisme pour le bien du Monde et de l’Humanité, est à géométrie variable, selon les équipes au pouvoir (whigs ou tories, libéraux, ultra-libéraux, néo-conservateurs dits néo-cons, néo-keynesiens,…) mais on observe un effet cumulatif, présidence après présidence, à visée impériale, s’appuyant sur un 
double pouvoir :
1 – le pouvoir doux de l’image, du jazz, du rock, de la techno, de la comédie musicale, d’Hollywood, de la télévision, d’internet, des portables, des jetables, des consommables, de la bouffe, de la boisson, de la drogue, de la fringue, des jeux d’argent, des parcs d’attraction (et paradoxe, ce pouvoir doux est issu de la contre-culture, la culture underground des années d’après 1968) ;
2 – le pouvoir dur des armes, des alliances, des affaires, du capital et de la gouvernance d’entreprise où les principes, les idéaux (liberté – démocratie – droits de l’homme) sont l’habillage de pratiques contraires (pillage – unilatéralisme – violation des règles internationales).

Face à une telle idéologie (à déclinaison variable : Bush Junior est différent de Clinton, mais Clinton est le premier président à avoir dit que les États-Unis étaient la seule nation indispensable au monde, donc devant être maître de l’échiquier mondial) simpliste, mais efficace, face à une telle puissance qui veut vassaliser ses amis, écraser ses ennemis, face à de tels croyants, à de tels guerriers (guerre économique, guerre culturelle, guerre spirituelle, guerre des brevets, guerre des savoirs et des connaissances – qu’on pense au pouvoir des think tanks, 26 millions de dollars pour le Brookins Institute – guerre tout court) et on peut penser aux légions romaines, aux Waffen-SS, mais en cols blancs, comment se comporter ?
Pour eux, le monde aujourd’hui se découpe ainsi :
• leurs alliés mis en réseau politique, économique, militaire (Canada, pays anglo-saxons, pays de l’Est, Amérique latine) ;
• les munichois sans patriotisme et sans ressort (l’UE, la France) ;
• les ennemis identifiés avec lesquels des relations économiques sont possibles (Chine) ;
• les ennemis à détruire, à ramener dans le droit chemin (terrorisme, Irak, Iran, Corée du Nord).

La France (et son esprit munichois) peut-elle réagir, résister ?

En disant Non à la 2e guerre d’Irak, la France, l’Allemagne et la Russie rendent crédible et possible le projet d’une Eurasie politique et économique, nécessaire en contrepoids du pouvoir des USA, nécessaire pour construire vers l’Est les nouvelles routes de la soie qui donneraient à nos économies l’oxygène dont elles ont besoin.
Les USA, exportateurs du libéralisme, de l’ultra-libéralisme, du monétarisme n’hésitent pas à être protectionnistes ; l’État est fortement centralisateur, interventionniste pour tout ce qui concerne la stratégie nationale de sécurité : Conseil national de sécurité, Conseil économique national, Advocacy Center, War Room (celle-ci entre 1993 et 1997 aurait permis la signature de 230 contrats importants, générant 350 000 emplois et rapportant entre 40 et 200 millions de dollars, en mobilisant les services de l’État afin de faire aboutir des contrats au profit de firmes américaines.)
En France, la tendance semble être d’imiter les USA et nous ne sommes pas démunis : recherche, enseignement, culture, tourisme, mode de vie, mais nous ne sommes plus croyants ni guerriers.

Que nous reste-t-il ? Il nous reste contre les discours de certitudes et de servitude, à les questionner, à les dégonfler comme baudruches idéologiques, il nous reste la vraie discussion, la recherche de la vérité, il nous reste à réveiller l’émerveillement philosophique, à susciter chez le plus grand nombre le fort, le dur désir de vivre vraiment. L’anesthésie du plus grand nombre par le pouvoir doux des USA ferait place à une volonté de devenir homme de la grande responsabilité. Le pouvoir dur qui repose sur le darwinisme social : l’homme est un loup pour l’homme, n’aurait pas de prise sur l’homme de la grande responsabilité.
Les démocraties se sont construites sur le développement de l’instruction primaire (dit autrement, la démocratie est la superstructure politique d’une étape culturelle : l’instruction primaire). L’universalisation, constatable, de la démocratie s’effectue dans les pays où l’alphabétisation de masse se réalise. Quand un peuple a un niveau d’éducation élevé et un niveau de vie satisfaisant, il n’est pas belliciste, il ne donne pas le pouvoir à des va-t-en guerre. L’opposition des peuples d’Europe à la 2e guerre d’Irak a été unanime (contre leurs gouvernements parfois : Espagne, Italie, Grande-Bretagne). Et deux peuples de même niveau chercheront une solution pacifique à un différend qui les sépare.

Mais l’éducation secondaire et supérieure introduit un effet pervers dans ce processus démocratique, en faisant réapparaître des inégalités et en faisant émerger des « élites » qui se sont constituées dans les plus anciennes démocraties en oligarchie confisquant tous les pouvoirs à son profit.

On mesure ici l’enjeu : ou nous laissons nos grandes écoles continuer à produire ces oligarques qui menacent de mort la démocratie et donc la paix ou nous nous fixons l’objectif de faire sortir de notre enseignement secondaire et supérieur des hommes et des femmes de la grande responsabilité, imperméables au cynisme actuel des « élites ».
À l’idéologie, substituer la philosophie. À la croyance, substituer l’évidence. Aux discours manipulateurs, substituer la vraie discussion. Ignorer le guerrier et ses guerres, et passer son temps de vie (seul, à deux, à trois…) à vivre, essayer de vivre en vérité. Les hommes et les femmes deviendraient eux-mêmes.

Jean-Claude Grosse, 2004

 

PS: L'arrivée à la Maison Blanche de Barak Obama ne change pas cette analyse en ce que Barak Obama ne sera pas le président de la rupture avec ce paradigme. Il a clairement dit vouloir que les États-Unis retrouvent leur leadership mondial après les résultats catastrophiques de l'administration Bush en termes d'image et d'influence. Il sait très bien parler, susciter l'enthousiasme mais ne soyons pas dupes: il est là pour servir le capitalisme américain. Et bien des promesses de campagne vont passer à la trappe. Sa réforme du système de santé, ce sont des coupes sombres. Chez nous, c'est pareil.

 


 
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La discipline à l'épreuve de l'éducation

6 Juin 2009 , Rédigé par grossel Publié dans #Nathalie Rocailleux

Nathalie Rocailleux
Psychologue clinicienne
Directrice AFL TRANSITION, Toulon
Chargée de cours à l’Université de Provence, UFR de Psychologie Clinique, module « Enfance éthique et société ».



La discipline à l’épreuve de l’éducation

L’enfant naît avec un fort potentiel de développement intellectuel, affectif et social. Cependant, comme le seul bain de langage sera insuffisant pour l’amener à comprendre et à bien maîtriser le sens, l’immersion en milieu structuré (famille, société) demeurera également insuffisante pour forger un adulte accompli et émancipé, doté de raison, de discernement et d’intelligence.

Les objectifs de l’éducation sont multiples: Il s’agit de mobiliser et d’épanouir l’intelligence sociale et psychoaffective en permettant l’existence d’une estime de soi suffisante, en instaurant des règles de vivre ensemble qui comprennent au plus profond d’elles même les prohibitions universelles et notamment l’interdit du meurtre et l’interdit de l’inceste. Il s’agit également de développer les capacités conceptuelles et symboliques (langage, sens, culture) ; de développer l’intelligence cognitive (logique, adaptation, combinaison) ; de développer l’esprit critique et les capacités d’introspection et de changement.
Au final, il s’agit d’émanciper de l’autorité d’un tiers pour rendre autonome et éclairé.
Enfin, le but ultime de l’éducation réside dans le fait de pouvoir forger un citoyen épanoui capable d’esprit critique et qui le soit avec discernement et lucidité.

Ce sont les interactions précoces du nourrisson avec son entourage affectif familial qui permettront la toute première ouverture au monde. Cette ouverture se traduit chez le nourrisson par une soif intense de relations affectives qui admettent d’ordonner et d’intégrer précocement  les rythmes de vie.
Françoise Dolto parle de l’image inconsciente du corps pour évoquer la première structuration de l’esprit humain à travers les soins donnés au corps du tout petit. La manière dont il est porté, rythmé, regardé, la manière dont on s’adresse à tout son être réglemente imperceptiblement son rapport au monde. Là, se situe l’intégration des premiers interdits, des premières « manières » de vie, des codes sociaux.
Lorsque le nourrisson perçoit un agacement dans la fatigue du parent qui doit se lever la nuit, le rythme familial et social s’impose à lui. Cela ne signifie pas qu’il comprenne consciemment que ses parents sont fatigués mais cela signifie qu’il en perçoit quelque chose de négatif, de moins agréable dans la relation. Un nourrisson n’a pas la conscience d’être au monde, il a ce que l’on pourrait appeler « le sentiment continu d’exister ». En fait, il se sent au monde mais ne sait pas qu’il existe. C’est pourquoi le temps de la toute petite enfance reste inconscient mais marque nos esprits neufs pour toute la vie par l’intensité de ce qui est capté de l’environnement affectif et émotionnel pendant cette période. C’est justement pourquoi il est essentiel pendant ce temps là de considérer l’enfant comme une personne à part entière avec respect et considération, sans abuser de sa faiblesse. Les premières règles  auxquelles l’enfant se confronte sont souvent des règles non formulée et apparaissent très tôt, dès ses premiers jours de vie. Nous n’avons pas toujours conscience qu’elle relèvent de la discipline parce qu’elles sont banales et évidentes pour nous adultes. Par exemple, répondre ou ne pas répondre immédiatement à l’appel du nourrisson lorsqu’il pleure lui transmet un code de vie familial. Le fait d’habiller l’enfant lui transmet une autre règle, sociale cette fois, qui lui signifie l’importance de réguler l’accès au corps de chacun. Les premiers actes disciplinaires sont clairement signifiés par des « non » face à des situations dans lesquelles le petit enfant exprime une autonomie motrice nouvelle : il s’agit des « non ! » signifiés lors du change lorsqu’il tente de se retourner ou d’avoir des mouvements entravant les soins apportés. C’est bien dans les mouvements du corps et à travers le corps que la discipline se met en place en premier. Ce sont par ces premiers interdits induisant ses toutes premières frustrations (appelées par F. Dolto les « castrations symboligènes », et qualifiées de « clé de l’humanisation ») que l’enfant incorpore la maîtrise des désirs et des pulsions. Entre 18 mois et quatre ans, il est essentiel non seulement d’énoncer les règles clairement mais aussi d’expliquer à l’enfant le sens de l’interdit. A cet âge, si l’enfant transgresse une règle motrice (je t’interdis de monter sur le muret) et se fait mal, l’échec est en soit suffisamment une souffrance pour que ne s’y ajoute pas la sanction ou pire la moquerie de l’adulte (bien fait ! je te l’avais dit !). En revanche, un rappel de la règle assorti de l’expérience de l’enfant et de l’explication des risques lui permettra d’avoir confiance en la parole de l’adulte et d’intégrer l’autorité comme nécessaire et sécurisante. En étant énoncé et expliqué clairement, l’interdit doit pouvoir continuer de soutenir le désir de liberté et l’espoir de réussite de l’enfant.

Françoise Dolto a une approche de l’éducation qui va totalement dans le sens du respect de la personne humaine qu’est l’enfant. C’est elle qui a mis à jour les bénéfices de ce respect.  Elle va jusqu’à considérer, en observant le développement des enfants d’un kibboutz,  qu’une éducation permissive permet une plus grande intégration des interdits qu’une éducation répressive.
Nous pouvons penser, avec le recul que nous avons aujourd’hui concernant ces deux types de  méthodes éducatives que ni l’éducation permissive ni l’éducation répressive dans une société comme la nôtre ne permettent une structuration correcte de la personnalité.

Alice Miller dénonce les effets pathogènes des violences éducatives comme méthodes disciplinaires. Elle démontre avec force que les grands dictateurs de notre histoire, les meurtriers en série et les pervers sociopathes n’ont pas eu une éducation fondée sur des principes réglementés mais uniquement sur des désirs sadiques de soumission de l’enfant au pouvoir arbitraire de l’adulte. Loin d’être autoritaires, leurs parents pratiquaient l’autoritarisme et l’abus de confiance et de faiblesse pour imposer leurs désirs souvent intenables et irréalisables par l’enfant. Les abus psychiques et physiques auxquels l’enfant est soumis - humiliation, disqualification, coups, enfermement, privation de soins, exigences psychorigides, immobilité… -  n’ont jamais aidé personne à se construire. Ce sont des méthodes inhumaines qui ne permettent plus de socialisation possible.
Le centre AXIOME, centre de psychologie clinique appliquée de Toulon, reçoit régulièrement des adolescents qui présentent un refus de toute forme d’autorité pour avoir été soumis, dès leur plus jeune âge, à l’arbitraire du désir d’un ou de plusieurs adultes. Ces jeunes confondent autorité et autoritarisme.  En associant inconsciemment ces deux concepts, ils entrent en révolte contre tout ce qui fait loi. Ainsi leur révolte légitime contre la tyrannie familiale se détourne de son but et se transforme en révolte illégitime contre la loi sociale ; révolte au service de l’arbitraire et unique désir de celui qui la manifeste. Ces jeunes dits « tout puissants » ou encore « enfants rois » sont en fait des enfants victimes qui ont été et restent « tout impuissants ». Parfois, cette éducation tyrannique rend servile jusqu’à la folie (Cas de paranoïa du Président Schreber, in « mémoire d’un névropathe »). Elle peut également inhiber jusqu’à conduire au suicide, qui devient la révolte ultime retournée contre sa propre existence. Les conduites à risque, consommations de stupéfiants, scarifications, prises de risques vitaux… sont d’autres formes d’expression de ces tentatives de suicides.  Ici, la pathologie mentale et la révolte délinquante sont deux produits de l’éducation psychorigide répressive et arbitraire.

Mais de la même manière, l’éducation permissive soumet l’enfant à son propre désir qui est lui aussi arbitraire puisqu’il est le produit d’un principe de plaisir. L’enfant se confronte seul aux exigences sociales. Le milieu familial n’exerçant plus d’autorité, l’enfant n’est pas accompagné dans la nécessité d’intégrer certaines règles. Il échappe à l’autorité et de ce fait également au sentiment intérieur de sécurité qui se construit lorsque cette autorité est légitime et juste. L’éducation « permissive » paradoxalement ne permet pas de réfréner ni de maîtriser les pulsions et cela sera encore plus vrai si l’enfant est entouré d’adultes qui utilisent ce mode éducatif par économie. Françoise Dolto pensait que le « bain psychique » d’interdits et de codes sociaux dans lequel l’enfant était plongé dans les Kibboutz suffisait qualitativement et quantitativement à le structurer, à le discipliner, à lui faire intégrer les interdits fondamentaux.  Dans tous les cas, ce mode éducatif ne créerait pas de pathologies graves ni de perversions. Ce pourrait être possible si l’environnement de l’enfant assurait les deux conditions suivantes: la première est que ce type d’éducation  doit être une démarche parentale et non un moyen d’économiser l’énergie que le parent met dans l’éducation de ses enfants ; la seconde est que le milieu social soit très structuré et très présent voire que le milieu social remplace la sphère familiale (espace tribal par exemple). Si ces deux conditions ne sont pas réunies, l’enfant devient « abandonnique » et développe toutes les pathologies de l’enfant maltraité par négligences. En lui signifiant ainsi qu’il n’a pas de valeur, l’enfant a des risques certains de devenir un vaurien (vaut rien). Ce type d’éducation n’est tenable que dans un milieu de vie hautement structuré où la règle est énoncé et ou rien jamais n’est soumis à l’arbitraire.

Ainsi si depuis « Emile » de Jean-Jacques Rousseau l’éducation  ne se confond plus avec le « dressage » dans l’espace social, cela n’est pas toujours le cas dans l’espace privé et intime.
Il est à ce titre très important que la sphère professionnelle éducative soit au clair avec ses méthodes disciplinaires, son règlement, la place de chacun, autant qu’avec la signification de ce qui est mis en place : les règles et les méthodes d’enseignement des règles. Chaque institution doit pouvoir organiser les méthodes disciplinaires selon une autorité suprême que le chef d’établissement ou autre dirigeant sera en charge de faire appliquer. Il est important que cette autorité soit ferme et ne transgresse jamais. Le fait de transgresser la règle parce qu’on est dans une position de pouvoir est absolument anti-éducatif en cela que le message paradoxal qui est délivré est inacceptable pour l’enfant.  Au mieux, ce message peut avoir pour effet un fort sentiment d’injustice s’il concerne un enfant bien structuré, au pire il ne peut que conforter l’enfant dans le rejet de toute forme d’autorité s’il concerne un enfant déjà soumis dans son milieu familial quotidiennement au désir tout puissant de l’adulte. L’enfant ne désirera devenir adulte que pour prendre sa place de puissant et asservir à son tour le plus faible.

Pour autant, réduire l’éducation à la seule discipline ne permet plus d’y entrevoir le rôle émancipateur et implique de considérer l’enfant comme un être à dresser dans le but de le plier à une conformité absolue et normative. Cela génère forcément un effet pathologique et un assujettissement de la personne qui n’est dès lors plus sujet de sa propre histoire mais instrument de l’histoire d’un tiers adulte autoritaire ou d’une société malade. 
Cependant, la discipline ne doit pas rester extérieure au processus éducatif. Les méthodes disciplinaires sont des moyens, des outils pour permettre au petit d’Homme et ensuite à l’Homme tout au long de sa vie de maîtriser des processus internes de pulsions et de désirs.

L’autorité est l’outil par lequel une personne structure et contient ses règles de conduites et ses lois intérieures afin de pouvoir s’ouvrir aux nourritures intellectuelles et culturelles. Dans la seconde topique de la théorie Freudienne, c’est le Surmoi, partie composant l’appareil psychique humain, qui renferme la discipline et l’autorité qui la détermine. Mais sans autorité extérieure souveraine et commune à tous, le surmoi ne jouerait certainement plus son rôle. Qu’elle vienne d’un tiers éclairé et émancipé lorsqu’on est enfant ou de soi même lorsque la règle est bien intégrée, la discipline est toujours affaire d’autorité souveraine. La psychanalyse appelle cette autorité le « grand Autre ». Dans nos civilisations, l’autorité souveraine à longtemps été celle de la loi divine, elle est aujourd’hui affaire de Loi sociale, règlement intérieur institutionnel et Loi des Hommes écrite et exercée par un appareil judiciaire d’état.

Emmanuel Kant dans son traité de pédagogie nous enseigne que l’homme ne peut se structurer et se civiliser que s’il est d’abord soumis à des règles et codes de conduite. Ces règles doivent être imposées par l’adulte ayant autorité pendant le temps de l’enfance et l’enfant doit pouvoir s’y soumettre même s’il ne peut encore en saisir le sens. 
Sans ces règles, aucune culture, aucune éducation ne serait possible et l’homme demeurerait à l’état d’animal boiteux, amputé qui plus est de son instinct (l’enfant sauvage).

En 1010, le mot discipline originel désignait un petit fouet pour se flageller. Il permettait ainsi aux hommes d’église de se laver de leurs pêchers en les inscrivant dans leur chair pour ne plus les « oublier ». Aujourd’hui, nous savons qu’il n’est pas nécessaire de faire souffrir le corps mais qu’il est essentiel de le «contenir» (avec souplesse mais fermeté) pour structurer l’esprit.
 
Kant était déjà partisan de l’éducation non violente et émancipatrice de l’Homme et du citoyen. Il condamnait les processus selon lesquels l’éducation peut asservir sans émanciper.

La discipline ne va pouvoir exercer son rôle bâtisseur qu’à partir du moment ou elle n’est pas soumise à un système arbitraire. La règle, la loi viennent faire office de régulateur des pulsions et des désirs, et cela « au delà du principe de plaisir » (Freud). Sans discipline, point de valeurs, point de sécurité, point de libertés. 
Pour cela, il est impératif que la Loi soit au dessus des Hommes et qu’un système porteur d’autorité soit chargé de son application. Nous pouvons distinguer ainsi la discipline légitime de la discipline tyrannique.  Si nous soumettons l’enfant à une discipline fondée sur les seuls désirs du maître, cela promet un système qui ne saura ni humaniser ni civiliser: l’enfant est assujetti au maître mais n’est dès lors plus ni une personne ni un sujet de sa propre histoire. Il devient instrument, objet servile de l’histoire de l’autre. 
Les règles et méthodes disciplinaires fixées et expliquées par avance dans une démarche pédagogique, impliquent que l’enfant doive s’y soumettre et qu’elles doivent valoir pour tous. Cependant, elles impliquent aussi que l’adulte (le chef) puisse les appliquer pour tous également et n’en dépasse jamais les contours, même si cela lui déplait ou lui procure frustration ou souffrance.

La discipline intégrée dans le surmoi psychique représente ainsi la façon dont chaque personne a pris en elle les prohibitions universelles, les règles sociales spécifiques de notre environnement et les interdits singuliers particuliers. Il existe des méthodes disciplinaires néfastes et des méthodes constructives qui ouvrent l’esprit. Si la discipline imposée pendant l’enfance limite et organise nos comportements dans la vie adulte, elle doit pouvoir évoluer et changer -du moins en ce qui concerne les règles de vie singulières et non fondamentales- tout au long de la vie.
Nous pouvons mesurer la discipline constructive à cela qu’elle permet à un citoyen de réfréner ses pulsions, de vivre avec les autres en usant des codes et usages de son temps, de connaître le plaisir et l’épanouissement en même temps que d’être capable de révolte et de rébellion.

Il est important qu’une société sache se réjouir de produire des citoyens capables de révoltes organisées et légitimes. C’est un signe de bonne santé mentale et de vitalité. Il est pour cela nécessaire qu’elle ne confonde pas ce type de révolte avec la rébellion illégitime et arbitraire et surtout qu’elle ne tente jamais de faire croire à ses citoyens qu’il s’agit de la même chose, sans quoi son autorité risquerait d’en être affaiblie en même temps que sa discipline, sa sécurité et ses libertés. 



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La dette publique: une affaire rentable

23 Mars 2009 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #agora

La dette publique: une affaire rentable

Je réactualise cet article du 22 juin 2008. grossel

Etienne Chouard s'exprime à nouveau après le non irlandais (Marianne)

Par Étienne Chouard, le 18 juin 2008, qui pense que les représentants élus pour gouverner n'ont pas de légitimité à priver la puissance publique de la souveraineté, ni politique, ni monétaire, et que ceux qui le font sont des félons.
 
Le Non crié le 12 juin 2008 par les Irlandais contre le pouvoir illégitime européen - pouvoir qui s'impose aux citoyens d'Europe par la ruse et le mensonge (et bientôt la force ?) depuis cinquante ans - est une énième péripétie de l'idée démocratique, toujours voulue par les peuples et toujours refusée par les chefs. Ce troisième rejet populaire de l'union européenne des industriels et des banquiers m'inspire deux réflexions importantes et pourtant absentes du débat public, l'une juridique, l'autre économique : les peuples se voient confisquer leur souveraineté politique et leur souveraineté monétaire, et les deux sont étroitement interdépendantes.
 

 

• Sur le plan juridique

 

Les peuples méconnaissent une clef indispensable pour reprendre le contrôle de leurs représentants, une vieille clef cachée, une clef logique pour enfin instituer le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes au lieu de subir éternellement le droit des élus à disposer des peuples.
Cette clef de la démocratie, aussi méconnue que décisive, peut se résumer ainsi : ce n'est pas aux hommes au pouvoir d'écrire les règles du pouvoir. Ce n'est pas aux ministres, ce n'est pas aux parlementaires, ce n'est pas aux juges, d'écrire ou de réviser la Constitution, car ces hommes-là sont, en cette occurrence précise, à la fois juges et parties : ils ont un intérêt personnel dans les règles qu'ils instituent - puisque tout pouvoir concédé au peuple est un pouvoir qui leur serait retiré à eux - et ils trichent en établissant à la fois des contrôles simulés et des pouvoirs citoyens factices.
Toutes les constitutions du monde prouvent, de fait, que cette analyse est plausible.
Notamment et très prioritairement, malgré quelques promesses lénifiantes, nos élus ne nous donneront JAMAIS l'indispensable institution du référendum d'initiative populaire, le vrai.
La qualité des institutions se joue donc au moment de fixer et de contrôler la composition de l'Assemblée constituante, celle qui va écrire la Constitution et la proposer au référendum : cette chambre fondatrice qui va fixer des limites aux pouvoirs ne doit comporter aucun homme de pouvoir et elle doit pouvoir exclure en son sein tout individu suspect de partialité.
L'élection de candidats imposés par les partis (hommes de pouvoir) est ainsi la plus mauvaise idée pour désigner l'Assemblée constituante, ce serait même (comme cela a toujours été) un véritable piège anti-démocratique.
 

Il faudrait que les électeurs puissent désigner librement des citoyens non candidats (qui pourront refuser) ; ou bien les tirer au sort ; ou bien une combinaison de ces modalités (tirer au sort une centaine de constituants parmi des citoyens élus librement).

 

Ce qui compte par-dessus tout, c'est que ce ne soit pas les mêmes hommes : ceux qui écrivent les règles du pouvoir doivent définitivement renoncer à l'exercer, tout comme Dacron, étranger appelé précisément pour cette tâche il y a 2 500 ans, a conçu les premières institutions d'Athènes et s'en est allé après avoir institué un (début de) véritable régime démocratique (sans doute le seul au monde à ce jour).
Inutile de préciser qu'en Europe on en est loin, on subit même l'exact contraire, la situation ne peut pas être pire : nous laissons nos maîtres écrire eux-mêmes les limites de leurs pouvoirs et nos capacités à résister à leurs abus… Plus naïf, tu meurs. Pourtant, après 200 ans d'expérience, nous sommes bien placés pour constater que l'élection ne tient pas ses promesses de justice politique : le mirage du suffrage universel a la peau dure.

 

 

 

• Sur le plan économique

 

Les médias présentent souvent les progrès fulgurants de l'Espagne et de l'Irlande comme à mettre au crédit des institutions européennes, comme si des progrès économiques justifiaient une régression démocratique et en oubliant que l'Espagne et l'Irlande ont bénéficié depuis des années de dizaines de milliards d'euros gratuits - sans obligation de remboursement, sans dette ! -, au titre des subventions européennes.
Ces subventions doivent être vues, pour ces pays, comme une création monétaire (prêtez attention) libre d'endettement : une monnaie sans charge d'intérêt, donc, et qui n'aura même jamais à être remboursée ; cela change tout par rapport au carcan monétaire actuel.
La prospérité «miraculeuse», forte et rapide, de ces pays financièrement assistés prouve aux peuples d'Europe qu'«il y a des alternatives» et notamment que la revendication nouvelle - celle qui monte parmi les citoyens en 2008 - est la bonne : ce n'est pas aux banques privées de créer la monnaie et d'en percevoir l'intérêt.
Nous manquons de monnaie libre (libre d'endettement) et les pays qui s'en procurent - les peuples qui se réapproprient d'une façon ou d'une autre la possibilité de créer la monnaie en suffisance (sans excès) - viennent à bout du chômage et de la pauvreté, et très rapidement !
Cette idée cardinale que les peuples doivent conquérir leur souveraineté monétaire - à travers la création exclusivement publique de la monnaie - est à la fois complémentaire et indissociable de la mienne : les peuples doivent conquérir leur souveraineté politique - à travers l'honnêteté du processus constituant : on n'aura pas l'une sans l'autre ; ces deux combats - pour la Monnaie et pour la Constitution - sont interdépendants et se renforcent mutuellement.
Autrement dit, on ne reprendra jamais le contrôle de la monnaie (condition sine qua non pour venir à bout du chômage, de la pauvreté et de la dette publique) sans écrire nous-mêmes la Constitution, car les élus ne sont élus que grâce à ceux qui ont financé - et qui continueront à financer s'ils sont dociles sur l'essentiel - leur campagne électorale, médias subordonnés à l'appui. Ces élus dépendent trop de ceux qui rendent possible leur élection (et qui vivent luxueusement aux dépens du peuple) pour donner un vrai pouvoir au peuple.
 

 


A qui profite le système ?

Un interview d’André-Jacques Holbecq par Yves Michel.

« Il faut réduire la dette! ». On crie à la faillite! Tel un père qui demande instamment à ses enfants d’aller ranger leur chambre, notre gouvernement nous dit : « Assez de cette gabegie ! Il est temps de devenir sérieux, remettez vos prétentions sociales au tiroir, l’heure est au travail et aux économies ».

Ce qu’on ne nous dit pas, c’est qu’il y a une quarantaine d’années, l’État français n’était pas endetté, à l’instar de la plupart des autres nations, d’ailleurs. En moins de quarante ans nous avons accumulé une dette colossale qui avoisine les 1200 milliards d’euros ! Pourquoi ? S’est-il produit quelque chose qui a fait que l’on ait soudain besoin de recourir à l’emprunt, alors qu’auparavant on se suffisait à nous-mêmes? Et si tel est le cas, qui en bénéficie vraiment ? Qui émet la monnaie ?

André-Jacques Holbecq et Philippe Derudder nous disent les vraies raisons de la dette et dénoncent les mécanismes destructeurs scrupuleusement occultés. Vulgarisateurs de la « chose économique », leur but est de permettre aux citoyens de « savoir », afin qu’ils ne se laissent pas impressionner par les épouvantails que l’on agite sous leur nez. Afin de comprendre surtout que nous avons tout pour relever l’immense défi humain et écologique de notre temps et que la dette et l’argent ne sont que « vrais-faux »

 
Au peuple de s'affranchir

 

Sans rien attendre des élus sur ce plan, c'est donc au peuple de s'affranchir de ses propres élus, non pas pour s'en passer - (nous sommes bien trop nombreux pour vivre en démocratie directe, nous avons besoin de représentants, et tout pouvoir, même celui du peuple, doit être modéré par des contre-pouvoirs) -, mais pour les remettre sous un contrôle sourcilleux, avec des institutions honnêtes : séparation des pouvoirs, reddition des comptes, possibilité de sanctions des élus fautifs, révocabilité des élus à tout moment, initiative populaire autonome et puissante, rotation des charges (non cumul et non renouvellement des mandats), respect et publicité des opinions dissidentes, mise en scène des conflits, révisions constitutionnelles conçues par la seule Assemblée constituante et confirmées obligatoirement par référendum, etc.
Or, qu'est-ce qu'on fait pour résister en ce moment ? Rien, rien et rien. On attend passivement qu'un parti ou un syndicat nous convoque pour une grande manifestation tous les six mois, sur un mot d'ordre secondaire (par rapport à la monnaie et au contrôle des pouvoirs) et puis, plus rien pendant six mois…

Je propose que tous les simples citoyens mécontents d'être si mal représentés, quelle que soit leur tendance politique, sans attendre d'être convoqués par un quelconque appareil partisan, organisent eux-mêmes librement chaque semaine (le mercredi à 18 h par exemple) des micro résistances durables et innombrables sous la forme de petites manifestations devant toutes les mairies d'Europe : le mot d'ordre serait la vieille clef cachée de la démocratie vraie : «nous voulons des pouvoirs légitimes, c'est-à-dire fondés 1) par une Assemblée constituante honnête (désintéressée) et 2) par un référendum».
J'appelle ces micro résistances des MOCRIEs, Manifestations Obstinées Contre le Régime Illégitime Européen, et chacun peut créer un forum pour sa MOCRIE sur le site www.cecri.info.
Rien ne se fera de bon pour les peuples sans la mobilisation permanente des citoyens eux-mêmes : chaque citoyen athénien défendait personnellement la démocratie grecque, quotidiennement, les armes à la main s'il le fallait, contre les oligarques. De ce point de vue, l'Internet est une chance inouïe pour l'humanité. J'invite donc chaque citoyen mécontent de son impuissance politique à agir en créant sa petite mocrie en bas de chez lui.

Saurons-nous réagir avant de nous laisser détruire ? Je l'espère.

 

 
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Le manifeste sous-réaliste

14 Septembre 2008 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #R.P.

Le manifeste sous-réaliste
L 205

LE MANIFESTE SOUS-RÉALISTE

 



Ce Manifeste n’est pas encore rédigé. Il se présente sous la forme d’un chaos de faits et gestes confondus. Les éléments de ce Manifeste s’agglomèrent et viennent d’un peu partout dans le monde. Dans ses journaux et leurs commanditaires. Sur ses écrans et les radios. Et, un comble, il s’exprime le plus souvent au nom d’un nouveau réalisme.

1929: préface à la réimpression du Manifeste surréaliste, par André Breton, cette remarque autant politique que poétique, nous le savons bien aujourd’hui: “Ne cesse d’être d’actualité la fameuse question posée par Arthur Cravan “d’un ton très fatigué et très vieux” à André Gide: “Monsieur Gide, où en sommes-nous avec le temps? - Six heures moins un quart” répondait ce dernier sans y entendre malice. Ah! il faut bien le dire, nous sommes mal, nous sommes très mal avec le temps.”

Puis le temps passa, mais pas pour tout le monde tant existent toujours ces intelligences raides qui ne pensent et ne s’épanouissent qu’à 6 heures moins un quart.

Il en va de tous les styles. Folâtre façon Pourquery, comme dans Libération du 2 septembre et son commentaire sur ce qui se dit donc se fait, “making-of”, en coulisse, côté cour de récrée et côté jardin des délices: ce jour-là “ça vole haut” paraît-il. La question centrale soulevée, vigoureusement débattue “avec le sourire quand même. Nous ne nous prenons pas au sérieux”, était la “réfutation du droit au travail”. D’ailleurs, qui pourrait prendre les idées de ce monsieur au sérieux? Surtout lorsqu’il apporte dix tons en-dessous de toutes les réalités et surréalités du moment, cette réponse glaçante: “Bon d’accord, mais qu’est-ce qu’on met dans le journal”. Car il allait de soi pour ce “paysan du Danube” gascon, comme il se nomme lui-même, qu’un journal ne va pas lancer, sous quelque forme que ce soit, une discussion sur “le droit à la paresse” une bouffonnerie que Paul Lafargue assuma mais qui n’est pas de notre temps.
De même qu’il ne saurait reprendre sérieusement la controverse à propos d’une manchette d’une naïve désinvolture - “Un coup à gauche” à propos du RSA - problème soulevé par Pierre Marcelle, un mauvais sujet qu’on cherche âprement à marginaliser - car comme chacun le sait, le RSA s’inspire d’une analyse de gauche de la société. Pour ne pas dire qu’il s’agit d’une entame révolutionnaire à la domination du Capital... SarkUbu plonge sa pince à Phynance dans le portefeuille des capitalistes: vous, moi, l’épargnant, le gogo qui a acheté des actions, le possesseur d’une assurance vie, les crédules du PEA.
Ah! c’est que vous pensiez à Pineau Valencienne (tiens, que devient-il ce loubard de la haute finance dont la fille elle-même fut condamnée pour quelques grivèleries financières? Bel aréopage où l’on distinguait, entre autres, un nommé Jean Chodron de Courcel, cousin de Bernadette Chirac), à Rotschild, à Lagardère, Dassault... non vous n’y pensiez pas, c’était pour rire! La réalité est ici, sous nos pas, les analystes économiques et politiques, eux, préfèrent manipuler leurs vaticinations de ronds de cuir mécaniques. C’est le Kapital qu’on attaque bougre!

Poisseux, façon Duhamel, Alain. Dans Libération, le 4 septembre - anniversaire de la proclamation d’une III° République asthmatique, ce sont les gens de son gabarit qui nous y font penser. Il observe la crise du socialisme européen, l’Alain, et il apporte sa pierre au Manifeste Sous-Réaliste: “Il y a encore quelques années, au sein de l’Europe des quinze, les gouvernements de gauche socialistes étaient en majorité. Lionel Jospin réformait vigoureusement la France (sic!), Tony Blair enthousiasmait la Grande-Bretagne, Gerhard Schröder modernisait courageusement l’Allemagne, Romano Prodi pilotait habilement l’Italie.”, ce qui fait dire au béotien que je suis: et tout ça pour rien alors, Alain du Modem!
Surtout qu’il n’en reste pas là, il apporte de l’eau au moulin sous-réaliste avec une dévotion touchante: “A aucun moment, les socialistes européens ne se sont montrés capables d’élaborer collectivement - et pourtant, ils sont des internationalistes de toujours - une réplique réellement marquante, audible, identifiable, compréhensible aux dysfonctionnements du capitalisme. C’était l’occasion rêvée, c’était leur vocation naturelle, c’était, quand même, leur sphère de compétence. Tout les poussait à incarner et à exprimer une alternative, une autre réponse aux échecs et aux cruautés des dérèglements à répétition. Leurs experts ont travaillé, leurs leaders ont sûrement réfléchi.” on devine qu’il fait semblant. Il fait semblant d’y croire, il ironise en sourdine, l’Alain; il fait sa coquette avec les idées qu’il diffuse sur le “socialisme” de son cru. Il n’a même pas peur de se contredire sur le fond: même pas mal! Jospin “réforme vigoureusement” la France avec “un programme qui n’est pas socialiste”, tout le monde s’en souvient et ils n’ont pas su faire fonctionner ce qui dysfonctionnait. Car, sous-entend Duhamel, professeur à Science po Paris, le capitalisme fonctionne, ce sont les dysfonctionnements qui le perturbent.
Et, au bouquet, cette fusée éclairante:” Résultat final : un impressionnant silence, comme si la crise du capitalisme financier portait en elle une (crise) intellectuelle du socialisme européen.” voilà qui est intéressant. Qui réclamerait qu’on s’y attarde. Que pourrait-on nommer “crise intellectuelle du socialisme”? La crise du capitalisme on comprend, on a vu, on connaît, mais l’intellectuelle du socialisme on est dans le vertige, l’aléatoire. Bon prince, Alain nous affranchit:  “Le New Deal, le plan Marshall, les accords de Bretton-Woods ne sont pas forcément des cadavres exquis, ils peuvent constituer des modèles lointains, des sources d’inspiration. Et ne serait-ce pas aux socialistes réformistes qui ont toujours maudit le communisme et ne se sont jamais résignés à la seule gestion sociale du capitalisme de sortir soudain de leur long sommeil idéologique ?”; le sommeil idéologique peuplé des cauchemars du communisme après de trop lourds gueuletonnes et d’asphyxiants havanes, voilà l’état de santé d’un grand corps malade. Ils se sont endormis sur le bout de gras jauressien par mégarde, ils se réveillent avec la gueule de bois, ils sont considérables, ils ont leur place au firmament politique et ils ne savent plus quoi dire. Aux pauvres, leur gagne-pain. Aux profs, leur fonds de commerce. Quels encouragements fourguer aux chômeurs? A quelle noblesse se vouer pour la défense des immigrés? A quel facteur se raccrocher qui ne soit pas de la Ligue? Quel socialisme vanter à la tête du FMI, au poste de premier Ministre? New-deal, Plan Marshall, Bretton-Woods il y a du grain à moudre sous les cadavres historiques les encourage Alain Duhamel, professeur à Science po Paris. Guy Moquet encore une fois assassiné, Guy Mollet ressuscité. Voilà du sous-réalisme militant.


Et j’en passe, j’y suis obligé... d’ailleurs vous trouverez... vous avez trouvé depuis longtemps...
Rédiger ce manifeste? Qui s’y colle? Peut-être le secrétaire général de la CGT. Bernard Thibault pourrait au moins tenir la plume avec bonheur.
Sur le mode de la compassion: “Nicolas Sarkozy devrait se méfier, la souffrance des salariés est réelle”; ça c’est de la complainte, de la vraie complainte, nuancée dans ses effets, trouble dans ses destinations, chacun y lira ce qui l’intéresse: notre SarKubu y verra un avertissement fraternel, presque paternel - fais gaffe Nico, ça sent le souffre-douleur -; travailleuses ou travailleurs syndiqués ayant lu trop rapidement y verront la poigne du chef - gaffe à toi Sarko, on n’a plus rien à perdre - c’est de la vraie réalité mais de la fausse manœuvre. Lisez ce qui s’ensuit: “La souffrance des salariés est réelle. Plus importante qu’il y a un an. S’y ajoutent les déçus de Nicolas Sarkozy, ceux qui ont cru en son élection (ben, ils n’ont pas eu tort, il est élu, non?) Dans cette situation, l’urgence est à l’action et à l’unité” ( Le Monde, 2 septembre 2008) pour ne pas se laisser déborder, dans “cette situation”, peut-être... je suppute, je suppute. Mais l’action - je suppute encore - quel est son contenu? Exactement: contre? Contre quoi? Ou bien pour ? Pour quoi faire, l’action? Surtout qu’il est urgent d’agir, alors plus urgent de dire pourquoi...  Avec qui l’unité? La CFDT? Avec FO? Solidaire? Ou les seuls syndicats dits “représentatifs”, dits “réformistes”? Il ne dit rien à ce sujet mais se replie sur une condamnation urbi et orbi de l’UIMM et de ses pratiques après avoir donné son avis sur le RSA, pas si bon qu’il y paraît, les chèques transports à la condition que le patron ne bénéficie pas d’allégements... Tout raisonnement concernant les capitalistes est désormais centré sur la petite et moyenns entreprise, poumon de la France industrieuse.

Et puis on attendait Le Boucher et on lut Delhommais. Je vous laisse déguster:
“Le déclin de l'empire américain attendra, par Pierre-Antoine Delhommais (LE MONDE 06.09.08)

“{...} Pour les libéraux, le décalage de croissance de part et d'autre de l'Atlantique démontre de façon définitive la supériorité du modèle libéral américain, le pays où le marché du travail est aussi souple que les prélèvements obligatoires sont bas et que le nombre de jours de vacances est faible. Que l'Europe se dote des mêmes fondations économiques - autrement dit fasse ses fameuses réformes structurelles - si elle veut résister comme les Etats-Unis aux chocs et afficher la même résilience.” juste un petit commentaire sur l’emploi du mot “fondations”: ce sur quoi désormais l’édifice capitaliste devrait s’appuyer et se reconstruire, exploitation accrue et ouverte, ouverte surtout, légale, de la main d’œuvre. Si je comprends bien, sapez ces fondations, minez la base et l’ensemble sera parterre. Nos secrétaire nationaux le savent, ils ne sont pas bêtes non plus. C’est donc en aménageant, en contournant les revendications qui pourraient s’en prendre à la “flexicurité”, aux heures supplémentaires (souvent non payées d’ailleurs), à l’allongement du temps de travail et tout ce qui relève de leur compétence syndicale, que nos direction syndicales protègent et confortent les fondations du système tout entier.
Lui, Delhommais, conclut ainsi: “Dans le rebond actuel du dollar face à l'euro, difficile de ne pas y voir ce message : l'Amérique ne va pas si mal qu'on le prétendait, l'Europe se porte nettement moins bien qu'elle avait essayé de s'en convaincre.” en effet l’Amérique va tout aussi bien que la France. Fannie et Freddie viennent d’être adoptées par l’administration  américaine sous le regard bienveillant du grand frère Obama et de tonton Cain. L’administration et le Sénat “nationalisent” les pertes abyssales des sociétés privées de crédit, qu’ils feront supporter au cochon de payant à la manière du gouvernement de la France, notamment quand il colmate les effondrements du Crédit lyonnais. Où est l’originalité, sinon dans l’énormité des sommes en jeu et, par conséquent, dans l’ampleur des sacrifices qui seront demandés aux populations.

Morceau de choix dans l’élaboration d’un Manifeste du Sous-réalisme.


 
Robert P.

PS: il se trouve que Edvige provoque le tollé que l’on sait, on se murmure à soi-même, c’est pas trop tôt... mais quelque chose ne passe pas, quelque chose d’essentiel qui semble avoir été oublié dans ce noble combat... quoi au juste: Edvige sera discutée pour devenir une loi à moins qu’elle ne perde définitivement la vie avant, peu probable. Mais blessée, seulement, la voilà confiée aux urgentistes de l’Assemblée nationale qui sauront bien la remettre sur pied.
Autre chose encore... voilà ce qui gratte vraiment l’occiput méfiant: SarkUbu et ses successeurs resteront bien dépositaires de ce pouvoir énorme que confère le titre de grand chef du renseignement. Donc de cela il ne sera pas question puisque nous serons trop occupés de férailler au nom des grands principes. Or l’un ne devrait pas aller sans l’autre... c’est ça qui ne passe pas! Personne ne s’est encore prononcé sur cet aspect de la sarkUbuserie.

 

 

Manifestte du Sous-Comité décentralisé des gardes-barrières en alternance

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