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j.c.g.

Lettres familières de Pétrarque à son frère

Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #J.C.G., #note de lecture, #pour toujours

en lien avec le projet de Ernest Pignon-Ernest sur Pétrarque
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Les lettres familières de Pétrarque
à son frère Gherardo,
moine
à La Chartreuse de Montrieux

La Chartreuse de Montrieux, ce 25 mai 2006, à midi,
où a été présenté le texte ci-dessous,
donné ensuite aux moines chartreux.

La Chartreuse, le 8 octobre 2005

Pétrarque a écrit 6 lettres familières et une lettre de la vieillesse à son frère Gherardo.
Les 6 lettres sont disponibles en version bilingue : latin-français depuis 2005 aux Belles Lettres.
La lettre de la vieillesse ne sera disponible qu’en 2006 ou 2007, aux Belles Lettres.
La 1° lettre est du 25 septembre 1349, plus de 6 ans après la prise de l’habit par Gherardo.
La 2° est du 2 décembre 1349.
La 3° est du 11 juin 1352.
La 4° non datée a été écrite probablement entre janvier et février 1353.
La 5° est du 7 novembre 1353.
La 6° est du 25 avril 1354.
Dans ces 6 lettres, nous ne trouvons pas d’indications sur la région sauf une référence à la grotte de la Sainte Baume, non nommée comme telle mais comme grotte où se retira Marie-Madeleine, grotte visitée par Gherardo et aussi par Pétrarque.
La 4° est celle qui nous en dit le plus. Gherardo a survécu seul à la peste de 1348. Il a perdu ses 34 compagnons de prière. Il a défendu seul la Chartreuse contre les brigands en leur parlant. Il a obtenu du prieur de la Grande Chartreuse, Jean Birelle, de choisir un nouveau prieur et des moines pour restaurer Montrieux.
Les autres lettres sont des méditations provoquées par la réception d’un coffret de buis et d’une lettre de Gherardo, par l’envoi d’un exemplaire des Confessions d’Augustin à Gherardo. Pétrarque semble fier de la fermeté de la foi de son frère, se met à son niveau par les références aux Pères de l’Église et à des philosophes ou sages de l’Antiqité. Il s’interroge sur lui-même, est partagé entre une attitude de pénitence, de repentance et une attitude d’humaniste, ne pouvant renoncer aux biens de ce monde, variables avec l’âge (on ne désire pas les mêmes choses, jeune, puis vieux). Malgré l’admiration qu’il éprouve pour son frère, on sent que Pétrarque est soucieux d’autre chose que de vivre dans la gloire de Dieu et pour Dieu, même si celui-ci est évoqué de nombreuses fois. La piété de Pétrarque, réelle, n’est pas suffisante pour l’amener à renoncer par exemple à son amour idéalisé pour Laure qui va l’occuper toute sa vie, avec les 10 rédactions successives du Canzoniere, son chef d’œuvre en italien quand il était persuadé qu’il passerait à la postérité par ses écrits en latin.
Pétrarque François est né le 20 juillet 1304 à Arezzo en Italie qui n’est pas encore l’Italie.
Gherardo est né en 1307.
En 1311, la famille quitte Pise pour le Vaucluse où se trouve la Papauté, en Avignon. Elle s’installe à Carpentras.
Vers 1316, Pétrarque découvre le site de la Fontaine du Vaucluse.
Entre 1320 et 1326, les deux frères étudient le droit à Bologne.
Dante meurt en 1321. Avec lui, meurt une certaine conception du monde, un certain usage de la vie caractérisée par un ascétisme que l’on commence à trouver excessif parce qu’une nouvelle classe émerge, la bourgeoisie, et qu’avec elle va émerger une nouvelle vision de la vie qui ne mérite pas tant de malédictions et dans laquelle il y a place pour la douceur du monde, les plaisirs, la beauté, les beautés. Certes, on continue à croire que le perfectionnement compte plus que la joie mais on voit bien qu’avec Pétrarque, Laure n’a pas le même statut que la Béatrice de Dante. La chair sourit, le soleil brille, l’homme a des désirs et des rêves, la volonté fléchit, la mélancolie et l’angoisse surgissent, l’élégie redevient possible. Avec Laure, on peut dire que Béatrice, symbole de la divinité, conduisant l’homme vers la perfection par des raisonnements élevés, conscience vigilante de l’homme, devient la beauté qui inspire des sentiments sublimes. Laure a levé les yeux, a souri à l’homme qui l’aime et voilà que Laure se promène dans les prairies, au bord des ruisseaux, contemple son image dans les sources, cueille des fleurs. Le poète ose la regarder, non comme une idée, un idéal mais comme la Femme prête à se laisser contempler par son amant.
Pétrarque vit ce changement de vision avec culpabilité et c’est cette tension entre hier et aujourd’hui, entre la nécessité de la perfection et son impossibilité pour lui, qui va faire la matière de son œuvre, partagée entre les œuvres latines édifiantes et l’œuvre en langue vulgaire où il cède à l’avidité du regard contemplatif, osant regarder les yeux, les mains, le visage, les cheveux, le sourire de la Femme aimée, ce que Dante n’avait pas osé faire.
Pétrarque renverse donc la perspective dantesque. Quand Dante projette la terre vers le ciel, Pétrarque trouve le ciel sur terre, sentiment religieux à rebours, nourri de la nostalgie des formes aimées et disparues, de l’angoisse impuissante de voir s’évanouir dans le néant ce corps adoré.
Revenons à la biographie.
Le 6 avril 1327, il rencontre Laure en l’église Sainte-Claire d’Avignon, vision décisive et définitive qu’il chantera toute sa vie.
En 1333, il reçoit d’un moine un minuscule exemplaire des Confessions d’Augustin qui l’accompagnera toute sa vie et qu’il donnera en 1374, peu avant sa mort, à un jeune moine augustinien. Il fait cadeau en 1354 d’un exemplaire des Confessions, copie transcrite par un jeune familier de Pétrarque, à son frère, cadeau évoqué dans la 6° lettre.
Le 26 avril 1336, il entreprend l’ascension du Ventoux avec son frère, véritable exploit pour l’époque. Au sommet, il ouvre au hasard son exemplaire des Confessions et tombe sur ce passage : « Et les hommes s’en vont admirer les hauts sommets, les immenses houles marines, les fleuves au large cours, l’Océan qui tout embrasse, les révolutions des astres ; et ils se laissent eux-mêmes à l’abandon. » Gherardo est saisi par ce passage, veut en entendre davantage mais François n’en lira pas plus. Il s’est perdu dans la montée quand son frère est arrivé sans encombres, il est fatigué, la montée a duré 7 ou 8 heures, il faut redescendre à Malaucène, il y en a pour 6 heures encore.
Gherardo doit sans doute sa vocation, sa conversion, à cette ascension et aux Confessions mais elle ne se révèlera qu’après la mort de celle qu’il aime en 1340. Laure, elle, sera emportée, comme le cardinal Colonna, protecteur de Pétrarque, par la peste de 1348. François apprendra la nouvelle le 19 mai 1348.
Gherardo décide de se retirer du monde à Montrieux et prend l’habit de moine en avril 1343.
Pétrarque passera un jour et une nuit à Montrieux, début 1347, visite à la suite de laquelle il écrira en latin le De otio religioso dédié aux moines chartreux.
Le 6 avril 1341, Pétrarque avait été spectaculairement couronné Prince des Poètes au Capitole à Rome. Il avait tout mis en œuvre pour obtenir cette consécration.
Pétrarque passera le 20 avril 1353 à Montrieux avant de quitter définitivement la Provence pour l’Italie, fin mai ou début juin 1353. Il s’installe d’abord à Milan au grand dam de son ami Boccace puis à Venise à la demande des doges où il reçoit un palais en échange de ses manuscrits car Pétrarque, fantastique érudit, avait réussi à dénicher des manuscrits rares.
En 1368, il s’installe à Padoue-Arquà. Il meurt le 19 juillet 1374 à sa table de travail et est enseveli dans l’église d’Arquà.
Le Canzoniere, commencé en 1342 (Laure a été vue le 6 avril 1327), prendra toute sa vie : en 1374, il travaille à la 10° rédaction de ce texte qu’il récusait pourtant.
Revenons au contenu des lettres.
La 1° lettre évoque les années de dissipation (1326 et après) dont seul Gherardo réussit à se libérer par la conversion. Comme toujours chez Pétrarque, érudit, l’imitation des Anciens est une source d’inspiration. Pour cette lettre, le fond doit aux Confessions d’Augustin et la forme aux Psaumes de David.
Avec la 2° lettre, Pétrarque envoie Parthenias, première églogue écrite en 1347 de son Bucolicum carmen, dans laquelle Pétrarque affirme que les Psaumes de David ne sont pas seulement un témoignage de foi mais aussi une œuvre poétique, développant ainsi cette thèse que la poésie a une origine religieuse et que la théologie est une poésie ayant Dieu pour objet.
Le 10 juin, veille du jour où Pétrarque rédige sa 3° lettre, il reçoit de Gherardo, un coffret de buis réalisé par son frère lui-même et une lettre de conseils, composée en grande partie de citations des Pères de l’Église, lettre perdue. La lettre de Pétrarque développe les raisons de la diversité observée entre les êtres humains et en un même être. Je n’ai pu m’empêcher d’entendre Montaigne, deux siècles et demi plus tard. Pétrarque emprunte à Aristote sa tripartition entre vie voluptueuse, vie politique et vie contemplative.
La 4° lettre est consacrée au courage de Gherardo pendant la peste de 1348.
La 5° est en relation avec un livre écrit par Gherardo sur la philosophie chrétienne et sur les principes à suivre pour une vie qui lui soit conforme, livre dont une copie a été remise à François. Ce livre est également perdu. Pétrarque s’interroge sur quelle est la vraie philosophie, quelle est la vraie loi et quel est leur meilleur maître à toutes les deux.
La 6° lettre en lien avec le cadeau d’une copie des Confessions à Gherardo aborde le sujet des livres et de leurs copies et pourquoi les copies des savants comportent plus d’erreurs que celles des copistes.
Comme on le voit, les circonstances d’écriture conditionnent en partie le sujet des lettres mais l’érudition de Pétrarque, sa culture donnent à ses lettres une dimension qui dépasse les circonstances, lui permettant de s’adresser à tout un chacun.
Pour conclure, on mesure cependant, en lisant ces lettres aujourd’hui, notre inculture de fond, l’absence de fréquentation des textes anciens, y compris religieux, expliquant cette distance entre nous et Pétrarque.
Je ne suis pas sûr que nous ayons perdu quelque chose d’essentiel en perdant ce qui sollicitait Pétrarque ou Dante. Nous avons trouvé d’autres interrogations, d’autres visions du monde, d’autres façons de vivre. En essayant de me situer à peu près au même niveau, à la même hauteur d'exigence que Gherardo ou François Pétrarque, il me semble que la sagesse tragique d’un Marcel Conche répond mieux à mes attentes, à mes envies fortes de vivre vraiment ma vie, que la vocation de Gherardo pour la voie de la perfection, ou que le clivage de Pétrarque entre son aspiration à la vraie vie spirituelle et sa complaisance pour la vie mondaine que par ailleurs il critique. La perfection recherchée par Gherardo, l’écartèlement de Pétrarque, cela ne me parle pas, ne me mobilise pas, ne correspond pas à mon expérience. Je suis en recherche d’authenticité et de vérité, comme eux sans doute, mais sur cette voie, j’ai d’autres maîtres: Montaigne et Marcel Conche.


Jean-Claude Grosse, ce 25 mai 2006

 

La Chartreuse de Montrieux, ce jeudi 25 mai 2006, à midi.

La Chartreuse, le 8 octobre 2005


PS : Une légende veut que Pétrarque se soit arrêté au Revest en rendant visite à Gherardo. Rien dans les lettres ou dans les notes érudites ne permet d’accréditer la légende. Pour se rendre à Montrieux depuis le Vaucluse, le passage par Le Revest ne semble pas se justifier.
Mais on peut se rendre à Montrieux depuis Le Revest en passant par Siou Blanc et son pierrier, une xalada selon un terme du Canzoniere. Il faut 2 bonnes heures de marche.
Le Revest a donné le nom de Pétrarque à la salle de spectacle de la Maison des Comoni, le 1° juillet 1990. Pétrarque est donc associé aux activités artistiques et culturelles de ce lieu rayonnant : c’est une autre forme de couronnement ; c’est une reconnaissance légitime quand on sait l’influence de Pétrarque depuis 6 siècles sur la poésie et ses formes, en particulier le sonnet, jusqu’à Baudelaire en passant par Lamartine, qui lui a consacré un de ses cours familiers de littérature.

Une des 3 manifestations Poètes en partage qui se sont déroulées aux Comoni  a été consacrée à Pétrarque dit en latin, en italien et à René Char. 

 

La Chartreuse de Montrieux, ce 25 mai 2006, à midi,
où a été présenté le texte ci-dessus,
donné ensuite aux moines chartreux.

La Chartreuse, le 8 octobre 2005
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Diego Rivera et Frida Kahlo

Rédigé par grossel Publié dans #FINS DE PARTIES, #J.C.G., #note de lecture

couvertures du roman de Claire Berest et de la biographie de JMG Le Clézio
couvertures du roman de Claire Berest et de la biographie de JMG Le Clézio

couvertures du roman de Claire Berest et de la biographie de JMG Le Clézio

Pour mon anniversaire, cadeau : Rien n'est noir de Claire Berest. Le livre est tout frais et pour les anniversaires, on offre du frais, du fraîchement imprimé.

Le titre renvoie à la palette de couleurs évoquée par Frida dans son Journal.

... Bleu de cobalt : électricité, pureté. Amour

Noir : rien n'est vraiment noir ...

L'essentiel des titres des chapitres est constitué de couleurs, des bleus à Mexico dès 1928, des rouges à New York, 1930-1932, des jaunes à Mexico, New York, Paris, 1933-1940 puis rien n'est noir, réellement rien

le roman se termine à Mexico en 1954, avec la sortie, le 13 juillet 1954

" j'espère que la sortie sera heureuse et j'espère ne jamais revenir ", dernière page de son Journal, à côté d'un dessin représentant l'Ange  Noir de la Mort.
Claire Berest dit très bien sa fascination durant plus de 15 ans pour Frida, au point de prénommer sa fille, Frida (quel héritage s'est ainsi transmis !) sans aucunement songer à écrire sur elle; en fait, Frida est une compagne de vie jusqu'à l'évidence un jour, soufflée par le compagnon tu devrais écrire sur Frida. L'usage de la 3° personne, une narratrice raconte, ne cache pas la passion névrotique (?) animant l'auteur voulant tout vivre et tout faire vivre de la vie privée, intime, publique, officielle de ses deux personnages. Projection assurée, assumée même quand ils font l'amour, qui baise au moment de l'écriture ? qui est baisé au moment de la lecture ?

Ce roman se lit bien, avec quelques coquetteries qui m'ont obligé à chercher la définition de 4 ou 5 mots, déjà oubliés.

Évidemment, je suis allé chercher à Frida Kahlo et Diego Rivera pour faire un peu le tour des oeuvres, des vies, des commentaires, des héritages, des récupérations. C'est Frida que j'ai privilégiée pour cet article.

Dans la foulée, comme je l'avais en réserve depuis plusieurs années, j'ai lu le Diego et Frida de J.M.G. Le Clézio. Une biographie dans laquelle Le Clézio s'implique. Très documenté et à la hauteur des enjeux.

Le Mexique de 1910, le pays de la première révolution sociale (même pas prolétarienne, non, paysanne avant celle des soviets, 1917). Avec tout ce qui s'en est suivi, répression, assassinats, contre-révolution, sursauts démocratiques, alternances des forces au pouvoir, très réactionnaires ou progressistes sans être révolutionnaires. L'Union soviétique comme modèle pour les communistes dont Diego et Frida, sauf pour l'art. Le réalisme soviétique, niet ! Le surréalisme ? ils sont en désaccord. Trotsky et sa conception, son manifeste attribué à Breton (Patrick Deville, Viva). Diego a une vision de l'art comme retour aux origines, dans la culture indienne et comme faisant le pont par delà le capitalisme triomphant aux USA (malgré la crise) avec l'avènement du communisme mondial. Le muralisme dont il est le représentant le plus célèbre est un apport considérable à l'art populaire, par et pour le peuple, pour son éducation et son émancipation. Frida n'a pas de conception préconçue de l'art. Elle peint, se peint mais sa peinture instinctive va aller puiser dans coins et recoins de l'inconscient et du corps martyrisé avec un réalisme et un symbolisme époustouflants. Son amour absolu pour Diego va être la colonne vertébrale (brisée ?) du déploiement du génie de Diego comme Diego pour Frida va être Diego commencement Diego constructeur Diego mon enfant Diego mon fiancé Diego peintre Diego mon amant Diego "mon mari" Diego mon ami Diego ma mère Diego mon père Diego mon fils Diego = Moi = Diego l'Univers. (Journal)

Lorsque Frida annonce son intention d'épouser Diego Rivera, son père a ce commentaire acide : « ce seront les noces d'un éléphant et d'une colombe ». Tout le monde reçoit avec scepticisme la nouvelle du mariage de cette fille turbulente mais de santé fragile avec le «génie» des muralistes mexicains, qui a le double de son âge, le triple de son poids, une réputation d'«ogre» et de séducteur, ce communiste athée qui ose peindre à la gloire des Indiens des fresques où il incite les ouvriers à prendre machettes et fusils pour jeter à bas la trinité démoniaque du Mexique - le prêtre, le bourgeois, l'homme de loi. Diego et Frida raconte l'histoire d'un couple hors du commun. Histoire de leur rencontre, le passé chargé de Diego et l'expérience de la douleur et de la solitude pour Frida. Leur foi dans la révolution, leur rencontre avec Trotski et Breton, l'aventure américaine et la surprenante fascination exercée par Henry Ford. Leur rôle enfin dans le renouvellement du monde de l'art.
Étrange histoire d'amour, qui se construit et s'exprime par la peinture, tandis que Diego et Frida poursuivent une œuvre à la fois dissemblable et complémentaire. L'art et la révolution sont les seuls points communs de ces deux êtres qui ont exploré toutes les formes de la déraison. Frida est, pour Diego, cette femme douée de magie entrevue chez sa nourrice indienne et, pour Frida, Diego est l'enfant tout-puissant que son ventre n'a pas pu porter. Ils forment donc un couple indestructible, mythique, aussi parfait et contradictoire que la dualité mexicaine originelle, Ometecuhtli et Omecihuatl.

liens sur le Journal de Frida Kahlo

https://hal-univ-tlse2.archives-ouvertes.fr/hal-00941216/document

https://www.cairn.info/revue-reliance-2005-4-page-118.htm#

https://www.revue-ballast.fr/frida-kahlo/?pdf=4432

« L’art de Frida, disait André Breton, est un ruban noué autour d’une bombe. » Le temps a passé, Frida pour moi se trouve en phase avec plein de combats qui se mènent aujourd'hui et qui tentent de penser, de sentir, d'agir en harmonie avec la Vie
« L’art de Frida, disait André Breton, est un ruban noué autour d’une bombe. » Le temps a passé, Frida pour moi se trouve en phase avec plein de combats qui se mènent aujourd'hui et qui tentent de penser, de sentir, d'agir en harmonie avec la Vie
« L’art de Frida, disait André Breton, est un ruban noué autour d’une bombe. » Le temps a passé, Frida pour moi se trouve en phase avec plein de combats qui se mènent aujourd'hui et qui tentent de penser, de sentir, d'agir en harmonie avec la Vie
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« L’art de Frida, disait André Breton, est un ruban noué autour d’une bombe. » Le temps a passé, Frida pour moi se trouve en phase avec plein de combats qui se mènent aujourd'hui et qui tentent de penser, de sentir, d'agir en harmonie avec la Vie

les noces d'un éléphant et d'une colombe d'après le père de Frida, le double mariage de la colombe et de son crapaud. « L’art de Frida, disait André Breton, est un ruban noué autour d’une bombe. »
les noces d'un éléphant et d'une colombe d'après le père de Frida, le double mariage de la colombe et de son crapaud. « L’art de Frida, disait André Breton, est un ruban noué autour d’une bombe. »
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les noces d'un éléphant et d'une colombe d'après le père de Frida, le double mariage de la colombe et de son crapaud. « L’art de Frida, disait André Breton, est un ruban noué autour d’une bombe. »

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Passagère du silence/Fabienne Verdier

Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G., #note de lecture

quelques livres de, sur, avec Fabienne Verdier
quelques livres de, sur, avec Fabienne Verdier
quelques livres de, sur, avec Fabienne Verdier
quelques livres de, sur, avec Fabienne Verdier
quelques livres de, sur, avec Fabienne Verdier
quelques livres de, sur, avec Fabienne Verdier
quelques livres de, sur, avec Fabienne Verdier
quelques livres de, sur, avec Fabienne Verdier
quelques livres de, sur, avec Fabienne Verdier

quelques livres de, sur, avec Fabienne Verdier

J'ai lu Passagère du silence de Fabienne Verdier, vers mi-avril 2019, chaque jour pendant plusieurs jours sur une terrasse donnant sur la basilique de Saint-Denis. Je ne suis pas en mesure de dire en quoi cet environnement, tout près du parc de la Légion d'Honneur très honoré par toutes sortes d'oiseaux que je m'autorisais à écouter, a été favorable à ma réception de ce récit d'apprentissage de la calligraphie chinoise. En tout cas, ce fut une lecture sidérée avec une attention particulière au chapitre 9, Les clochards célestes, pages 200-231 en vieux livre de poche (2003).

Les leçons de Maître Huang Yuan sont puissantes. En voici quelques-unes :

"L'acte de peindre doit être l'agir du non-agir, l'agir naturel, sans désir, qui n'est pas tourné vers le moi. C'est par l'oubli de soi qu'on obtient la fusion avec le ciel, avec le tout. Cesse de penser, de vouloir, de calculer. Instaure en toi la non-contrainte totale pour être en harmonie avec la source de ton coeur. Fuis le rationnel, le conventionnel.

Dans le chaos et l'obscur réside le mystère originel. Suis, toi aussi, le principe cosmique pour donner vie à ta création. Comme le Ciel, crée à partir du chaos. Suis ton intuition et débroussaille l'informe pour aller, à travers les formes, au-delà de celles-ci. Transmets l'esprit des choses et n'oublie pas que l'esprit réside aussi dans les montagnes et les plantes; elles ont une âme, et c'est le Ciel qui la leur a donnée. La forme naît de l'informe: il ne faut pas avoir peur du chaos. Prends un pot, par exemple: c'est le vide qu'il enferme qui crée le pot. Toute forme ne fait que limiter du vide pour l'arracher au chaos.
Quand je peins un arbre, je deviens arbre,
Quand je peins l'eau, je deviens l'eau,
Quand je peins une tectonique,
une tellurique de la montagne,
je deviens tectonique,
Et la chose naît d'elle-même,
Je la vis intensément avec mon coeur,
Et elle apparaît, par moment,
de manière abstraite, de cette manière là.
Le peintre est un chercheur,
Il a besoin de se retirer du monde
pour pouvoir s'extraire du temps des hommes
pour rentrer dans celui de la méditation,
et il n'y a que le silence qui permet ça.
Finalement, nous pourrions dire, et ce serait très joli, que la création d'un tableau est identique à la naissance d'une étoile...
J'ai appris, à la lumière du taoisme et du bouddhisme, qu'il est possible de diriger son esprit dans une direction choisie, pas seulement de le laisser éduquer par la société qui nous environne; et qu'à travers l'ascèse, celle-ci une fois dépassée, on pouvait atteindre l'inaccessible étoile : un grain de sagesse qui est aussi, heureusement, un grain de folie !
Le calligraphe est un nomade, un passager du silence, un funambule. Il aime l'errance intuitive sur les territoires infinis. Il se pose de-ci, de-là, explorateur de l'univers en mouvement dans l'espace-temps. Il est animé par le désir de donner un goût d'éternité à l'éphémère."

Fabienne Verdier, Passagère du silence, Livre de poche

J'irai bien sûr voir l'exposition sur 3 lieux à Aix-en-Provence du 21 juin au 13 octobre 2019, Musée Granet, Pavillon Vendôme, Cité du Livre

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Réflexion sur le temps/Marcel Conche

Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G., #agora

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Puisque l'homme, être ouvert peut par sa liberté d'esprit créer son temps rétréci avec passé, présent, futur (la temporalité) et vivre ces temps selon humeurs, sentiments (impression que ça passe vite ou pas, la temporalisation)) et ainsi contrecarrer l'annihilation par le temps absolu, destinal, le temps infini de la nature, il peut s'amuser à jouer avec le temps qu'il se crée, inventer ses tac-tic en réponse au tic-tac. Écrivez un texte rythmé par TIC-TAC et déjouez les jeux du temps par vos TAC-TIC-TIQUE

Actualité d'une sagesse tragique

(la pensée de Marcel Conche)

Pilar Sanchez Orozco

Les Cahiers de l'Égaré, 2005

352 pages, 16,5 X 24


IV.1. RÉFLEXION SUR LE TEMPS (extraits)

L’analyse et la compréhension du temps occupent un lieu central dans la réflexion de Conche. Dans son ouvrage Temps et destin, publié en 1980, il fait une étude pro- fonde et détaillée dont l’objectif sera non seulement de comprendre ce qu’est le temps, mais aussi ce que signifie être dans le temps, pour arriver ainsi à une compré- hension du temps compatible avec ce que suppose pour nous être dans le temps. Dans son évolution, il maintiendra les idées clés développées ici et, dans l’une de ses dernières œuvres, Présence de la nature360 publiée en 2001, il rappelle une différence essentielle par rapport à la compréhension du temps, qu’il avait déjà établie dans la pre- mière œuvre précédemment citée. En effet, dans ce livre, Conche fait une distinction entre temps immense de la Nature et temps rétréci de l’être humain: « Le temps immense, « infini », étant annihilateur de tout ce qui fait notre vie, est celui dans lequel nous ne pouvons vivre. Nous en savons pourtant le cours inexorable, mais de la déme- sure du Temps, nous refoulons sans cesse la pensée. Nous lui substituons un autre temps, un temps à l’échelle humaine, un temps temporalisé, celui de nos projets, de nos vouloirs »361. Cette distinction entre temps de la nature ou temps infini et temps de l’homme ou temps « rétréci » ou temporalité est fondamentale dans la Métaphysique de la Nature. Si nous nous plaçons dans le temps immense de la Nature, ceux que nous appelons « êtres » ne sont que des apparences. Ce n’est que lorsque nous nous plaçons dans le temps « rétréci » que parler de l’être des étants a du sens.

Mais pour comprendre l’idée clé de l’indépendance du temps (du temps de la Nature), il est essentiel de mettre en relation le temps et le destin, comme Conche le fait dans le livre qui porte ce même titre. Le point de départ de sa réflexion, telle qu’elle se reflète dans cette œuvre, pour comprendre le temps, est la constatation du fait que la mort est quelque chose d’inévitable pour l’homme. En réalité la mort n’est pas de l’or- dre de la nécessité mais de la fatalité, elle est une chose dont nous sommes certains qu’elle va arriver quoi que nous fassions et, en ce sens, la mort est notre destin. Conche s’oppose à la conception stoïque du destin, mais reconnaît ce destin minimum qu’est la mort, ma mort au singulier, la mort de chacun et de tous les êtres vivants et, par consé- quent, leur finitude. Cette conscience de la mort comme limite, comme fin, comme des- tin, est pour Conche la donnée première qu’il faut respecter pour penser le temps.

Conche accepte le fait que l’homme a un extérieur absolu qui est la mort, mais alors comment penser l’être ? Comment penser le temps? Comment penser le temps de façon à ce que la vie humaine soit, comme elle l’est de fait, dans la dépendance absolue de l’incontrôlable, de la mort ? À partir de là, et pour avoir une idée du temps compatible avec cette idée de mort et de destin, débute sa réflexion sur le temps.

Pour les humains être dans le temps signifie qu’avant notre naissance il y avait déjà le temps et qu’après notre mort il y aura toujours le temps. L’être temporel ne possède qu’une partie, plus ou moins longue, du temps infini. Le monde et le temps continue- ront sans nous. Nous n’avons qu’une durée limitée, notre vie n’est qu’une partie de temps. Mais curieusement, cela même est ce que signifie originairement la notion de « destin » pour les Grecs, le fait que chaque individu n’a qu’une part limitée de vie, une part de temps. Ce qui signifie être soumis, destiné à la mort. Nous voyons donc que le temps, le destin et la mort s’entre-signifient. Dans son étude sur le Temps, Conche tente ainsi de concevoir le temps tel qu’il peut être conçu aujourd’hui, c’est-à-dire en prenant en compte que le temps est aujourd’hui indissociable du destin et que l’affirma- tion du destin n’est compatible avec aucune autre conception du temps.

Conche se pose quatre questions essentielles au sujet du temps : la réalité du temps, sa nature, son origine et sa dépendance ou indépendance.

L’on ne peut comprendre ce qu’est le temps qu’à partir de l’éternité, car le temps est l’image de l’éternité (selon Platon et Plotin). Ce qui est éternel est ce qu’il est et il l’est toujours, ce qui veut dire toujours au présent, sans passé ni futur. Le temps est engendré par le mouvement de l’âme et son inquiétude qui suscite l’avenir. Le tout est alors détotalisé. Même s’il s’agit de l’âme universelle, cosmique, le problème est que la temporalité est reconnue comme liée à la non-identité à soi-même d’un sujet condamné à exister toujours en avant de lui-même, à agir et à vivre par activités successives.

Mais, selon Conche, dans ce cas, il ne s’agit pas de l’origine du temps, mais de l’ori- gine de la temporalité. Pour Conche, si d’une part, la temporalité peut être pensée à par- tir de l’être et de l’éternité, comme résultant d’une sorte d’éclatement de l’être, et d’in- capacité de l’être éclaté à se rejoindre de nouveau, d’autre part, la temporalité peut aussi être pensée à partir du non-être et de la matière oublieuse à chaque instant d’elle-même, comme résultant de la lutte contre le temps séparateur et de la conquête par l’homme de la vie spirituelle. Conche optera pour cette seconde façon de penser la temporalité.

Le temps sépare l’avant, l’à présent et l’après, tandis que la temporalité retient le passé uni au présent et anticipe le futur370. L’œuvre de dissolution et de dispersion du temps est donc combattue et niée par l’opération inverse de la mémoire et de l’anticipation, c’est- à-dire de l’esprit. Ainsi, face au temps de la nature, nous trouvons le temps de l’esprit (temporalité). L’on peut alors placer la temporalité au-dessous de l’immuable éternité, comme résultant d’une chute, ou au-dessus du temps sans mémoire de la nature, comme résultant d’une conquête. Dans le premier cas, après la vie immuable absolument tran- quille sont apparus l’inquiétude, l’avidité, le manque, desquels résulte le mouvement au- delà de soi-même et de son présent. Dans le second cas, après que la loi du temps, c’est- à-dire du glissement à l’oubli et au néant, ait longtemps dominé, une révolte s’est pro- duite contre le temps, la mort et l’oubli. Cette révolte engendra l’homme, l’être qui peut se souvenir et prévoir, en qui le temps, se niant lui-même, devint la temporalité. Mais dans les deux cas, précise Conche, ce que l’on conçoit est l’origine de la tempora- lité, non du temps.

pour Conche, le destin implique le caractère absolu du temps. Le temps absolu primordial est le temps de la nature, néga- teur et destructeur indéfiniment, qui efface et recommence377. Le temps du destin englobe tout autre temps, il est le temps de la nature, temps de la mobilité permanente et de l’unité de la vie et de la mort. Mais ce temps absolu est nié à son tour avec la tem- poralité et l’historicité humaine. Il faut comprendre que pour Conche l’historicité, le temps historique n’est qu’une forme de temps humain. L’homme ne se lie pas seul avec la Nature, et sa relation avec les autres et avec le temps qu’il partage avec eux intervient dans son expérience de lui-même et de la vie. Mais ce temps, le temps his- torique des générations humaines, qui se transmettent et partagent en commun la vie, la parole et l’expérience, n’est pas pour Conche un troisième temps, radicalement dif- férent de ce que lui appelle temps humain. Ce temps humain englobe tant le temps de chaque mortel que le temps historique de l’humanité. Et les deux, intimement reliés, sont différents du temps immense de la Nature.

À la fin de Temps et destin, dans la conclusion, il résume avec ces mots clairs et catégoriques sa position: « Le temps en soi est indépendant de nous et de l’esprit. C’est le temps de la nature, la puissance destinale qui entraîne toutes choses, humaines ou non humaines, vers leur néant. Le temps de l’esprit en est la négation, et l’homme, en tant qu’esprit, nie ce qui le nie: la nature, le corps. La nature a cependant le der- nier mot »

Le présent de l’esprit et le présent de la nature, nous dit Conche, sont distincts : « alors que le présent naturel repousse au néant ce qui n’est plus, le présent spirituel, dès lors qu’il enveloppe l’image du passé et de l’avenir, les sauve du néant. Toutefois le présent de l’esprit suppose le présent de la nature, pour le nier »380. Le présent de l’esprit ne peut se décomposer à l’infini, il a nécessaire- ment une durée minimum, puisque l’acte minimum d’attention requiert une durée. Qui plus est, le présent de l’esprit, nous dit-il en se rappelant les réflexions de saint Augustin, est infini : il n’est pas limité par le passé et l’avenir, car il n’a pas de rap- port avec le passé et l’avenir mais plutôt avec les images de ce passé et de cet avenir, qui grâce à la capacité de mémorisation et d’anticipation ou prévision, sont « pré- sentes » dans l’esprit. En ce sens, l’on peut dire qu’il y a trois présents : le présent du passé, le présent du présent, le présent de l’avenir. Le présent de ces trois pré- sents, qui englobe en lui, par représentations, le passé et l’avenir, est nécessairement infini (saint Augustin, Confessions, XI, XX).

 

aujourd'hui, en lien avec mon cheminement spirituel, donc de plus en plus axé sur le moment présent, je suis tenté de dire où j'en suis du point de vue du temps.

Je partage la distinction entre temps de la Nature, temps infini, éternel (le présent éternel) et temps humain (l'esprit distingue passé, présent, futur); la pratique du moment présent révèle le poids chez beaucoup de gens du passé, comme objectivé, alors qu'il est création de l'esprit, on dit de l'ego; le poids aussi du futur, comme objectivé, alors que lui aussi est création de l'égo; poids du passé, peur du futur peuvent être de sacrés freins à une vie légère, sensible au fait que tout passe, que tout est éphémère et que donc, il n'y a pas de raison (à part la jouissance liée au fait de souffrir) de faire des fixations sur des douleurs passées, des craintes à venir puisque ces douleurs ne sont plus présentes et ces peurs ne sont pas encore advenues; donc la pratique du moment présent est un puissant moteur de guérison et de vie joyeuse ; mais il y a un fait qui n'est pas pris en compte dans ce cheminement, c'est que tout ce qui passe, never more, ne s'efface pas, il sera toujours vrai que cela a eu lieu, for ever; ainsi donc, nous écrivons un livre d'éternité du premier cri à notre dernier souffle, pas écrit d'avance, pas destiné à un jugement dernier, notre livre unique d'être unique singulier, livre qui ne se rend pas à la fin de la vie pour rejoindre une place dans on ne sait quelle bibliothèque mais livre qui se rend instant après instant, devenant éternité dans l'instant c'est-à-dire mémoire, information, rejoignant, participant à la mémoire de la Nature, mémoire agissante, information toujours disponible, comme par exemple l'ADN, mémoire de plusieurs milliards d'années, mémoire agissante, capable de renouveler les mille milliards de cellules constituant les tissus allant de l’oesophage à l’anus détruits et renouvelés tous les 3 jours; il y a chez les praticiens du moment présent ou chez les fans de la superposition quantique, un désir de toute-puissance (pleine conscience) comme co-participant à la Conscience, à l'Être, à la Présence, au Souffle, au Divin. Il y a là un point possible de divergence entre ceux qui pensent par exemple que l'évolution est le fruit du hasard au sens darwinien, c'est-à-dire de mutations aléatoires, infimes et innombrables (comme on le vérifie avec les virus, théorie du clinamen chez Épicure, et chez Anaximandre, la semence universelle, le gonimon, qui se sépare (apokrisis) ou est éjecté (ekkrisis) de l’infini indéterminé, l'apeiron)  et ceux qui optent pour une évolution, fruit des croyances et désirs faisant advenir le futur par auto-réalisation, la description-prescription du désiré faisant advenir ce désiré. Je dis cela avec mes mots qui ne sont pas ceux de la tribu des éveillés.

Atelier Jean-Claude Grosse – le 21/10/2018 – Marie-Françoise EVE

 

 

TIC-TAC , L'ECOULEMENT DU TEMPS – Contrecarrer le passage du temps

 

 

Tic-Tac, il n'y a pas d'urgence,

Tic-Tac, je me love dans le Temps, le temps moelleux, soyeux, lumineux,


 

Je respire en rythme sourd, tel le ronronnement du chat,

Tic-Tac, atténué, enveloppé, fondant.


 

Tic-Tac, la spirale du temps m'envoie dans les rêves, ressort magique aux courbes infinies.

Sage Tic-Tac qui m'emmène en ballade, en musique, Tic-Tic, en couleurs, Toc-Toc.


 

Comme les gouttes d'eau qui miroitent sur la vitre, Tic-Tac, le temps passe.

Il sépare, Tic-Tac, Il rassemble, Tac-Tic, Il ressemble à toi, à nous, à tous.


 

Multitudes éclairées, à la trame enchevêtrée, au dessin effiloché.

Tic-Tac, la vie file sa corde qui brusquement cassera, Le fil à la patte bientôt cessera.


 

Qu'en deviendra-t-il de tes soucis ? Qu'en sera-t-il de tes projets ? Tic-Tac, au fond de la mare.

Tic-Tac, avec les têtards, la ronde ne s'arrête pas, Ça naît, ça gigote, ça copule.


 

Ah, l'air me manque, Tic-Tac, Je veux remplir mes poumons de l'azur impalpable mais si dense.

Respirer avec tout mon corps, mon nez, mes yeux, mes oreilles, ma peau, ma bouche, mon sexe.


 

Tic-Tac, la spirale s'enroule, devant, derrière, en haut, en bas. Tout s'enveloppe et se fond .

Tic-Tac, sans fin les images pleuvent sur la rétine des déprimés.


 

Tic-Tac, on n'en peut plus du temps qui passe. Passe-t-il vraiment le temps ?

Va savoir ! Du fond de ses rêves, on n'en voit pas la fin.


 

Et quand on la verra la fin, Tic-Tac, il sera trop tard.

C'est pourquoi ne remettons pas à demain.


 

Tic-Tac, soyons présents,Tic-Tac, vivons maintenant, Tic-Tac, savourons aujourd'hui.

La vie est une matière, Tic-Tac qui roule sans s'arrêter. Jamais la même mais toujours sans pitié.


 

Elle ne cesse de changer, Tic-Tac parfois on se sent ballotté. Faut-il faire la planche ou plonger ?

Tic-Tac, laissons nous aller, Le vent nous emmène, la terre nous retient.


 

Le soleil nous réchauffe, la nature nous nourrit, On entend même respirer les pierres.

Ti-Tac, que cela est impressionnant. Se savoir partie du temps, seul et multiple, sans début ni fin.

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Faire l'amour de manière divine / Barry Long

Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G., #note de lecture, #développement personnel

Faire l'amour de manière divine / Barry Long

Faire l'amour de manière divine

de l'acte charnel à l'amour divin

Barry Long

 

voilà un petit livre qui en dit long, paru en 1993, et continuellement réimprimé chez Pocket (j'ai le tirage octobre 2017) surprenant par ses mots, pénis, vagin, orgasme, masturbation, pénétration, excitation, préliminaires, jeux de l'amour, émotions, sensations

serait-ce un petit manuel de pratique sexuelle ? écrit par un technicien de la machine « sexe » ?

c'est un petit livre nourri de réflexions sur l'état actuel des relations sexuelles et « amoureuses » entre hommes et femmes

c'est un livre qui remonte aux origines, aux temps de l'innocence, donc un temps mythique, un non-temps, l'éternité, avant le travail du temps, la dégradation qui a suivi

il fut donné à l'homme et à la femme de s'aimer de manière divine aux temps d'innocence, puis la manière de faire « l'amour » s'est dégradée en compulsion masturbatoire d'abord masculine puis les femmes s'y sont mises, elle s'est dégradée en recherche égoïste d'excitation, de plaisir, d'orgasme, de jouissance, d'éjaculation, l'autre étant instrumentalisé, bouche pour fellation, lèvres pour cunnilingus

ce petit livre montre bien les différences entre femme et homme, entre vagin et pénis, entre amour et sexe, entre acte d'amour naturel, divin et orgasme mécanique recherché

on est à l'opposé du genre de discours suivant tenu en Avignon : on peut revendiquer haut et fort la liberté d’être à loisir homme, femme, ou les deux mélangés, il n’en demeure pas moins que quand tu nais avec un sexe de femme, ou quand tu deviens femme, que ce soit par le grand tirage au sort de la nature – ah zut pas de chance t’es née avec un vagin - ou par choix, tu fais partie de la caste de celles qui se font baiser, niquer, nier toute leur vie. Parce qu’avant d’être un genre, la sexuation est un déterminisme physiologique, totalement arbitraire, qui, selon que tu reçois un vagin ou une bite à ta naissance, te prédétermine comme sujet dominant ou dominé. (Carole Thibaut au jardin Ceccano, le 13 juillet 2018, Avignon)

ce qui est mis en avant par Barry Long, c'est que la femme, le vagin portent en eux le divin parce que portant la Vie (ça inclue bien sûr la procréation mais la Vie, c'est de l'ordre aussi d'une transcendance, d'un mystère, d'une permanence créatrice, incarnés dans la femme), la femme est ouverture, accueil, beauté, on n'est pas loin de ce que certaines nomment le féminin sacré auquel elles aspirent en se rencontrant, en expérimentant, en l'absence d'hommes bien sûr

le refus ou l'impossibilité des hommes sauf exception de combler le Vide qu'est le vagin, l'attente extatique de la femme ont pour effets le développement d'une haine de la femme pour l'homme qu'elle contribue à faire débander, à rendre impuissant au moment de l'acte, lui-même zob-cédé par sa verge en érection, turgescente, voulant s'assouvir, qu'il en devient éjaculateur précoce, la femme sachant aussi favoriser ce dégorgement quasi-instantané ; absence de contrôle d'un côté, insatisfaction de l'autre, décidément, l'acte d'amour se porte mal et en toute inconscience sauf rares moments, rares personnes

l'homme convoque fantasmes, imagination, émotions et souvenirs passés pour répéter ce qu'il croit être la jouissance, autrement dit, il baise avec d'autres, avec son passé, il n'est pas présence et présent

la femme convoque des rêveries romantiques pour enjoliver ce qu'elle vit comme insatisfaisant, autrement dit elle jouit avec d'autres plus charmants, moins violents, moins agressifs, moins avides, moins gloutons (il n'y a qu'à penser au rapport des mains d'un mec avec les seins d'une femme); elle n'est pas présence, présente

chacun d'entre nous est marqué par cette histoire toujours en cours de la dégradation de l'acte d'amour en acte sexuel orgasmique, c'est une histoire collective, agissante au profond des corps, des sexes par les fantasmes, les images, les attentes, les excitations artificielles ; toute une industrie du sexe et du sentiment corrompt les hommes et les femmes, leur proposant des modèles, des recettes, des paliers, des exercices, des fantasmes, des partenaires d'algorithmes 

on voit où cela peut conduire, le Japon est leader dans ce domaine  dans la mesure où la culpabilité y semble inexistante alors qu'en Occident, le sexe est souvent coupable, vécu avec culpabilité ; l'homme a été le moteur de cette corruption et la femme n'a pu que suivre ; la vision masculine de l'acte sexuel est devenue dominante, mutilante; je rajouterai le rôle des mères dans l'installation du machisme des garçons (modèle de l'homme viril, performant) et dans l'infériorisation, la soumission des filles

ce que Barry Long préconise c'est d'aimer l'acte d'amour, pas la baise, de conquérir par un long, raisonné et patient règlement de tous les sens (l'inverse de la formule d'Arthur) la pleine conscience de ce qui se fait, ici, maintenant avec cette femme-ci, avec ce corps, avec ce vagin, avec ce pénis, deux corps qui se regardent sans projection vers ce qui va advenir, sans attente donc d'une conclusion, donc sans excitation, froidement presque, sans volonté d'aboutir à quoi que ce soit, sans projet pour les 3'40" à venir ; aucune précipitation, du temps, des interruptions si fatigue, endormissement ; le guide, c'est l'amour de ce qui se fait, le don pour l'homme, l'accueil pour la femme, l'enregistrement par les sens de ce qui s'éprouve, se vit ; évidemment, c'est une démarche duelle de conscience, ce sont les deux amants qui sentent, se sentent, s'écoutent, se touchent, se parlent, mettent des mots sur ce qui se vit, en pleine lumière; comme la corruption par l'émotion, le passé est très active, la conscience doit aussi avoir pour tache, la purification, le nettoyage de ces affects, de ces traces, inscrites jusque dans les organes génitaux

cela a t-il à voir avec l'amour tantrique ? L'expression n'est pas employée par Barry Long. Mais je pense qu'il y a des connexions entre les deux approches, plus crue, plus déroutante chez Barry Long ; l'émergence de la dimension spirituelle arrive presque à la fin du livre ; c'est que nous sommes de grands malades, de grands mutilés, de grands handicapés ; alors inutile de nous faire voir trop vite l'arrière-plan spirituel, divin qui est de l'ordre d'une révélation, illumination plus que d'une méditation

je n'ai pu m'empêcher de penser au Banquet de Platon, au mythe de l'androgyne complet, coupé en deux par le dieu, deux moitiés qui se cherchent, se trouvent parfois et là aucune hésitation, parce que c'est toi, parce que c'est moi; bien sûr, l'amour platonique est amour du beau, d'abord incarné dans un beau corps et par élévation (on pourrait dire purification, dématérialisation) devenant amour de l'Idée de Beauté

pas pu non plus m'empêcher de penser à l'amie Emmanuelle Arsan, si mal comprise dans ses romans ou essais mais si lucide, si inventive en jeux d'amour et si amoureuse de l'amour et du sexe; on s'était mis d'accord sur le sens à donner à l'expression faire l'amour, pas la guerre; ça place la barre haut (Bonheur et Bonheur 2, correspondance heureuse sans rien entre nous qui pèse ou pose)

le vagin et le pénis, c'est fait pour s'entendre, pour se compléter, et c'est le pénis qui entre, il ne pénètre pas, et c'est le vagin qui s'ouvre, se détend, veut accueillir

dit encore autrement, évident et peu pratiqué : Un vagin et un pénis. Une cavité divine qui peut être comblée par un pénis divin. La complétude, la plénitude, l'harmonie, l'UN sont atteints.

dernière remarque : dans ce livre, pas de mots, de concepts, de pseudo-concepts d'aujourd'hui ou d'hier, mots à la mode, mots importés de vieilles traditions; tous ces mots viendraient parasiter, corseter ce qui doit être une expérience pure, brute, sans médiation, on ne s'occupe pas de yin, de yang, de développement personnel spirituel, de chakras, de masculin ou de féminin à développer, d'alignement corps, sexe, cerveau; est évoqué le plexus solaire, le corps est divisé en deux, le haut et le bas, très peu de données pour inciter à une pratique non formatée par un vocabulaire inducteur; je pense que ce parti-pris de crudité est ce qui fait que ce livre n'est pas victime d'un effet de mode

Jean-Claude Grosse,

bien incapable de faire son bilan sexuel et amoureux, étant veuf, dans un état de viduité, depuis 8 ans, après 46 ans de vie avec l'épousée au jour le jour jusqu'à ce que ça fasse toujours (mais je me suis reconnu dans certaines descriptions) et qui devra attendre une autre vie pour faire l'amour d'une manière divine (lire l'extrait de l'éternité d'une seconde Bleu Giotto, plus bas)

 

page 44 extrait (chap. leçon d’amour)

 

Le moment est venu.

Vous vous êtes mis d’accord pour faire l’amour, et maintenant, c’est le moment

Déshabillez-vous dans la même pièce. Laissez la lumière allumée. Ne vous cachez pas. Ne soyez pas concentrés. L’amour est une affaire sérieuse, mais pas aussi sérieuse que ça. Soyez détendus. Vous pouvez sourire. Relevez juste le coin de vos lèvres et souriez.

Soyez présents. Soyez dans cette pièce ensemble, soyez maintenant. restez nus et séparés l’un de l’autre.Regardez-vous mutuellement, les yeux et le corps. Voyez vos corps respectifs. Sans juger, sans penser.

Ne soyez pas gênés. Tenez-vous en à l’amour. Commencez par accepter votre corps. à être votre corps. avec ses défauts et tout ce qui le constitue.

Si vous remarquez que votre partenaire est gêné(e), aidez-le ou aidez-la. Souriez. Relevez chez lui ou chez elle quelque chose de beau. allez chercher la beauté de l’être intérieur qui émane de son corps. il est là. Voyez-le. Dites-le.

Soyez psychologiquement nus. Soyez innocents. soyez neufs. EN regardez pas en arrière. Soyez vous même tels que vous êtes, maintenant.

Soyez vulnérables. Vous n’avez rien à perdre que vous n’avez perdu depuis très longtemps déjà.

Pendant que vous vous regardez l’un l’autre, n’utilisez pas votre imagination. Ne sautez pas dans le moment suivant. Si vous pensez ou utilisez votre imagination, c’est comme si une fois le moment venu, vous vous projetez dans l’action de faire l’amour à une autre personne, avec un vagin ou un pénis qui n’est pas vraiment là.

Avez-vous perdu la pulsion de faire l’amour pendant que vous me lisiez ? Sûrement pas. Le corps ne perds pas la pulsion de faire l’amour. Il aura toujours envie de faire l’amour à condition que vous -le surevillant- ne vous mettiez pas en travers du chemin.

Souriez-vous, couchez-vous et étreignez- vous- C’est le moment que l’imagination risque de se mettre en route -lorsque vous regardez par dessus l’épaule de votre partenaire ou lorsque vous fermez les yeux. Alors ne fermez pas les yeux.

Sentez la chair fraîche de votre partenaire, sur son dos et ses bras. Ne pensez pas. Sentez. Et gardez les yeux ouverts.

Il lui donne.

Il la caresse et la câline. Elle le caresse et le tient - avec amour.

 

extrait de L'éternité d'une seconde Bleu Giotto, Jean-Claude Grosse, Les Cahiers de l'Égaré, novembre 2014 (épuisé, n'existe qu'en e.Pub sur www.lescahiersdelegare.com

Le père – ne me dis pas que tu ne t'en souviens pas, cet instant de félicité, au Baïkal, le 14 juillet 1970, quand on l’a conçu en le sachant, ce qu’il a confirmé en arrivant neuf mois après, un jour en avance

La mère – je m'en souviens, tu te souviens de quoi ?

Le père – c'était le soir, on avait allumé un feu pour faire griller les omouls qu'on avait péchés, on avait porté deux toasts de kedrovaïa au lac, à l'amour, ça nous avait émoustillés, nous avons fait l’amour sur le plancher de l'isba de rondins blonds

La mère – j’aurais voulu que tu me baises

Le père – je t’ai fait l’amour

La mère – tu ne m’as pas baisée, tu m’as fait l’amour, pas comme j’attendais

Le père – tu m’as surpris, tu n’avais jamais été aussi ouverte

La mère – tu t’es retiré

Le père – tu m’as ramené en toi, tu l'as eu, ça ne te suffit pas ?

La mère – je n’ai plus jamais été Ouverte comme ce soir-là

Le père – je suis désolé, j’avais envie de m’abandonner, de me livrer à ton étreinte, ça s’est bloqué

La mère – chez moi aussi

Le père – te plains-tu de nos étreintes ?

La mère – on fait l’amour comme tu dis, on ne baise pas, j’étais Ouverte par l’Appel de la Vie, ça pouvait ressembler à de l’indécence, je me suis sentie jugée, quelle violence, cette impression, pour la vie. Tu vois, mon sexe n’a pas oublié l'obscénité de ton retrait

Le père – je regrette vraiment de m'être refusé, peut-être parce que tu devenais la servante d'une cérémonie, quand les bacchantes

La mère – c’est ça, mon p’tit chat ; depuis, tu es le maître de cérémonies minutées avec paliers et plateaux, plus de place pour les effondrements dionysiaques, pour les envols mystiques. Tu ne ressentiras jamais où t'aurait mené une plongée sauvage, sans calculs, dans ma béance

Le père – tu as quand même du plaisir ?

La mère – plaisir, plaisir, petit mot qui convient bien à une pâle jouissance, sans retentissement au profond du corps et de l'âme. Fusionner avec le Tout, des Femmes  rares connaissent. Aurais-je pu connaître la Grande Vie Cosmique, pas la petite mort orgasmique ?

Le père – pourquoi avoir mis si longtemps à en parler ?

La mère – je n'aime pas les mots sur ça, ma sexualité s’est mutilée avec sa conception, ma vie s’est arrêtée avec sa disparition, je veux regarder sans terreur cette horreur

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La vie-la poésie / JC Grosse

Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G.

des effets d'un champ de coquelicots au plus intime, au plus infime, la poésie y accède-t-elle ?(photo d'Annie Bergougnous) / Emily Dickinson, une vie en poésie
des effets d'un champ de coquelicots au plus intime, au plus infime, la poésie y accède-t-elle ?(photo d'Annie Bergougnous) / Emily Dickinson, une vie en poésie

des effets d'un champ de coquelicots au plus intime, au plus infime, la poésie y accède-t-elle ?(photo d'Annie Bergougnous) / Emily Dickinson, une vie en poésie

j'ai accueilli chez moi, villa joie, ce dernier week-end, une poète lyonnaise d'origine marocaine, week-end de travail sur son travail en cours; elle m'a lu à voix haute son recueil encore inédit Ballet du temps (j'ai édité son 1° recueil: Roses des sables, préfacé par Jean-Yves Debreuille, un spécialiste de la poésie contemporaine, 2 tirages quand même) et deux introductions, celle pour son essai d'Habiter poétiquement le monde, celle de son Chemin de vie; mes retours ont été chaleureux car la démarche est particulièrement personnelle, authentique, sans concessions, j'étais en présence d'une Emily Dickinson d'aujourd'hui; disons que j'ai eu l'impression très forte d'avoir affaire à une écriture-vie, à une vie-écriture, j'ai pensé au titre du livre de Jorge Semprun: l'écriture ou la vie, non, ne pas séparer comme ce titre mais lier mots et choses en interactions particulièrement subtiles, imperceptibles; on ignore l'impact profond d'un mot sur l'autre comme sur soi pris comme esprit-corps, on ignore l'impact profond d'une chose du monde sur soi  et sur l'autre pris comme corps-esprit;

nos outils de perception sont les sens, mais il est évident que les illusions sensorielles sont nombreuses, qu'on croit réel ce qui souvent ne l'est pas; il en est de même des sentiments; dire je t'aime à quelqu'un, le plus vivant des poèmes, est peut-être un délire, né d'un désir, d'où ce titre ambigu Parole dé-s/l-irante, s/l = est-ce elle ? tout désir n'est-il pas délire, toute parole délirante n'est-elle pas parole désirante ? la confusion par projection ou tout autre processus est au rendez-vous; il faut donc une grande prudence là où l'exaltation nous saisit; ce je t'aime dont je me dois de douter, une fois dit, chemine en l'autre vers un coeur qui bat la chamade, un esprit qui s'emballe, dans un corps qui s'émeut, au plus profond, le message pensé et émis, une fois reçu par l'autre devient milliers de messages chimiques, hormonaux, moléculaires, quantiques dont j'ignore la réalité et les effets, seule la personne réceptrice perçoit quelques effets, coeur qui bat plus vite, rêves érotiques, organes sexuels en émoi, appétit moindre...; n'est-il pas clair que prendre conscience de cette complexité peut nous inciter à plus de responsabilité, à accepter d'être responsable d'effets imprévus, secondaires, tertiaires et pervers; je peux même en arriver à bouger le moins possible pour déranger le moins possible l'ordre des choses car en fin de compte, on est toujours dérangeant, semeur de désordre; vivre en poète c'est déranger le moins possible et prendre son temps, vivre en poète c'est vivre sobrement, c'est réduire sa surface, son empreinte, c'est ne pas vouloir embrasser l'infini, c'est ne pas vouloir être éternel, c'est voir un monde dans un grain de sable, un ciel dans une fleur sauvage, tenir l'infini dans la paume de la main et l'éternité dans une seconde comme le dit William Blake dans Augures d'innocence, le plus fort programme que je connaisse

j'ai bien raison de prendre mon temps, j'ai tout le temps qui m'est compté (à condition de ne pas le décompter, c'est ainsi qu'il compte, qu'il est vivifiant) pour insuffler la vie à quelques mots pouvant toucher quelques belles personnes. Je laisserai 10 poèmes intitulés Caresses. Caresses 1 et Caresses 2 existent déjà. Les autres Caresses sont à venir, le moment venu, un moment inattendu. Il y aura aussi les 12 Paroles dé-s/l-irantes. Parues dans La Parole éprouvée, le 14 février 2000.

si j'inverse, soit non une pensée d'amour adressée à l'autre mais la vue d'un champ de coquelicots du côté de Lourmarin; ça fait longtemps que je n'ai vu autant de profusion de rouge, de rouge vivant, se balançant dans le vent léger, un vent solaire, autant de rouge habité par la lumière, je prends des photos, je filme pour prolonger mon émotion, mon plaisir; ces coquelicots sont impossibles à cueillir, se refusent au bouquet, trop fragiles; ces coquelicots qui m'éblouissent se resèment d'eux-mêmes, je ne peux les semer, ils refusent la domestication; ces coquelicots fragiles résistent aux grands vents du midi; je perçois, ils me touchent au profond par leur beauté éphémère, impermanence et présence, insignifiance et don gratuit sans conscience du don (quoique sait-on cela ?) et ils me font penser, leur vie me vivifie, m'embellit, je me mets à chanter une rengaine venue d'un vieux souvenir, un petit bal perdu, je m'allonge, me livre au soleil, caresses qui font du bien, pas trop longtemps, messages héliotropiques envoyés aux niveaux les plus infimes, les plus intimes en toute inconscience même les yeux fermés et en méditation visualisante

voilà deux brèves tentatives de mise en mots pour conscientiser (c'est notre privilège) ce que nous éprouvons, pour vivre à la fois plus pleinement (c'est autre chose que l'aptitude au bonheur, au carpe diem, non négligeable) de plus en plus en pleine conscience (et là je m'aventure, si tout ce qui vit est échange, circulation, énergie, information, tout ce qui vit est peut-être aussi conscience ou dit autrement, une conscience, la Conscience est à l'oeuvre dans tout ce qui se manifeste, elle serait l'unité de et dans la diversité, elle serait la permanence sous l'impermanence; ne pas se laisser duper par le côté automatique, bien régulé de notre corps-esprit ou des systèmes univers, multivers avec leurs constantes universelles jusqu'à dérèglements et entropie croissante remettant les pendules à l'heure (j'ai découvert un livre au titre révélateur : La "Conscience-Énergie", structure de l'homme et de l'univers, du Docteur Thérèse Brosse, paru en 1978 à Sisteron, ça semble du solide !); évidemment, sur ce chemin, je me laisse accompagner par Deepak Chopra qui réussit à articuler approche scientifique et approche ayurvédique

puisque j'ai cité Emily Dickinson, voici mon retour sur "son" film : Le film de Terence Davies sur la vie et les poèmes d'Émily Dickinson est bouleversant et puissant, dialogues au scalpel, profonds, drôles, d'un niveau impossible à rencontrer aujourd'hui car on s'y soucie de l'essentiel, de l'âme, de la Vie, de la Mort, les femmes étant d'ailleurs plus douées que les hommes dans leur perception de la vérité, de la beauté. Emily qui ne quitte pas son milieu familial réussit malgré les pressions à dire NON à un certain nombre de situations, d'obligations. Elle a pour boussole, l'indépendance de son âme (un mot oublié aujourd'hui) et pour moteur, une capacité de sublimation exceptionnelle (ça aussi on ne sait pas ce que c'est aujourd'hui). Cela donne des poèmes dont on sent qu'ils sont éprouvés, vécus, pensés, au moment où elle écrit, la nuit, grâce à l'autorisation du père. Dans un univers corseté, Emily, sa soeur, l'amie enseignante réussissent à être libres, indépendantes, dans le respect de certaines conventions, le refus d'autres, grâce à leur indépendance d'esprit et pour Emily grâce à l'usage créatif de la langue (sa ponctuation, le – en particulier, comme chez Marina Tsvetaeva, nous permet de voir une poésie en fabrication, en tricotage). Silences, dialogues, lenteur des mouvements, scènes appuyées de souffrance ou de mort. Des moments sublimes en musique, rares donc ressentis. La sublimation n'empêche pas les frustrations, les colères, les comportements "intransigeants", les attentes de reconnaissance. Sa soeur lui dira: nous sommes humains, vas-tu nous en vouloir pour ça ? 
Chère Emily, je vous ai reçue comme une mystique, inventant sa "religion", sa façon de communier avec vous et le monde, avec l'après-mort, avec le temps qui passe et l'éternité-immortalité de ce qui est souffle, Vie, âme. Pas de recherche du bonheur ou du plaisir, si faciles et qu'on trouve nous, si difficiles; donc, on se coache avec des techniques du bonheur. Vous n'étiez pas dans la norme, hier, vous l'êtes encore moins, aujourd'hui. Vous nous montrez, non qu'on peut s'épanouir, bien petit mot, mais s'élever, être corps-esprit-âme et je vous vois, je vous vis comme pratiquant cette ascension pour femme extrême (homme extrême aussi mais plus rare) en deux temps, le temps du jour, temps d'acceptation et parfois de refus (d'assister à une messe, d'être agréable avec un jeune séducteur), temps d'observation, de positionnement (vivre comme vous le faites est une négociation permanente entre soumission et intransigeance) et le temps de la nuit, temps de l'écriture, temps de la mise à distance, de la mise en existence, de la mise en essence. Et par ce travail inspiré et réflexif (car vous avez un sens extraordinaire de la répartie fulgurante qui foudroie ou exalte), vous atteignez à un partage qui touchera qui peut être touché. Moi, en plein coeur.

3 poèmes d’Emily qui ne sont pas dans le film

On apprend l'eau - par la soif
La terre - par les mers qu'on passe
L'exaltation - par l'angoisse -
La paix - en comptant ses batailles -
L'amour - par une image qu'on garde
Et les oiseaux - par la neige
----------------------------------------------------------
J’étais morte pour la Beauté – mais à peine
M’avait-on couchée dans la Tombe
Qu’un Autre – mort pour la Vérité
Etait déposé dans la Chambre d’à côté –

Tout bas il m’a demandé « Pourquoi es-tu morte ? »
« Pour la Beauté », ai-je répliqué 
« Et moi – pour la Vérité – C’est Pareil –
Nous sommes frère et sœur », a-t-Il ajouté –

Alors, comme Parents qui se retrouvent la Nuit –
Nous avons bavardé d’une Chambre à l’autre –
Puis la Mousse a gagné nos lèvres –
Et recouvert – nos noms –
---------------------------------------------------
Je me dis : la Terre est brève –
L’Angoisse – absolue –
Nombreux les meurtris,
Et puis après ?

Je me dis : on pourrait mourir –
La Meilleure Vitalité
Ne peut surpasser la Pourriture,
Et puis après ?

Je me dis qu’au Ciel, d’une façon
Il y aura compensation –
Don, d’une nouvelle équation –
Et puis après ?

titres à lire : La poésie sauvera le monde de Jean-Pierre Siméon, Anthologie manifeste de Frédéric Brun, Dans le jardin obscur (libre conversation sur la poésie) de Alain Duault et Monique Labidoire

il est évident après un tel article que je vais tenter de faire vivre la poésie au Revest, investir les gradins du jardin municipal, la scène de la Tour, certaines placettes du village, faire cela une fois par trimestre avec une BIP (brigade d'intervention poétique)

3 titres pour habiter poétiquement le monde, pour vivre en poésie avec soi, les autres et le monde
3 titres pour habiter poétiquement le monde, pour vivre en poésie avec soi, les autres et le monde
3 titres pour habiter poétiquement le monde, pour vivre en poésie avec soi, les autres et le monde

3 titres pour habiter poétiquement le monde, pour vivre en poésie avec soi, les autres et le monde

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Peut-on rencontrer l'autre ?/J.C. Grosse

Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G., #pour toujours

le baiser des bonsaïs (un siècle d'acrobaties pour atteindre ce résultat; il semble que ce soit une image complétée par photoshop)

le baiser des bonsaïs (un siècle d'acrobaties pour atteindre ce résultat; il semble que ce soit une image complétée par photoshop)

le baiser comme don, l'épousée
le baiser comme don, l'épousée
le baiser comme don, l'épousée
le baiser comme don, l'épousée
le baiser comme don, l'épousée
le baiser comme don, l'épousée
le baiser comme don, l'épousée
le baiser comme don, l'épousée

le baiser comme don, l'épousée



          
La rencontre d'autrui


       Pour Sartre, autrui n'est pas seulement celui que je vois, il est aussi et surtout celui qui me voit
       je vois autrui-objet mais en même temps je suis vu par autrui-sujet c'est-à-dire comme un objet; et j'expérimente cela dans la honte, la timidité, l'embarras, où je ne puis devenir sujet; or je ne peux être objet pour un objet, seulement pour un sujet; donc être-vu-par-autrui ne peut se déduire ni d'autrui-objet ni de mon être-sujet; être-vu-par-autrui implique autrui-sujet; c'est ainsi qu'est évité le solipcisme; autrui est donc originellement, celui qui me regarde.
       le regard d'autrui me constitue donc en objet dans son champ; il est donc la négation radicale de mon expérience de sujet; je suis devenu objet dépouillé, possédé: je suis volé et ce qui m'est volé c'est ma liberté; je deviens donc sous le regard d'autrui, être-pour-autrui, sans pouvoir en disposer; donc de pour soi c'est-à-dire humain prospectif, il me fait devenir en soi c'est-à-dire existence figée, immobilisée
       la mort me constitue définitivement en pour-autrui mais je la vis dès qu'un regard se pose sur moi
       une seule possibilité: la riposte, je dois me reprendre comme liberté, me ressaisir comme sujet et pour cela figer à mon tour autrui en objet; la pudeur me permet de diminuer ma surface d'exposition; par elle j'espère voir sans être vu; l'attaque est cependant la vraie défense
       pour réduire l'autre, il me faut l'atteindre dans son altérité même c'est-à-dire dans sa liberté d'être-regardant; l'amour a cet idéal: il cherche la possession d'une liberté comme liberté; mais ce projet est contradictoire car d'une part je lui demande d'être objet tout en le voulant sujet et d'autre part pour le saisir comme sujet, je dois rester objet fascinant pour lui
       ne pouvant saisir cette liberté comme liberté, ne pouvant la prendre à mon piège, je vais essayer de la faire se prendre à son piège, en l'engluant dans sa corporéité; c'est le projet du désir sexuel; dans le désir, je me fais chair en présence de la chair d'autrui pour tenter de m'approprier sa chair; en le déshabillant, en l'engluant dans sa corporéité, je le débarrasse de mille liens: il n'est plus que cette chair sous ma main; projet encore contradictoire où d'une part je ne possède qu'une dépouille, où d'autre part je m'englue dans ma corporéité
       dans les deux cas, l'autre m'est inaccessible; autrui est par principe l'insaisissable: il me fuit quand je le cherche et me possède quand je le fuis
       mais Sartre ne fait qu'une description du regard; le regard, pour lui, c'est ce qui saisit, ce qui prend, ce qui fige, ce qui s'empare
       or le regard c'est aussi ce qui s'offre, ce qui donne, ce qui appelle
       comme pour Sartre, l'existant est entièrement responsable de lui-même, il faut rendre l'existant responsable de l'échec de la communication de deux libertés; il y a échec parce que l'existant se fait indisponible, devenant par là inauthentique; être-regardant dans le langage populaire ne signifie t-il pas être avare, refuser, se refuser, être crispé sur son avoir; c'est donc dans un projet préalable d'indisponibilité et non dans ma liberté de sujet, que je saisis l'autre comme objet; c'est parce que je suis indisponible que je me réduis à le recevoir comme envahisseur
       c'est Gabriel Marcel qui a dégagé la notion d'indisponibilité et celle, corrélative de disponibilité
       dans l'attitude de disponibilité, je ne songe plus à moi comme être-à-protéger; je suis ouvert au monde et à autrui; je me prête à leur influence sans calcul ni méfiance systématiques
       le regard d'autrui, plus que fixant, est bouleversant; à condition que j'accueille la présence d'autrui comme quelque chose dont je ne dispose pas, le regard qu'il pose sur moi ne m'immobilise pas, mais tout à l'inverse me dérange, m'inquiète, me met en question; il me dépouille, oui, mais de mon opacité égocentrique, de cet écran que je suis pour moi dans la solitude
       ce n'est donc pas seulement le regard généreux d'autrui qui nous anime; tout aussi animant est le regard hostile, jaloux ou indifférent; mais encore faut-il que je sois en état de disponibilité; la vie spirituelle apparaît alors comme l'ensemble des actions par lesquelles nous tendons à réduire en nous la part d'indisponibilité
       être disponible, c'est faire qu'autrui ne soit plus le concurrent, c'est pouvoir exposer -au double sens du mot- ce que j'ai, c'est faire l'expérience en lui et en moi de l'inépuisable: on ne se vole pas l'inépuisable or qu'est-ce que la honte? je n'ai pas honte d'être cela pour autrui, j'ai honte de n'être que cela, ou plutôt de paraître n'être que cela, c'est que je sens en moi la possibilité d'être infiniment plus, et en autrui l'exigence que je sois infiniment plus; cette honte, c'est le signe de la transcendance en moi c'est-à-dire de mon perpétuel dépassement; elle n'est plus le signe de ma mort c'est-à-dire de mon engluement dans la facticité
       approfondissement de l'attitude de disponibilité:
- l'autre existe avant  même que je m'approche de lui c'est-à-dire qu'il est marqué par une histoire personnelle inconnue de moi
il est inséré dans un tissu de relations qui exigent de lui des comportements dont j'ignore le sens
il est contraint de jouer des rôles dans la société qui le montrent et le cachent tour à tour
- cette complexité dans la perspective sartrienne, je la supprime en engluant l'autre dans sa corporéité
- être disponible, vouloir le rencontrer c'est donc d'abord ne pas trancher arbitrairement dans cette complexité; je dois lui permettre d'exister devant moi tel qu'il est sans prononcer des jugements hâtifs
sans lui imposer les normes de mes idées préconçues
sans chercher à le faire entrer dans mes projets, mes préoccupations ou désirs
- l'étrangeté de l'autre, son mystère, j'ai du mal à les supporter; alors je le réduis au déjà vu et au déjà connu pour qu'il n'ébranle pas mes certitudes établies; je refuse donc d'être interpellé par son mystère
- il lui plait de ne me parler, ici et maintenant, que de la pluie et du beau temps: j'ai à le laisser être ce qu'il désire, je n'ai pas à le contraindre à manifester le fond de sa personne; d'autant qu'il dit beaucoup de lui à travers l'intonation, les gestes...
- à le laisser ainsi être, il se donne, me remplit  et ce d'autant plus, d'autant mieux que je ne cherche pas à savoir où nous allons, à comprendre, à interpréter
- si je ne le laisse pas exister, c'est que je n'existe pas moi-même; alors je cherche à m'affirmer par un contre-bavardage; je me dépêche de dire "pas d'accord"; je ne sais pas me taire pour le recevoir
- donc apprendre à se taire est la première condition à toute rencontre; se taire c'est accueillir sans limite, sans tri: l'attitude de compréhension telle qu'elle est définie par Carl Rogers se manifeste par la technique opératoire de la ré-expression, c'est-à-dire que celui qui écoute est concentré sur les messages de l'autre, les ré-exprime en explicitant leur contenu affectif aussi bien qu'intellectuel pour faciliter la communication de l'autre avec lui-même dans le sens où cet autre la dirige; cette attitude est une attitude non-directive c'est-à-dire que je ne me substitue pas à l'autre dans son activité structurante (son discours)
- l'attitude non-directive n'est possible que si, comme dit Rogers, je suis congruent; être en état de congruence ou d'authenticité, c'est s'accepter activement, c'est se prendre en compte sur la totalité (donc pas de refoulement) de ce qui émerge en soi; cette acceptation de soi est acceptation d'évolution à travers cette forme dynamique qu'est l'image de soi, image qui se découvre dans la relation à autrui; s'accepter c'est donc accepter en particulier d'être modifié; cette congruence, cette acceptation authentique cela revient à être vraiment présent à soi-même, à ses contradictions et à leur dépassement; cette acceptation authentique de soi permet d'entrer en relation avec autrui sans se projeter ou s'identifier à lui; l'acceptation de soi s'accompagne donc d'empathie pour autrui c'est-à-dire de participation à ses sentiments exercée sans confusion ni défensivité
- cet accueil sans limite c'est-à-dire cette présence à autrui sans appréhension ni rejet, sans pression ni éloignement, cette "confirmation" comme dit Buber, cette considération positive inconditionnelle comme dit Rogers, est difficile à maintenir d'où nécessité d'être attentif positivement à soi comme on l'est à autrui
- cet accueil permet à l'autre de se mettre à exister pour quelqu'un; il entre dans une relation où la totalité de sa présence est prise en considération, est confirmée
- mais, le plus souvent, ne nous acceptant pas, ennemis de nous-mêmes, incapables d'être, nous nous précipitons dans le verbiage, la fébrilité, le divertissement, la besogne; nous avons beaucoup de contacts mais nous ne rencontrons personne
- et pourtant, une existence est bouleversée dès l'heure où elle peut se  dire en toute liberté devant un visage qui s'ouvre, devant un corps tout entier présent à celui qui parle, devant un coeur attentif, rempli de l'autre par le seul fait qu'il est là, qu'il est tel; elle est bouleversée parce que reliée à une autre, parce qu'elle n'est plus de trop, parce qu'elle n'est plus superflue mais nécessaire à une autre ou plutôt
parce qu'elle sait qu'une autre existence reconnait sa nécessité lui donnant ainsi un sens; cela veut dire que je n'ai pas besoin de l'autre mais que j'ai le désir que l'autre soit; avoir un tel désir c'est renoncer à l'autre c'est-à-dire renoncer à le convoiter, à le posséder comme un  objet; mais ce désir de laisser être l'autre naît -ne peut naître- que de la mort du besoin que j'avais de l'autre; par suite le renoncement (qui est la vérité du désir) ne peut pas être dans une relation d'antériorité à l'amour; il en  est le fruit et l'acte
- renoncer à posséder l'autre c'est affirmer d'une part qu'il y a en moi un manque-à-être qui ne peut être comblé
c'est affirmer d'autre part l'altérité irréductible de l'autre;
c'est donc affirmer sa nécessité puisque inassimilable par moi
- par suite, aimer quelqu'un c'est accepter que son existence révèle en moi ce qui me manque  pour être tout, c'est percevoir son absence en moi ou de moi comme la réalité de sa présence à lui-même et en lui-même; le manque-à-être que j'éprouve, et aussi bien le manque de l'être, révèlent en moi le désir d'être de l'autre
- le désir c'est donc l'affirmation et l'acceptation de la différence, ce qui nous renvoie au rapport de l'autre à l'Autre
- ce rapport n'est pas à comprendre comme la distance qui sépare deux objets ou deux êtres, mais comme la différence qui fonde la notion de même, non pensable sans elle; l'autre c'est mon semblable; l'Autre est ce qui, dans cette proximité, cette ressemblance, cette similitude, m'échappe, porteur insaisissable d'une altérité radicale (donc irréductible) qui surgit dans tout rapport d'identité et qui le fonde; (quoique semblables, ressemblants, deux vrais jumeaux ne sont pas  substituables l'un à l'autre); l'autre est constamment réduit à moi-connaissant; l'Autre, au contraire, est ce qui, dans cette activité réductrice, reste en dehors du champ de la connaissance et n'est jamais perçu que négativement, c'est-à-dire méconnu à travers la connaissance que j'en ai, irréductible au moi-connaissant; il y a donc une "limite" au moi-connaissant; "limite" est ici un signifiant auquel ne correspond aucun signifié dans le champ de la connaissance; il signifie (et c'est tout ce qu'on peut en dire), en moi, rien de ce qui est moi, c'est-à-dire l'Autre
- l'autre que je connais est aussi l'Autre que je ne connais pas; la méconnaissance du savoir ouvre l'homme, dans son corps, à la vérité qu'il cherche à connaître: ce mouvement est celui de l'amour (ou de la foi); l'amour pose dans l'être l'autre, à travers le désir-de-l'autre dont cet autre est le siège; il désire l'Autre à travers le besoin qu'il a de l'autre; ce rapport de l'autre à l'Autre est constitutif de l'homme
- l'amour est mouvement, vie qui unit les différences entre elles et dans leur différence même; mais pour l'homme, cet amour de pur désir n'est accessible que par la médiation du besoin car l'homme est corps de désir et non pas désir; il est, par suite, donné à l'homme de transmuer le rapport de consommation dans lequel il s'origine (l'enfant s'origine au sein maternel) et sans lequel il meurt (l'enfant a besoin de ce sein) en rapport de communion dans lequel les différences ne s'acharnent plus à se faire disparaître en nourriture mais peuvent se réaliser en inaliénables libertés
- l'enfant-foetus n'est différent de l'animal-foetus que dans et par le désir de ses parents; il y a donc un champ du désir qui pré-existe à l'enfant; ce champ tisse un réseau signifiant où sa naissance va l'insérer: il est celui dont on parle (ex nous parlions de Sylvain et ce fut Katia), il est désiré; selon la qualité du réseau signifiant c'est-à-dire selon la parole qu'auront échangée ses parents, l'enfant sera vécu sur le mode de la consommation ou de la filiation
- ou il sera le bel objet qu'on engraisse, enjolive (ou le mauvais objet)
- ou s'il vient prendre place dans l'espace vide du réseau signifiant, sous le nom que déjà on lui donne mais dont on ne sait pas la réalité qu'il recouvrira, dont on ne sait rien, alors il a des chances de venir, irréductible, à la préoccupation qu'on en a
- d'où une définition de la paternité: le père véritable ne prend pas constamment la place de son fils pour lui éviter de se perdre; au contraire, il le donne à lui-même au risque de le perdre
- mais voilà, le plus souvent, nous vivons l'autre sur le mode de la consommation et non sur celui de la communion ou de la filiation; cet autre, avec qui nous sommes pourtant en contact, nous ne le rencontrons pas; il y a incompréhension parce que nous esayons de réduire son altérité radicale: à le vouloir nécessaire pour nous, nous lui interdisons d'être nécessaire pour lui
- comprendre et aimer c'est ouvrir à la vie de l'autre une orientation actuelle et possible, c'est répondre à la vraie question qu'il se pose  ou que lui pose son existence; ; mais entendre la question vraie suppose une recherche difficile car le plus souvent, lorsque l'autre m'interroge, il ne sait pas ce qu'il demande, il n'a pas encore réussi à produire au jour ce qui le travaille et moi, je ne saisis pas au premier abord le sens de sa question; ce n'est que lentement que se fait, pour moi et par suite pour lui, la jonction entre le problème qu'est sa complexité et la formulation qu'il en donne; l'empathie que j'ai pour lui, c'est-à-dire l'attitude-miroir (miroir ayant ici un sens actif) que j'ai lui permettent de découvrir son image de soi, de se voir comme s'il était un autre
- donc je le rencontre parce qu'il se rencontre en moi; mais l'autre est un mystère irréductible: à le rencontrer et pour le rencontrer, j'accepte de me modifier, d'être modifié, de devenir autre que ce que je suis; pour le rencontrer dans son altérité, je m'altère, altération infinie qui ne coïncidera jamais avec son altérité d'où ma soif jamais apaisée, l'impossibilité de me désaltérer; à accepter cette impossibilité, à renoncer à mon besoin, je ne supprime pas l'insatisfaction mais cette insatisfaction est le point de surgissement du désir qui est toujours identifié par le désarroi du coeur, qui participe tout à la fois de l'angoisse du manque et de la joie de la renaissance
- la communication qui s'établit entre nous éclaire, par ailleurs, ma personne et me dévoile l'opacité qui demeure en moi; par le dialogue j'ai permis à l'autre de mieux découvrir le sens de sa vie mais comme nos existences sont liées, la mienne est également illuminée; la marche de l'autre vers son authenticité devient pour moi une épreuve: à travers mon silence et ma compréhension, il devient plus présent à lui-même; et par cela même il m'oblige à renoncer à ma supériorité et à me transformer
- car il n'y a pas seulement une vérité pour chacun; par la communication nous entrons dans une vérité qui nous dépasse tous les deux; et afin que la vérité se fasse peu à peu en moi (elle se fait plus que je ne la fais) je dois d'abord laisser apparaître toute ma vérité c'est-à-dire accepter que tombent mes systèmes de défense, c'est-à-dire accepter de devenir autre à cause des autres, d'être vrai pour l'autre et dans la relation à l'autre; cela n'a rien à voir avec se donner; se donner à autrui, se donner pour autrui c'est trop dire que c'est pour autrui; c'est nous que nous valorisons et c'est à nous que nous mesurons autrui; à vouloir qu'autrui ne manque de rien, nous lui refusons d'être, en fin de compte; et s'il vient à nous demander autre chose, nous nous demandons encore quoi faire, incapables que nous sommes d'entrevoir que nous faisons trop et que c'est de cela qu'il meurt
- de ce point de vue, une minute d'adhésion à autrui dans la totale vérité importe plus pour unir les hommes (dans leurs différences) que des heures de zèle intempestif
- d'où être vrai, ce n'est pas adhérer à soi, être fidèle à des principes, des dogmes, c'est communiquer
est totalement vrai (impossibilité pour l'homme) celui qui, ayant tout rencontré, communique avec tout
- donc tout dialogue poursuivi dans la vérité c'est-à-dire tout dialogue où les deux sujets sont interpellés, loin de nous conduire à des sommets accessibles seulement à quelques uns, nous ramène à la vie quotidienne
- et ce retour à la vie quotidienne, à la richesse, à la complexité irréductible de l'autre mais aussi à la richsesse et à la complexité de tout ce qui est, ce retour est d'autant plus nécessaire que j'en fais l'expérience; car toi que j'aime et qui deviens toujours plus pour moi, je ne te trouve qu'à repasser à travers tout; toi, mon univers, tu es inséparable de tout: il me faut donc entreprendre pour m'unir à toi complètement (impossibilité pour l'homme) le très long parcours des chemins de toute la terre et ce, parce que rien de ce qui existe n'est indifférent à ton existence, parce que tu es en relation avec tout; et donc nos relations doivent toujours embrasser davantage pour devenir plus réelles
- le mystère de l'autre renvoie au mystère du monde
- si je m'accepte c'est-à-dire si j'accepte d'être modifié, de devenir autre alors c'est dans la multiplication des rencontres vraies (pas trop) que je me trouve et que je me lie, que je m'unis non seulement à l'autre mais à tout et à tous

                                         (Jean-Claude Grosse, leçon de philosophie, automne 1971)

dans le sillage de Baïkala, testament amoureux de JCG (août 2010), réalisé par A.B. en dentelles végétales; L'éternité d'une seconde Bleu Giotto, sur la perte du fils (2001), sur la perte de l'épousée (2010)
dans le sillage de Baïkala, testament amoureux de JCG (août 2010), réalisé par A.B. en dentelles végétales; L'éternité d'une seconde Bleu Giotto, sur la perte du fils (2001), sur la perte de l'épousée (2010)
dans le sillage de Baïkala, testament amoureux de JCG (août 2010), réalisé par A.B. en dentelles végétales; L'éternité d'une seconde Bleu Giotto, sur la perte du fils (2001), sur la perte de l'épousée (2010)
dans le sillage de Baïkala, testament amoureux de JCG (août 2010), réalisé par A.B. en dentelles végétales; L'éternité d'une seconde Bleu Giotto, sur la perte du fils (2001), sur la perte de l'épousée (2010)

dans le sillage de Baïkala, testament amoureux de JCG (août 2010), réalisé par A.B. en dentelles végétales; L'éternité d'une seconde Bleu Giotto, sur la perte du fils (2001), sur la perte de l'épousée (2010)

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Fluidité de la mort de Salah Stétié

Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #J.C.G.

Note de lecture sur deux œuvres de Salah Stétié :
La nuit de la substance,
fluidité de la mort,

toutes deux parues chez Fata Morgana, le 17 mars 2007

Ecriture poétique et réflexion sur la poésie sont indissociables chez Salah Stétié. On en a une preuve supplémentaire avec cette parution simultanée qui ne doit rien au hasard.
Ce n’est donc pas par hasard que j’ai commencé ma lecture par La nuit de la substance, appréciant la clarté de l’homme de réflexion, la clarté aussi de son écriture.
La nuit de la substance est un essai en 3 mouvements où se mêlent des considérations générales et des confessions personnelles pouvant servir le propos car il en est de la poésie comme de la philosophie : la poésie est l’œuvre d’un poète ; la poésie de Salah Stétié est l’œuvre du poète Salah Stétié et aucune autre poésie d’aucun autre poète ne ressemblera à celle que nous rêvons quand nous le lisons. Cette tautologie, fausse lapalissade, ne surprendra pas qui pratique Salah Stétié, qui a su donner à la tautologie, au redoublement et à l’oxymore leurs pleines puissances poétiques de dévoilement et d’obscurcissement, paradoxe seulement en apparence. Substance, être, obscur sont des équivalents pour Salah Stétié. C’est ce qui nous enveloppe, nous donne vie et chair, éphémères, ce d’où nous venons, où nous retournons après on ne sait quelle traversée, existence combinant rêve et réalité, imagination et réel, capable par la création, la poésie, de nous sortir du sommeil coutumier pour un sommeil de dormeur plus essentiel, de dormant sera plus juste s’agissant de Salah Stétié. Le sommeil coutumier est cette sorte d’aveuglement qui nous fait séparer ce qui est tissu, reliure, qui nous empêche de saisir que tout est en lien. Le sommeil du dormant est celui de l’archer aveugle dont la flèche tirée atteindra la cible non visée dans la nuit de la substance d’où sortira un cri, un murmure car « l’obscur porte l’éclat ». Comme dit Héraclite : "Les dormeurs en dormant travaillent fraternellement à la recréation du monde."  Les métaphores chez Salah Stétié ont ce pouvoir d’électrification de la vision, de la pensée. Sensible aux mots, Salah Stétié ose des rapprochements, non en lexicologue, en linguiste mais en poète : ainsi de « lymphe » et de « nymphe », mots qui n’intéressent qu’un poète. « Les mots rôdent autour de nous, cherchant leur propre sens. Sans emphase, nous insufflons du sens à des mots qui, à leur tour, nous donnent sens. Les chemins aveugles de la lymphe ont pour aboutissement le lever de la conscience. » Salah Stétié évalue à 2000 mots, son lexique de poète. D’où viennent ces mots ? L’enfance semble être un réservoir d’où viennent les mots les plus insistants, les métaphores les plus obsédantes : ainsi de « lampe » venu du temps où en son pays du levant, le Liban, on s’éclairait à la lampe à huile avec tous les jeux d’ombre et de lumière sur les murs de la maison, rassurante et mystérieuse. On le voit, la poésie se nourrit de sensations, d’impressions innommées à l’âge où on les vit et cet innommé, cet innommable va jusqu’à dire Salah, longue impatience, réclame ses mots, ses images, ses rythmes, ses constructions grammaticales, longue patience. La lente germination, la profonde fécondation par le grand dehors de ce qui est le plus enfoui au-dedans comme si l’homme était deux, homme et poète, poète en exil à l’intérieur de l’homme, finit par engendrer, grâce au travail de l’imagination, de l’inconscient, du désir, des pulsions de vie comme des pulsions de mort, éros et thanatos mêlés, en mêlée, quelque chose qui n’existait pas avant cet acte créateur, le dit de l’obscur en mots clairs, en quoi l’homme créateur ajoute au monde et sans doute lui donne sens, l’œuvre libre étant librement interprétée : « elle ira son chemin aventureux vers des rencontres qui la déchiffreront, qui l’aideront à se délivrer de ce qu’elle ne se savait pas contenir, qui donc la libèreront encore plus et l’installeront avec précaution et bonheur dans l’évidence de ses contradictions, dans l’aise et le malaise de ses ambiguïtés, qui la modifieront et lui fourniront, masque arraché après masque, d’autres visages, qui lui accorderont, clé après clé, son épaisseur ou sa légèreté, la levée et simultanément l’approfondissement de son mystère, son ancrage dans la mémoire des hommes et aussi son insaisissabilité constitutive, la fluidité de ce qui en elle est imparablement vivant ; dans les bras du ravisseur, il y a toujours l’imprenable énonce hautement Denis d’Halicarnasse. » Comme on le voit, une conception dialectique de l’œuvre, singulière et collective, donnée et insaisissable, ouverte, ce qui nous fait sortir de l’image infantilisante de l’œuvre à contempler, de la position paternelle du créateur à admirer, conceptions trop largement répandues aujourd’hui et singulièrement aliénantes.
Le 3° temps de cette réflexion est le plus personnel, celui où Salah Stéié se confie : son père, sa mère, son enfance, son activité de diplomate, ses rencontres littéraires et artistiques, la vieillesse, la maison de Tremblay-sur-Mauldre, son jardin, ses fleurs, ses chats, ses livres, ses tableaux, la maison sans enfants  et la mort à venir, à attendre : « il faut être botté et prêt à partir » dit Montaigne. Salah Stétié est dans l’attente et met en mots pour lui, pour nous, cette fluidité de la mort.
C’est donc à ce poème que je vais m’attacher et non à l’ensemble du recueil.
Je remarque pour commencer que le titre du recueil s’écrit avec un « f », le titre du poème avec un  « F ». Le « f » me semble plus justifié que le « F » qui indique un commencement quand le « f » indique une continuité, une fluidité.
Le poème comporte 18 vers, en 3 strophes inégales de 5, 6, 7 vers comme une amplification de la méditation poétique sur la mort, sa fluidité. Le lexique de la fluidité comporte quelques mots : perle, goutte, eau, fleuve, baignés. D’autres lexiques entrent en jeu : celui du corps, celui de la terre, celui du ciel, celui de la lumière et du vent, celui de la mort, lexiques toujours réduits à quelques mots. Deux temps sont utilisés : le passé au début et à la fin, le présent entre deux usages du passé.
Le poème commence par un constat, une affirmation peut-être, comme une définition : la mort le renversement de la fumée. La forte présence des articles définis ne laisse place à aucune incertitude. La formule, claire, ne se livre pas pour autant. A l’évidence du  « renversement » répond l’énigmatique « fumée ». A-t-elle à voir avec le souffle qui caractérise la vie ?
Deux questions suivent, au passé : Quelqu’un a-t-il été ? Et de profil a-t-il frappé aux portes ? Une question existentielle quasi-métaphysique avec une pointe de doute. Une question qui nous fait bien voir la situation mais dont la signification nous échappe : pourquoi de profil ? et de quelles portes au pluriel s’agit-il ?
Trois vers viennent achever la strophe, avec des réitérations partiellement répétitives, des dissemblances étant introduites :
Un jour dans la lumière il y eut nous et les arbres.
Il y eut dans la lumière un vol de graminées.
Un jour, sous les frondaisons, cela fut.
Trois vers au passé avec ce «  nous » pouvant désigner chacun des singuliers que nous sommes ou l’espèce. L’imprécision quant au jour contraste avec la certitude du 1° vers. La logique semble bafouée avec ce vol de graminées, engendreur d’individus et d’espèces, succédant à la disparition qui fut d’abord apparition de nous et des arbres. Le « cela » du 3° vers rendant sensible l’indistinction dans laquelle nous installe la mort. Tout cela dans la lumière, la chaleur et sous les frondaisons, à l’ombre et dans la fraîcheur des frondaisons.
La 2° strophe, au présent, évoque le ciel, sa permanence, sa fonction de toute éternité, donc d’identité, à l’opposé de notre impermanence qui coule dans un temps d’arbres, danse sa vie, nourrie au sein, métaphore à charge érotique : « le pigeon du sein formé », métonymie à charge imageante : « au bout du sein blessé la goutte perle ». D’autres métaphores osées viennent enrichir cette strophe, la plus osée étant celle du fleuve envolé, envolé et de son eau rougie par une seule perle tombée du bout d’un sein blessé par l’avide bouche de la vie dépendante.
La 3° strophe use d’un procédé fréquent chez Salah Stétié, le redoublement : « Fourmis, fourmis, affamées, affamées. » Cette insistance favorise l’acuité de la scène, la rend plus saisissante, multitude des fourmis, dévoration sans fin due à la faim. Autre procédé, l’oxymore : « lisant en illisibilité » permettant de mettre en évidence cette unité des contraires dont Héraclite est le grand formulateur et dont Salah Stétié est un des continuateurs les plus exigeants. Dans cette strophe, le vocabulaire se complexifie, des mots plus rares, moins usités, sont utilisés : dédale, équinoxe, laures, des combinaisons inédites sont proposées (selon la définition de Tristan Derême : « la poésie, ce sont deux mots qui se rencontrent pour la première fois. ») : la cendre de l’esprit (quasi-oxymore), la tour du silence et verte cheminée ( celle-ci renvoyant peut-être aux arbres et à la fumée de la vie), l’œil très rond du bec rompu tenace (allusion métonymique au pigeon du sein), le corps qui fut fiancé (sans que soit précisé à qui, à quoi ?), le goudron de ses entrailles (insistance sur le noir, le visqueux et non sur le rouge, le liquide). Les 6 derniers vers de cette strophe, de ce poème, constitue une unité grammaticale et logique désunie, dans la mesure où elle n’est pas constituée en phrase dont le sens serait donné par le verbe autour duquel elle serait construite. On a par suite des segments de sens, ne s’emboîtant pas nécessairement, obligeant à s’attarder sur les détails (l’essentiel peut-être) et pas sur l’ensemble (car peut-être n’existe-il pas ? comme n’existe pas le sens de la vie si tout est voué à la mort, au néant après que ce soit envolé le fleuve, celui d’Héraclite, celui du changement permanent ; tiens : unité des contraires rendant indispensable Parménide à côté d’Héraclite ; oui,  panta rhei, tout change sauf la formule : «  tout change », qui ne change pas).
Ainsi se justifie le titre : fluidité de la mort, insaisissabilité de la mort, absence de sens de la mort, l’esprit, sa cendre, lisant en illisibilité le goudron des entrailles du vivant passé, trépassé. La mort, passage vers la permanence, vers la substance, vers l’obscur sous le ciel au patient bleu.
Entre l’essayiste et le poète, une tension, une tension entre deux clartés, la clarté de l’essayiste étant seconde par rapport à celle du poète, car c’est le poète qui seul, par sa patience, sa réceptivité, peut dire l’obscur en mots clairs dans un singulier poème que l’essayiste va tenter de porter à la généralité.
J’espère avoir convaincu quelques lecteurs de lire ces deux livres de Salah Stétié.
Jean-Claude Grosse, le 9 août 2007.

salah1.jpgSalah Stétié couronné Prince des Poètes le 11 novembre 1991
par le peintre Michel Bories (1949-2001) dans son atelier à Alès.


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