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bric à bracs d'ailleurs et d'ici

Être citoyen aujourd'hui/Bruno Ravaz

Être citoyen aujourd'hui

Il m'a semblé intéressant de mettre en ligne une agora consacrée à la citoyenneté, datant de mars 2001, et traitée par Bruno Ravaz, alors doyen de la faculté de droit, depuis président de l'université du Sud. (JCG)


Depuis l’Antiquité la notion de citoyenneté a connu bien des évolutions. Dans la cité grecque, le citoyen est celui qui est né d’une famille de la cité, qui l’habite, participe à son économie et, si nécessaire, la défend. Bien au-delà du seul critère de résidence il fait partie des fondateurs, des patriciens toujours impliqués dans la création, l’organisation et l’avenir de sa cité. Le simple résident dans ces conditions fut-il amoureux ou défenseur de la cité n’est qu’un métèque, c’est-à-dire un étranger, ou un simple mercenaire. Aristote lui-même, grand admirateur d’Athènes, ne sera jamais considéré comme un athénien mais simplement toléré comme métèque à condition encore de payer un impôt spécial. Néanmoins l’expérience de la cité antique a fixé durablement dans les esprits l’idée centrale de l’égalité entre les citoyens et par conséquent l’idée d’une démocratie fondée sur l’égalité entre les citoyens. Cette idée si longtemps refusée au peuple toujours plus soumis, qu’il faudra la Révolution française pour la réaffirmer au monde avec tant de vigueur, tant de souffle, que l’égalité des citoyens sera désormais un droit universel et sacré. Depuis1789 en effet le citoyen représente l’individu titulaire de droits et de devoirs à l’intérieur d’une cité élargie : la nation (I) Mais cette représentation classique est aujourd’hui totalement remise en cause (II) et conduit à s’interroger sur les conditions d’une restauration de la citoyenneté (III).

I- Le statut du citoyen : des droits et des devoirs.

Les droits du citoyen, parce qu’ils sont souvent invoqués, sont beaucoup plus connus que les devoirs. Il convient de les rappeler brièvement :

A-Les droits de l’homme et du citoyen.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, issue de la philosophie des Lumières mais aussi des expériences Anglo-saxonnes des déclarations et des chartes des droits exprime une conception individualiste de l’homme, elle même dégagée du christianisme par les théologiens du Moyen-âge. Elle exprime l’idée que l’homme est titulaire de droits inhérents à sa personne et que ces droits sont antérieurs à toute forme de normalisation sociale, qu’ils préexistent à l’idée même d’Etat. Ce sont des droits qualifiés par les révolutionnaires de naturels et qui sont dès lors imprescriptibles, nul ne pouvant y renoncer, aucun système légal surtout ne pouvant en priver les citoyens. Ainsi le but de toute association politique, qu’il s’agisse d’une cité, d’une principauté, d’un Etat, d’une fédération ou de toute autre forme imaginable, est de conserver ces droits naturels et notamment la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. On connaît les critiques, notamment de Karl Marx, pour dénoncer cette conception ultralibérale des droits de l’homme consistant en la promotion de libertés purement formelles où le plus fort triomphe toujours : la liberté du renard libre dans le poulailler libre disait Marx. Mais cette conception des droits de l’homme a prospéré dans l’histoire parce qu’elle correspond le mieux aux aspirations véritables de l’individu : s’épanouir personnellement en minimisant les contraintes de toutes sorte et notamment celles commandées par l’autorité quel que soit le caractère démocratique de cette dernière. Mais cette conception de la liberté a une conséquence : elle oblige l’individu à être responsable. L’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne fixe de limite à la liberté individuelle que la liberté d’autrui ce qui peut passer pour la première manifestation de la citoyenneté : respecter l’autre, respecter son espace de liberté, fixer ensemble les contours de l’espace public. Il faudra attendre de nombreuses années de luttes et de souffrances pour que les constituants admettent que la liberté n’est pas seulement une autonomie mais qu’elle est aussi le moyen pour l’individu d’exprimer et de revendiquer sa place dans la société : l’homme en tant qu’animal politique en tant qu’être social dispose de droits à l’égard de la société toute entière, des droits-créances lui permettant d’exiger son dû.

Ainsi le droit au travail, le droit de grève, le droit à la sécurité sociale, à la retraite, à l’éducation etc. Ces droits dits de participation sont énoncés notamment dans le préambule de la constitution de 1946 mais ils ont été conquis, souvent de haute lutte , sous la IIIè République. L’ensemble des droits libéraux et des droits sociaux existent désormais dans notre droit positif et sont garantis par la plus haute norme juridique en vigueur : la constitution. Mais l’avènement d’une société de consommation, privilégiant l’hédonisme, fondée sur la compétition et le succès a transformé ces droits fondamentaux de l’homme et du citoyen en un ensemble de simples moyens permettant de parvenir à un but ultime et exclusif : le droit au bonheur.
Mais une telle évolution ne doit pas faire oublier que s’il est titulaire de droits le citoyen est aussi obligé envers la société à un certain nombre de devoirs :

B- Les devoirs du citoyen.

Parmi tous les devoirs qui s’imposent au citoyen, il en est quelques uns qui peuvent être considérés comme fondamentaux :

1) Le devoir de désigner ses dirigeants

Conçue le plus souvent comme un droit, on parle de droit de vote, de suffrage universel, la faculté offerte au citoyen de choisir celui ou ceux qui vont gouverner est aussi un véritable devoir. En effet la possibilité du choix démocratique est le résultat d’un processus historique par lequel nos ancêtres ont payé souvent de leur vie pour ne plus être soumis à la tyrannie et à l’arbitraire. Sans sombrer dans l’admiration béate du passé, il est tout à fait essentiel de bien dégager quels sont les acquis positifs de notre histoire et commémorer toutes ces luttes qui ont permis à la démocratie, à la citoyenneté et donc à l’humanité de progresser. En France le non-vote n’est pas sanctionné. Pour cette raison, et pour d’autres motifs plus politiques les français sont habitués à ne plus voter et deviennent indifférents à la désignation des gouvernants et indifférents à la politique, vivant en dehors de toute préoccupation citoyenne. Peu leur importe dès lors que les meilleurs l’emportent ou, pire, qu’ils ne l’emportent pas, peu leur importe de peser sur les choix, ou même de comprendre les processus de décision, tout ce qu’ils réclament en fin de compte c’est que la norme décidée soit la moins contraignante pour eux. Cette situation crée un délitement de la société très regrettable et qui est de surcroît récupéré par les technocrates qui “ font ” les élections et qui assènent leurs solutions prétendument rationnelles, qui trop souvent relèvent de cette fameuse pensée unique et s’avèrent catastrophiques dans leurs conséquences. Le phénomène d’abstention aux élections n’est pas uniquement français, loin s’en faut : aux USA le Président lui-même, l’homme le plus puissant de la planète, le plus important dans la superpuissance gendarme du monde, n’est élu que par le quart environ de ses compatriotes en droit de voter. Plus de la moitié des électeurs Américains ne se déplacent pas pour choisir un candidat et se contentent par ailleurs d’autant plus facilement du résultat qu’il sera sans véritable incidence sur leur vie quotidienne. Lorsque l’on observe les résultats des élections municipales à TOULON, il y à six ans, on comprend toutefois mieux combien voter reste un devoir et comment le citoyen qui s’abstient peut perdre sa dignité.

2) Le devoir de respecter la loi.

Il faut aimer les lois disait Socrate avant de sacrifier sa vie pour les lois pourtant iniques d’une cité encore immature. Son enseignement reste fondamental : sans l’amour des normes il n’y a pas d’adhésion véritable à la vie sociale et chacun se replie sur lui-même, la société n’étant plus qu’un agrégat d’individualités vivant en proximité par pur hasard, sans projet, sans volonté commune, sans idéal partagé. Une telle société ne peut pas survivre : le désamour des lois conduit à la révolte : l’homme ne peut accepter de vivre soumis, assujetti. Pourtant de nombreux peuples vivent dans la soumission et sous le joug de dictatures encore vivaces. On sait depuis Aristote que la résistance à la loi injuste est aussi un devoir qu’il faut accomplir non seulement pour soi mais aussi pour les générations futures : le devoir est de substituer des lois justes à des lois injustes. Au XVIè siècle LA BOETIE s’étonnait de l’étrange passivité de ses compatriotes victimes d’une monarchie autoritaire et arbitraire et incapables d’exprimer la moindre révolte, plus soucieux de profiter du système malgré son injustice plutôt que de risquer leur vie pour changer les lois. L’amour de la loi et le respect de la loi vont de paire : le rôle du citoyen réside dans le devoir de choisir les meilleurs législateurs qui produiront les normes les plus acceptables que le citoyen aimera transmettre à ses enfants. Il éduquera en conséquence ces derniers dans l’amour et le respect des lois et dans le souci constant de devoir les améliorer et les parfaire. La loi étant définie comme l’expression de la volonté générale, dans un régime démocratique, ceux qui se sont opposés à la loi doivent néanmoins la reconnaître comme telle et aimer sinon ses dispositions au fond mais au moins le processus qui a conduit à son élaboration.

3) Défendre la cité.

Il s’agit du devoir originel . Il est lié à l’instinct de conservation : sauf à vouloir disparaître les hommes sont programmés pour défendre leur vie, celle de leur conjoint, celle de leurs enfants et par extension celle de leurs proches concitoyens. Les sociétés modernes ont simplement étendu les limites spatiales des espaces vitaux de la société. L’esprit de défense s’est alors exacerbé avec l’exaltation du nationalisme qui n’est rien d’autre qu’un moyen pour le peuple de sublimer ses peurs. Il y a par conséquent une tendance conservatrice inhérente à l’homme en société qui a besoin de défendre, de protéger ses acquis avant même que de les remettre en cause.

4) Faire évoluer la cité.

Le conservatisme premier peut être dépassé dès que l’homme déchargé de ses préoccupations immédiates engage une réflexion sur son avenir. L’homme est un animal politique disait Aristote : cela signifie qu’il réfléchit en permanence sur son devenir dans la cité, développe une ambition, améliore la qualité de son existence, son confort, sa sécurité.
Cette constante recherche du bonheur terrestre conduit l’humanité dans la voie du progrès. Il est un des devoirs fondamentaux du citoyen que de tout faire, non pour profiter égoïstement de ce qu’il possède, mais d’améliorer son bien pour le transmettre à ses enfants, améliorer le bien-être de la cité et de l’ensemble de ses concitoyens.

Toutes ces idées relatives aux devoirs du citoyen sont aujourd’hui remises en cause par la dépolitisation ambiante, le mépris de la loi, la mondialisation, l’hédonisme :


II- L’évolution moderne : la remise en cause de la citoyenneté.

1) Le dépérissement du politique.

Dans un ouvrage intitulé comme le présent titre, M.Revault d’Allonnes a expliqué les raisons et les conséquences du manque d’intérêt manifesté désormais par le citoyen pour la politique. L’espace privé a supplanté l’espace public et ce dernier s’est tellement rétréci qu’il n’est plus regardé qu’avec commisération comme objet historique et sans avenir. L’intérêt général n’est plus le point central et l’objectif à atteindre. Seul compte désormais l’individu et ses droits, sa protection maximum, les créances qu’il peut tirer à l’encontre de la société. Dès lors toutes les valeurs de l’action collective disparaissent au profit de la défense acharnée des intérêts individuels, catégoriels, sectoriels. Dans le meilleur des cas l’homme se réfugie dans une micro-société de type communautariste dans laquelle il trouve des repères plus faciles à appréhender et qui constituent cette proximité dont il a de plus en plus besoin. Le citoyen apparaît pour les jeunes comme une espèce de dinosaure encore et toujours victime de ses présupposés idéologiques que l’histoire a pourtant fait disparaître des catalogues du bonheur prêt à l’emploi. Pourtant cette désaffection pour le politique n’apporte ni succédané ni aucune véritable solution aux problèmes qui continuent à se poser à la société. Elle ressemble davantage à une sorte de résignation face à des difficultés récurrentes insusceptibles d’être résolues par un quelconque volontarisme politique. C’est l’impression tragique que l’homme est impuissant face à son destin, face à l’ordre des choses, c’est-à-dire l’apparition d’une nouvelle forme de déterminisme contre lequel il est vain de lutter. Dans ces conditions les hommes politiques n’apparaissent plus que comme des ambitieux plus ou moins talentueux qui profitent du système par carriérisme, qui cherchent à cumuler autant que faire se peut émoluments et avantages divers sans autre égard pour le citoyen administré que celui d’une démagogie de bon ton destinée à le faire réélire. Quand bien même l’homme politique aurait une vision, un projet de société qu’il serait l’objet de toutes les suspicions voire des railleries des médias plutôt intéressés par l’événementiel que par les idées. Le mépris des médias pour les politiques se manifeste quotidiennement à travers des émissions satiriques qui n’ont plus comme à l’époque des polémistes tels que Rochefort, l’ambition de moquer des idées mais celle de ridiculiser des hommes et d’accréditer dans l’opinion la thèse selon laquelle ce sont des bouffons interchangeables qui nous gouvernent.

Quant aux partis politiques dont la fonction était naguère d’informer, d’éduquer, de susciter des forums de discussion, de sélectionner du personnel politique, de transmettre des revendications élaborées au sein de leur formation avec la participation de tous les militants, ils ne sont plus désormais que des vitrines dérisoires, sans militants, avec une seule obsession : celle de séduire un électorat versatile en collant le plus près possible aux sondages d’opinion . Or ces sondages traduisent le plus souvent des réactions d’ordre émotionnel et sont faits à chaud, dans l’instantané, sans laissé au sondé le moindre temps de réflexion. Mais la faillite actuelle des partis politiques est dommageable : l’individu est privé de repères, le citoyen n’a plus de lisibilité, de grille de lecture. Ainsi il se recroqueville sur une pseudo proximité d’apparence qui est des plus trompeuse et qui favorise le démagogue au détriment du projet politique.

2)Le mépris de la loi.

L.ENGEL dans un ouvrage récent intitulé : le mépris du droit, montre que les difficultés actuelles de notre société résident essentiellement dans le désamour généralisé des citoyens pour le Droit : qu’il s’agisse de la loi pénale, de la loi fiscale, de la loi du travail, de la loi électorale, chacun s’ingénie à échapper à son application, à sa rigueur. Même les juges dont le rôle est d’appliquer la loi, sont vilipendés pour le soin avec lequel ils essaient d’assumer leurs fonctions avec le peu de moyens qu’on leur attribue. L’incroyable campagne de déstabilisation menée depuis quelques années contre les juges en France montre combien les décideurs économiques et politiques sont contrariés par une Justice qui cherche à faire son travail. Il ne se trouve finalement jamais personne pour soutenir les décisions prises par les magistrats. Même leur obstination pour éclaircir des affaires très suspectes sont dénoncées comme des actes politiques, donc condamnables, destinés uniquement à se payer la tête d’un homme en vue afin de ternir sa réputation et surtout afin d’instaurer un pouvoir des juges qui serait synonyme d’arbitraire, d’injustice et d’irresponsabilité. Qu’un politicien soit définitivement condamné par la Justice, il devient aussitôt une victime et renforce paradoxalement ses chances pour les prochaines élections. Qu’un Ministre soit mis en examen, il devient une sorte de héros triomphateur d’être traité à l’égal de tout citoyen ordinaire et sortira renforcé, condamnation ou pas, d’une traversée du désert annonciatrice d’un grand mouvement d’opinion en sa faveur. En réalité un tel phénomène se produit parce que le mépris de la loi est le mépris pour toute forme d’autorité. Or de nos jours seul le juge représente l’autorité dans l’Etat. Mais une autorité mal comprise parce que fondée sur un droit toujours discuté et toujours discutable. De plus un droit relatif, incertain puisque pour des faits identiques certains sont condamnés, d’autres s’en sortent grâce à des règles de procédure que nul autre qu’une élite de juristes ne comprend. Dès lors cette autorité mal comprise n’est pas acceptée. Tout ce qui peut désormais contrarier cette autorité, toutes les formes de résistance sont de fait légitimées, représentent le combat de la liberté, David contre Goliath, le faible contre le fort. Le délit commis par le mis en examen apparaît moins grave que cette lourdeur de l’autoritarisme judiciaire. L’opprobre de la mise en examen ou de la condamnation à peine plus bruyamment relayée par les médias, apparaît à celui qui n’aime pas la loi, bien plus scandaleux au fond qu’un détournement d’argent public événement presque anodin dans la société de l’argent-roi.

Mais le mépris du droit se manifeste aussi par une recrudescence incontrôlable d’actes d’incivisme commis par des délinquants de plus en plus jeunes. La faillite de l’autorité dans tous ses domaines conduit à un laxisme destructeur. Que ce soit dans la famille, dans l’école, à l’université sur la route ou dans la rue, la règle de droit n’est plus admise : elle est stigmatisée comme ringarde, comme un obstacle suranné à l’épanouissement individuel, une atteinte intolérable à la liberté d’expression. Le désamour pour les lois conduit à l’amour des comportements marginaux ou déviants dont on ne cesse de louer l’originalité, le caractère non conformiste et la spontanéité.

La citoyenneté dans ce contexte n’est plus une valeur à la mode. Elle n’est plus, au contraire, qu’une soumission à l’intégration normalisatrice dans une société qui ne valorise que la différence et la jouissance immédiate, l’éphémère plutôt que le définitif, le court terme à la place du long terme.

3) La mondialisation.

Elle n’est pas en soi condamnable car elle peut aider à l’émancipation des peuples et à la réductions des inégalités dans le monde. Mais il faudrait qu’elle soit accompagnée d’une véritable citoyenneté mondiale et de véritables institutions politiques internationales démocratiques et souveraines. Mais à l’heure actuelle ses imperfections en font condamner le principe alors que ce sont plutôt les résistances des Etats qui constituent des entraves à la libération des peuples et à la libre circulation des personnes. L’individu qui déjà a eu du mal à se situer dans une dimension nationale perd encore des repères : l’abolition des frontières, la réduction des espaces voire leur disparition, le mélange des ethnies, des nationalités, la confusion généralisée qui règne à tous les niveaux de décision, tout cela conduit le citoyen à se désintéresser de la vie d’une cité dont il ne peut plus appréhender physiquement les dimensions. Rien n’est fait, il faut en convenir, pour lui simplifier la tâche. La multiplication des structures décisionnelles lui interdit toute lecture directe de la situation et finalement toute participation effective. Ainsi, au même endroit, le citoyen dépend de la Mairie mais aussi de plusieurs syndicats de communes, d’une communauté de communes ou d’agglomérations, du Conseil général, du Conseil régional, de l’Etat, de l’Europe peut être dont il ne sait même plus combien d’Etats elle réunit et encore moins comment elle est dirigée et par qui ? Cette multiplication extraordinaire des structures de décision a non seulement dilué la décision elle même devenue introuvable dans un enchevêtrement de compétences mais elle a fait perdre au citoyen toute appréhension de l’espace politique dans lequel il vit. D’où un extraordinaire besoin de proximité et de compréhension.

La désagrégation de l’espace politique, la détestation de l’autorité sous toutes ses formes entraînent par ailleurs une désaffection de l’esprit de défense. Se préparer à défendre quoi ? Un pays qui n’existe plus matériellement et presque plus affectivement ? Il semble si l’on en croit les spécialistes des relations internationales que les prochains conflits seront des chocs de civilisations et non plus des conflits entre Etats . On constate que plus le citoyen se perd dans la sphère de la mondialisation et plus il éprouve le besoin de retrouver son identité, sa culture, c’est-à-dire son autonomie et son pouvoir d’autodétermination.

Enfin la mondialisation représente aussi le formidable défi des flux migratoires et des réfugiés. Dans un ouvrage intitulé “ L’immigration : une chance pour la France ”, B.Stasi avait, il y a quelques années, décrit les nouveaux défis de la citoyenneté française : il s’agit essentiellement d’un problème culturel. Comment faire accepter la notion et les valeurs de la citoyenneté française à des immigrés ou des descendants d’immigrés à qui en fin de compte nous n’accordons pas les droits liés à cette qualité de citoyen ?

4) L’hédonisme.

Dans un ouvrage intitulé “ L’ère du vide ” G.LIPOVETSKY constate désabusé combien “ à la révolte des années d’expansion succèdent aujourd’hui l’indifférence et le narcissisme ; à la logique de l’uniformisation succèdent la déstandardisation et la séduction ; à la solennité idéologique succède la généralisation de la forme humoristique. ”. La société post-moderne est une société dans laquelle prédominent consommation et hédonisme. Ces deux tendances sont aux antipodes de la notion de citoyenneté. Une fois encore le citoyen n’est plus au cœur de la vie sociale. Dans le meilleur des cas il s’affirme par brèves séquences lorsque la gravité de certains évènements paraît l’exiger : élections dramatisées par les médias, licenciements collectifs soulevant une légitime émotion, projet de loi restrictif à l’égard de certaines libertés jugées intouchables, tragédie écologique ou climatique provoquant un sursaut de solidarité. Mais à part quelques exceptions sporadiques, l’hédonisme dans la société post-moderne “ a pour effet inéluctable la perte de la civitas, l’égocentrisme et l’indifférence au bien commun, l’absence de confiance dans l’avenir, le déclin de la légitimité des institutions. ”.

L’homme est-il voué à se perdre dans le consommateur effréné et dans le jouisseur impénitent ? Il est certain que la période relativement heureuse que nous traversons en France facilite un certain relâchement. Il est certain aussi que même une société comme la nôtre produit ses exclus et ses injustices criantes. Comment dès lors espérer un sursaut citoyen ? Est-ce le rôle de l’Etat que de garantir l’avenir en assurant une surveillance protectrice de tous les instants ? La restauration d’une nouvelle forme de citoyenneté est une nécessité absolue qui exige la plus grande mobilisation.

III- Comment restaurer la citoyenneté ?

La tâche de rénovation de la citoyenneté incombe à l’Etat et à nous tous. Il est urgent en premier lieu de redéfinir l’identité française avant même que d’envisager le renouveau démocratique lié aux nouvelles formes de participation .

A- Redéfinir l’identité française.

La décomposition de la société nationale, l’installation durable des populations issues de l ‘immigration ont entraîné une confusion des genres et bien souvent la résurgence des considérations et des replis ethniques. Or les changements intervenus dans la société française et le mélange des origines, le brassage social, le mélange des cultures, ne sont pas suivis d’une redéfinition du principe d’identité. Certes l’effet “ Coupe du monde ” a t-il permis de réduire pour un temps les distances interculturelles. Mais pour autant si les différentes communautés ethniques qui cohabitent sur le territoire français ont appris à vivre à côté l’une de l’autre, elles n’en sont encore ni au stade du “ vouloir vivre ” ensemble ni même au stade de l’intégration.

Comment et sur quels critères redéfinir une identité dans ces conditions ? Cela ne peut s’envisager à mon sens que sur une communauté de valeurs qui sont celles de la citoyenneté. Ainsi, par dessus tout, le respect de l’égalité. C’est à dire une égalité des droits justement contenue dans notre pacte social originel : la constitution française et notamment son préambule qui rappelle l’attachement du peuple français à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Cette égalité ne peut être seulement de façade comme pour se donner bonne conscience : il faut qu’elle soit effective, au besoin avec la mise en place temporaire de mesures correctives de discrimination positive, c’est-à-dire des mesures exceptionnelles de faveur destinées à rétablir l’égalité dans les faits. C’est à ce prix seulement que l’on atténuera les conflits inter ethniques qui secouent de manière sporadique la société française. Les populations immigrées ne pourront se fondre dans la population française que dès lors que nous leur auront donné la possibilité de vivre ailleurs et autrement que dans les HLM dégradés, les ghettos des quartiers insalubres, des cités à l’insécurité quotidienne. Mais il est indispensable aussi que ces populations non seulement se sentent intégrées mais in fine se sentent totalement françaises, c’est-à-dire que la définition même de l’identité française leur accorde toute la place qu’elles méritent.

B- Découvrir de nouvelles formes de participation.

La démocratie est à rénover. Pour que les citoyens reprennent goût à la vie politique, il faut d’une part restaurer l’image du politique, mais aussi restaurer dans le pays le processus décisionnel et son autorité, et il faut d’autre part inventer de nouvelles modalités de consultation populaire :

a) Restaurer le désir de politique. L’idée de réinventer la politique pour prétentieuse qu’elle puisse paraître n’est pas nouvelle. Depuis Platon et Aristote et après l’Utopie de Thomas , les analystes politiques constatant la situation désastreuse dans laquelle se trouvent leurs contemporains imaginent des cités idéales dans lesquelles les hommes atteindraient un degré de perfection et de félicité absolus L’histoire a montré combien un système pouvait séduire sur le papier et épouvanter dans la réalité. Mais le débat actuel est d’une autre portée car il ne s’agit plus réellement de renverser un système réputé injuste mais de s’attaquer en quelque sorte à un système réputé juste, parce que démocratique ou relativement démocratique mais dans lequel les citoyens, ni spécialement hostiles ni spécialement d’accord avec leurs dirigeants, sont tout simplement devenus indifférents au monde qui les entoure et notamment à ceux qui prennent pour eux des décisions. De nos jours le sentiment d’impuissance prédomine. Les citoyens ont l’impression que tout est toujours pareil quel que soit le dirigeant en place. Le phénomène de cohabitation en France a accentué encore cette désillusion . Par ailleurs le nombre d’affaires touchant de près le personnel politique a continué à les discréditer durablement aux yeux de l’opinion. Pour autant il est permis de croire que cette indifférence n’est que relative et qu’elle est le privilège d’une société qui ne demande guère à ses dirigeants que de gérer le quotidien en assurant un taux de croissance suffisant pour que chacun puisse en retirer les fruits. En quelque sorte la société n’est que provisoirement endormie et n’est susceptible de se réveiller qu’en cas de difficultés non résolues par les élus. Avec un peu d’optimisme on peut même considérer qu’il s’agit du signe évident d’une démocratie apaisée que de voir ses concitoyens peu animés d’un quelconque esprit de révolte. Là encore les choses sont un peu moins simples car l’individu totalement détourné de la politique perd l’habitude d’exprimer sa contestation en perdant l’accès aux circuits politiques de prise de décision. D’où le recours à une nouvelle forme de violence et de rejet. Dès lors la possibilité de réveiller le désir de politique passe par la découverte de nouveaux processus de consultation du peuple et des citoyens.

b) Retrouver l’Agora : La loi du nombre a conduit la démocratie à inventer le système
de la représentation. Mais les imperfections du système représentatif, rapidement apparues, n’ont pour l’instant laissé place à aucune alternative. En fait c’est l’avènement de l’Internet, des nouvelles technologies de l’information et de la communication qui désormais laissent imaginer que dans un futur proche le citoyen aura accès à toutes les données susceptibles de lui faire comprendre une décision, une norme, et qu’il aura la possibilité de participer à son processus d’édification, par le vote électronique ou toute autre forme, le virtuel devenant le lieu privilégié de construction de la réalité, l’Agora retrouvé.
Bruno Ravaz, L’Agora du 7 mars 2001


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